
International - Élevage / 28.09.2016
Une journée à Coolmore Stud
Voyage au cœur de la machine à produire des gagnants de Groupe 1
(suite et fin)
Par Adrien Cugnasse, journaliste à Jour de Galop
Mardi dernier, l’équipe de Coolmore nous a ouvert les portes du haras. En compagnie de Mathieu Legars, le responsable des clients français, nous avons visité cette entité unique. Nous vous proposons un voyage au cœur de Coolmore, de son histoire et de ses acteurs.
It's a long way to Tipperary. Comme le dit un air populaire irlandais : « It's a long way to Tipperary, It's a long way to go. » Quand le voyageur quitte l’aéroport de Dublin, il traverse une grande banlieue, semblable à toutes celles du nord de l’Europe. Avec les mêmes enseignes, les mêmes véhicules, la même modernité et les mêmes couleurs. Au fil des kilomètres, le paysage "s’irlandise". Cela commence par l’apparition d’un logo Goffs monumental, qui trône au bord de l’autoroute. En s’éloignant de la grande ville, l’habitat devient plus typique et plus conforme à l’idée que l’on se fait de l’Irlande. Aux trois quarts du trajet, on arrive dans le Tipperary. Nous sommes mi-septembre et l’équipe de hurling du comté – un sport collectif irlandais qui se distingue par sa rugosité – est qualifiée pour la finale de la province du Munster [entre notre reportage et la publication de l’article, l’équipe a gagné la finale nationale, ndlr]. Les commerces affichent leur soutien en arborant les couleurs bleu et jaune. Les panneaux sont traduits en gaélique. Nous sommes enfin arrivés dans la "vraie" Irlande.
Au pays des hommes de cheval. L’Irlande touristique est ailleurs et l’on n’arrive pas par hasard à Clonmel, à deux heures de Dublin en roulant vers Cork. Après avoir quitté les grands axes, une route étroite serpente dans la campagne irlandaise jusqu’à cette ville de 16.000 habitants. Un tiers des emplois locaux sont liés à la présence de Coolmore. Ici, la culture du cheval n’est pas un vain mot. Les murs des pubs sont peuplés de photos d’arrivées, d’articles sur Vincent O’Brien et de photos de sauteurs dans l’ambiance humide des point to point. À l’hôtel, le patron vous parle du fils de Martaline qu’il a acquis récemment. La première idée qui lui vient à l’esprit lorsqu’on évoque la France, ce n’est pas la Tour Eiffel, mais plutôt les AQPS !
C’est dans ce terreau hippique que Coolmore a émergé et c’est dans cette ambiance que la majorité des 600 employés du haras ont grandi. Mais la gestation fut longue. Dans les années 1850, Thomas Magnier vendait des saillies d’un étalon nommé Edlington pour 3 livres irlandaises. On était encore loin du prix de saillie de Galileo... La montée en gamme fut très progressive et elle est passée par une longue série de bons pères de sauteurs, comme Cottage, le géniteur du célèbre Cottage Rake. Ce dernier fut le premier très bon cheval de celui qui allait devenir un monument de l’histoire des courses irlandaises : Vincent O’Brien.
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La naissance d’un mythe. Né en 1917 dans le comté de Cork, Vincent O’Brien a grandi dans une famille de petits propriétaires terriens. N’étant pas l’aîné, c’est son frère qui a hérité de la ferme familiale. Sans le sou, dans une Irlande rurale encore appauvrie par la guerre, il se fait la main avec les sauteurs de son père. Quand ce dernier meurt, il ne lui reste plus qu’un cheval. Faute de finances, il doit le vendre après sa première victoire. Pour gagner de l’argent, Vincent O’Brien fait courir et vend des lévriers. Il joue aux courses et gagne, avec la même rigueur qui, plus tard, fera de lui un grand entraîneur. Plusieurs décennies après, il expliquera : « Je n’étais qualifié en rien, si bien que j’étais prêt à faire n’importe quel travail pour m’en sortir. Mais mon rêve, c’était d’entraîner des galopeurs. » Pendant la guerre, il achète deux chevaux bon marché à Newmarket. L’année suivante, cet inconnu de 27 ans est dead-heat dans le Cambridgeshire avec le premier de ses deux chevaux, tandis que le second remporte le Cesarewitch à 800/1 ! Vincent O’Brien a joué les 2 livres qui lui restaient en poche ! Avec 200, il fait 1.600…
Les premiers succès aidant, on lui confie des chevaux, et de meilleure qualité. Cottage Rake, issu d’une saillie vendue par les Magnier, lui offre la première de ses quatre victoires dans le Gold Cup à Cheltenham. C’est le début d’une très grande carrière d’entraîneur de sauteurs, au cours de laquelle il se forgera l’un des plus impressionnants palmarès de l’obstacle européen.
