Courses / 27.09.2016

Est-il d'usage de verser une commission à l'entraîneur à l'occasion des cessions de chevaux ?

Est-il d’usage de verser une commission à l’entraîneur à l’occasion des cessions de chevaux ?

Dans nos chroniques précédentes, nous avons rappelé la mission de l’entraîneur à qui le propriétaire confie les chevaux : héberger et nourrir les chevaux en vue d’obtenir, grâce à son habilité et sa science, un état de performance qui leur permettra de gagner des courses. Dans ce schéma, quid du droit pour l’entraîneur de percevoir une commission, notamment lors de la vente des chevaux faisant partie de son effectif ? C’est sur cette intéressante question qu’un Tribunal d’instance parisien* s’est récemment penché. Les faits étaient les suivants : deux propriétaires, indivis à 50 % chacun, ont souhaité vendre une jument de course et l’ont inscrite aux ventes publiques. Quelques jours avant la vente, l’un des copropriétaires a manifesté le souhait de rester seul propriétaire de la pouliche et de racheter à son co-indivisaire ses parts, ce que ce dernier a accepté. La jument devenue la propriété d’un seul propriétaire a été retirée de la vente publique et est restée à l’entraînement chez le même entraîneur que précédemment. Cependant l’entraîneur a réclamé au vendeur de ses parts, une commission d’un montant de 5 % hors taxes du prix de vente des parts. Le vendeur s’est opposé à cette demande. Toutefois il avait par la suite accepté de verser à l’entraîneur une gratification représentant 2,5 % T.T.C. du prix de vente. S’estimant en droit de réclamer le complément de commission au vendeur, l’entraîneur a introduit une procédure. Pour justifier ses demandes, l’entraîneur invoquait l’existence d’un usage basé sur les éléments suivants :

- la vente du cheval devait initialement intervenir aux enchères publiques, où les conditions de l’organisme de vente prévoient le versement d’une commission de 5 % à l’entraîneur ou au courtier ;

- deux factures de commission de 5 % sur le prix de vente de deux chevaux ;

- l’avis d’un secrétaire général d’une association d’entraîneurs de chevaux de course ;

- la circonstance que le vendeur lui-même avait admis cette commission, puisqu’il lui avait versé une gratification.

Le 13 avril 2016, le Tribunal décidait toutefois de débouter l’entraîneur, au motif que l’usage invoqué par l’entraîneur pour réclamer une commission n’était nullement établi. Aux termes de l’article 1135 du Code civil, un usage n’est obligatoire que s’il est constant, notoire et général, voire consacré par la jurisprudence. Or aucun des arguments de l’entraîneur n’a été jugé convaincant : les conditions de vente de l’organisme de vente prévoient en effet une commission de 5 % au courtier ou à l’entraîneur, mais seulement lorsque ce dernier est intermédiaire à l’achat, cette commission étant à la charge de l’acheteur. En l’espèce, l’entraîneur réclamait une commission au vendeur tandis que sa qualité d’intermédiaire à la vente était de surcroît contestée. Quant aux deux factures isolées produites par l’entraîneur, elles ne sauraient, dit le Tribunal, convaincre d’un usage, de même que la gratification de 2,5 % versée spontanément par le vendeur qui avait tenté d’éviter un litige. Enfin, l’avis du secrétaire général, donné en son temps, était contredit par une lettre d’un syndicat de propriétaires qui s’opposait justement au principe d’une commission à l’entraîneur.

 

Le jugement est conforme aux décisions antérieures

Deux autres décisions antérieures ont donné une solution identique et ont débouté des entraîneurs de chevaux. La première, assez ancienne (6 mai 1986), émane du Tribunal de grande instance de Senlis et présente un intérêt en ce sens que la motivation pour caractériser l’existence d’un usage (constant notoire général) a été reprise mot pour mot par le tribunal parisien. En outre le Tribunal de Senlis avait ajouté que s’il existait une décision ayant fait référence à l’usage d’une commission, celle-ci était au bénéfice d’un courtier (et non d’un entraîneur) et pour un courtier mandaté pour l’achat. On peut également citer un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux qui, le 17 novembre 2008, à propos d’un entraîneur de chevaux de sport, a également retenu que la preuve d’un usage constant permettant d’attribuer une commission à l’entraîneur du cheval n’est pas rapportée, même s’il existe un accord verbal fréquent pour le rémunérer. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’entraîneur démontre qu’il existe des circonstances où une commission lui a été versée, qu’un usage existe lui permettant de réclamer une commission de manière systématique au vendeur et d’un montant qui ne pourrait être inférieur à 5 % H.T. du prix de vente, comme cela était prétendu dans l’affaire soumise au tribunal parisien.

L’entraîneur débouté de ses demandes a été condamné à verser à son adversaire une somme assez conséquente au titre des frais de procédure, laquelle, ajoutée à ses propres frais, a fait fondre la gratification exceptionnelle que lui avait versée le vendeur. Une preuve supplémentaire, si besoin est, qu’il est toujours préférable, surtout pour des sommes modestes, de trouver une issue amiable, les procès étant souvent aléatoires et coûteux.

Pour conclure, on rappellera qu’il est prudent pour les deux parties de prévoir par convention l’existence, ou non, de cette commission pour l’entraîneur, son montant et les conditions de son application.

 

Blanche de Granvilliers

Avocate et Docteur en droit

http://degranvilliers.fr

 

*Remerciement à mon confrère Tanguy de Watrigant qui m’a communiqué la décision.