
Autres informations / 24.08.2010
Contribution au débat sur l'état de l'élevage français par thierry de la héronnière et éric puérari
MALAISES CHEZ LES ÉLEVEURS FRANÇAIS
Au lendemain des ventes Arqana qui ont vu leurs grands indicateurs chuter, Thierry de la Héronnière et Éric Puérari, deux éleveurs français, ont choisi Jour de Galop pour développer leur analyse sur la situation actuelle de l'élevage français. Voici leur texte. Il a suffi de la baisse sensible de la vente Arqana d'août pour que resurgissent en plein jour les différents problèmes non résolus qui rongent l'élevage français depuis maintenant bien longtemps. Les soucis sont triples : politiques, économiques et sportifs. Sachant que ces trois dimensions sont souvent liées et confondues, on peut les résumer suivant trois thèmes : le manque d'éléments supérieurs dans notre parc d'étalons; des résultats économiques d'exploitations souvent négatifs; une image de reconquête pour retrouver une dynamique.
DES ETALONS DE DIMENSION INTERNATIONALE POUR LA FRANCE ?
C'est un leitmotiv dans l'élevage français depuis environ 40 ans, avec une situation qui cependant n'a fait qu'empirer au fil du temps. Sur le plan des étalons, la France était compétitive jusque vers les années 80, à partir desquelles les exportations de nos meilleurs reproducteurs ont fini par créer une spirale irréversible. Tendance négative qui s'est accentuée par le fait qu'au même moment, la concurrence de l'Irlande, dopée par le consortium Coolmore et par un système fiscal imbattable, et celle de l'Angleterre, réveillée et propulsée par l'investissement arabe des Maktoum et Abdullah, ont provoqué une véritable marginalisation de la France dans le domaine des étalons internationaux. À quelques exceptions notoires, les étalons étrangers importés en France ont été pour la plupart des "seconde chance", des étalons un peu dévalorisés dans leur lieu d'origine qui cherchaient une meilleure fortune en France. Et ils l'ont souvent trouvée, comme si le fait d'être devenu Français avait sublimé leur production, à l'image de King's Best qui produit un Derby winner, ou de Desert Style, propulsé par les exploits de Paco Boy. Le savoir-faire des éle- veurs et le socle environnemental de nos courses ont eu des aspects miraculeux qui ont fait barrage aux tendances baissières qui menacent. Cependant, la situation actuelle est claire, et il serait coupable de se voiler la face : nous sommes dépourvus de grands étalons de dimension internationale, ceux qui constituent le top du marché, car ce sont d'eux que sont issus les grands performers. En scrutant le destin de Makfi, nous risquons une fois de plus d'être confrontés à notre faiblesse. Aujourd'hui, le meilleur miler européen, doté d'un superbe pedigree d'étalon (son père, Dubawi, connaît une réussite insolente, et sa famille maternelle "Wertheimer" est légendaire), nous verrons bien dans quel haras atterrira ce performer exceptionnel, entraîné à Chantilly et appartenant à des propriétaires français et vendeurs… Cette faiblesse française pèse évidemment sur notre élevage qui, pour tenir son rang international, se trouve contraint d'envoyer environ 800 poulinières par an à l'étranger pour être saillies, avec les frais exorbitants que supposent ces déplacements. De plus, en corollaire, le vide hexagonal que provoque cette transhumance annuelle des meilleures juments ampute les potentialités des étalons residents. On constate les conséquences malheureuses de cette pratique à la lecture du catalogue d'août qui, suivant la logique de marché, est devenu une vitrine de la domination des étalonniers étrangers, au grand dam des reproducteurs français qui se trouvent forcément marginalisés. Des solutions radicales n'existent pas. Toutefois, des mesures réglementaires et des initiatives collectives sont envisageables. Elles seront évoquées à l'occasion des futures rencontres informelles des responsables de l'élevage et des courses françaises. Nous souhaitons cette réflexion commune à laquelle cette contribution entend participer. Des initiatives applicables en découleront, et il est du devoir des éleveurs français et des dirigeants politiques de la filière d'affronter le problème, de relever le défi, plutôt que de se lamenter.
MALAISE ÉCONOMIQUE
UNE EQUATION ECONOMIQUE PRECAIRE
Il est difficile de vivre de son activité d'éleveur de pur-sang et ce constat menace toute notre profession qui requiert une rentabilité minimale. Les éleveurs français qui doivent commercialiser leur production pour subsister se trouvent actuellement dans une situation plus que précaire. Chacun s'était réjoui de la croissance d'Arqana ces dernières années, mais on a oublié qu'un yearling des années 2010 se vend beaucoup moins cher qu'un yearling des années 1980/90, alors que coûts d'entretien ont été multiplié par 2 ou 3 suivant les secteurs. Il faut rappeler qu'un yearling coûte environ 15.000€ d'entretien auxquels il faut ajouter l'amortissement de la mère et le coût des saillies. Avec une médiane à 35.000€ et une moyenne à 40.000€ qui ont été cette année les chiffres du lundi d'Arqana, c'est-à-dire le jour des yearlings français courants et sélectionnés, comment peut-on imaginer que les éleveurs dégagent un quelconque bénéfice de leur activité globale ? On exhibe souvent des chiffres de ventes qui comblent de plaisir les médias et les éleveurs bénéficiaires mais il ne s'agit là que d'une infime partie de leurs animaux alors qu'ils en produisent une grande majorité bien peu rentable. Il est impératif que le prix moyen de vente d'un yearling français remonte vers des niveaux qui autorisent la pour suite de cette activité agricole, ô combien précieuse pour l'aménagement du territoire national et la préservation du paysage. De surcroît, comment envisager la filière professionnelle des courses sans son socle fondateur de l'élevage ? Or, il ne faut pas oublier que c'est cette filière qui a été mise en avant politiquement pour obtenir, dans le cadre de la nouvelle loi, un retour de 8% sur le montant des paris, en faveur de l'ensemble des courses hippiques. Comment justifier moralement cette manne si les éleveurs voient en même temps leurs revenus fondre ? Nous avons clairement besoin d'une dynamique, et c'est l'ensemble de l'institution, y compris France Galop, qui doit se mobiliser en faveur d'un aménagement de notre activité et de nos débouchés commer ciaux. Ces aspects ont été trop longtemps négligés par la société-mère qui se polarise sur l'organisation de la compétition, oubliant les professionnels qui produisent les chevaux acteurs. Or nous sommes, avec les propriétaires, les véritables actionnaires de France Galop, et cet organisme doit être comptable et responsable vis-à-vis de nous. En ce sens, on ne peut que se féliciter de l'orientation politique récemment exprimée par les présidents des éleveurs et des propriétaires, Bernard Ferrand et Philippe Bouchara, exigeant des statuts amendés qui confèreront une majorité aux acteurs élus et investis, à l'image de ce qui fonctionne fort bien au Trot. France Galop doit œuvrer pour l'élevage français, et nous voulons avant tout exister en tant qu'éleveurs dans les instances. En illustration de cette exigence, nous souhaitons, pour donner un exemple, une bien meilleure articulation, au moment des ventes de yearlings, entre les courses organisées par France Galop, leur qualité, leur nombre, leurs horaires, et les ventes d'Arqana.
UNE DYNAMIQUE PAR L'IMAGE REHAUSSEE DES COURSES ET DE L'ELEVAGE
Nous ne pouvons plus rester les bras croisés, et subir l'image dévalorisée des courses, image d'autant plus flétrie que sa filiation avec la beauté de l'élevage est rarement suggérée. Dans une société française désormais acquise aux valeurs écologiques et au développement durable, le cheval, son élevage, sa compétition, ont un potentiel attractif considérable, surtout auprès des jeunes. Or, en matière de communication, nous sommes encore au niveau zéro du processus que nous devons engager. Pourquoi cette carence ? Parce que lesrares responsables de communication qui se succèdent à France Galop, ou dans les organes associés, n'aiment pas vraiment le cheval ni les courses. La communication que nous observons n'émane pas d'individus passionnés par le produit, qu'ils ne connaissent pas, et c'est pourquoi l'on voit rarement ces responsables aux courses ou dans des haras, et encore moins à l'étranger dans une démarche internationale d'expansion et de marketing. Au sein d'un France Galop remodelé où les professionnels compteront, où ils deviendront décisionnaires car majoritaires, on pourra reconstruire une image porteuse et moderne des courses et de l'élevage, une image de reconquête qui captera les jeunes, les femmes, les nouveaux propriétaires dont nous avons tant besoin, et… les nouveaux parieurs qui sont nos indispensables clients. On a accepté pour des raisons historiques liées au tiercé, puis au quinté, la sanctification excessive du handicap, et c'est pourquoi les courses françaises n'ont pas la cohérence observée dans les autres compétitions sportives où les gains correspondent directement au mérite sportif. Il est clair qu'un programme des courses progressif et incitatif, qui récompense la qualité en la rémunérant, "tirera" toute l'activité vers le haut. Et l'élevage avec. Nous sommes détenteurs d'un système courses remarquable que nous saluons, mais certains errements du passé tiennent au fait qu'à l'intérieur de l'institution, on ne "croit" plus vraiment à notre activité. Nos dirigeants et administratifs apparaissent souvent comme résignés face à image dévalorisée qu'ils subissent. En ce sens, ils sont incapables de concilier la dimension sportive avec celle du pari, comme si ce dernier était honteux, comme s'il parasitait à tout jamais la beauté de la competition hippique. C'est mal connaître l'Europe de 2010 qui associe sans difficulté, dans tous les pays, le plaisir sportif et celui de parier sur les événements. Ce double aspect, essentiel pour les courses et l'élevage, n'est ni pensé ni accepté par certains dirigeants de sociétés de courses qui affectent d'ailleurs de ne jamais jouer, comme si cette posture paradoxale et paralysante était requise pour diriger l'institution. Nous, éleveurs et aussi propriétaires, sommes aux antipodes de ce défaitisme. Nous pensons au contraire que nous sommes, en tant que producteurs de pur-sang, porteurs d'avenir, et qu'on ne peut élever et courir que si l'on a une passion chevillée au corps. Aussi, notre tâche première est de faire passer cette réalité sentimentale et culturelle au sein de la société française, il nous faut promouvoir cette image tout azimut. Notre redressement économique et sportif passe précisément par cette communication essentielle d'un monde des courses dynamique, et nous tenons à le rappeler ici. L'élevage, c'est une passion en action. Une passion d'aujourd'hui et d'un futur qui retrouvera la nature animale, qui correspond aux aspirations des nouvelles générations. Quand nous saurons délivrer cette image, forte et populaire, l'élevage français aura trouvé les chemins de son renouveau.
THIERRY DE LA HÉRONNIÈRE ET ÉRIC PUÉRARI, ÉLEVEURS FRANÇAIS
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