Ce yearling qui a changé l’histoire du pur-sang. À la fin des années 1950, Vincent O’Brien décide de concentrer ses efforts sur le plat, dans une Irlande pourtant largement orientée vers les sauteurs. Sa réussite sera tout aussi éclatante. Depuis sa base de Ballydoyle, il remporte six Derby d’Epsom et trois Prix de l’Arc de Triomphe. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 16 victoires classiques en Angleterre et 26 en Irlande, une Triple couronne, 4 titres de meilleur entraîneur en Angleterre (deux en obstacle et deux en plat) et 13 en plat dans son pays. Non seulement il est un grand entraîneur, mais il se révèle aussi un acheteur exceptionnellement doué.
Pour John McShain, un riche Irlando-Américain, il déniche Ballymoss, futur gagnant des "King Georges" et de l’"Arc". Pour l’Américain Raymond Guest, il gagne le Derby d’Epsom avec Larkspur. Puis vient Charles Engelhard, encore un Américain. Ce dernier lui demande d’aller voir un poulain de Ribot aux États-Unis. Sur place, O’Brien lui suggère plutôt d’acheter un autre yearling, issu d’un jeune étalon nommé Northern Dancer (Neartic). Deux ans plus tard, ce poulain, renommé Nijinsky, allait remporter la Triple couronne anglaise. Sous l’impulsion de Vincent O’Brien, qui n’a cessé de faire investir ses partenaires dans des produits de Northern Dancer (The Minstrel, Try my Best, Sadler’s Wells, Storm Bird, Lomond…), le courant de sang part à la conquête des pedigrees du monde entier.
Comment John Magnier a révolutionné le business. Après avoir construit Ballydoyle, son centre d’entraînement, Vincent O’Brien rachète progressivement Coolmore, un haras en difficulté. À sa tête, il place un tout jeune directeur, John Magnier, qui n’a alors qu’une vingtaine d’années. John Magnier épousera par la suite la fille de Vincent O’Brien.
L’objectif des deux hommes est simple : plutôt que de laisser filer les très bons mâles entraînés par O’Brien, ils veulent exploiter leur carrière d’étalons eux-mêmes, à Coolmore. Avec l’aide d’investisseurs comme Robert Sangster, ou, plus récemment, Derrick Smith et Michael Tabor, ils poursuivent leur politique d’investissement en achetant partout des poulains pouvant devenir de futurs étalons. Comme l’a si bien dit Franco Raimondi, John Magnier aurait mérité le "Prix Nobel d’économie hippique". Du shuttle à la communication, des États-Unis à l’Australie, il a imposé sa patte technique et son sens du commerce.
L’exigence en héritage. L’ombre de Vincent O’Brien plane encore sur Coolmore et sur Ballydoyle. Son successeur à l’entraînement, Aidan O’Brien, porte le même nom que lui. S’ils n’ont aucun lien familial, ils partagent le même souci du détail, le même calme et la même sobriété dans le comportement. Au haras, chez Coolmore, le docteur O’Brien est encore partout. Dans les cadres photos, sur les documents et dans les conversations. Partout, y compris à l’élevage, une impression de professionnalisme domine. Tout est propre, réfléchi, en ordre et fonctionnel. On dirait presque que les chevaux qui grandissent dans les paddocks de Coolmore n’ont jamais connu le bruit ou la boue. Ils vivent dans de petits îlots, où une vingtaine de boxes sont entourés par leurs propres paddocks. Ce système, qui permet d’éviter bien des problèmes sanitaires, était déjà à l’œuvre il y a un siècle chez Tesio. Encore aujourd’hui, beaucoup de gens rêvent de visiter le Dormello du temps de l’apogée de Federico Tesio. En 2016, il ne reste presque rien de l’élevage du Mago di Dormello [le magicien de Dormello, surnom de Tesio, ndlr]. Mais chez Coolmore, que l’on peut visiter, la grande époque, c’est maintenant !
Un tigre au pays des herbivores. L’Irlande a longtemps été un pays pauvre. À partir des années 1990, l’île a connu une croissance économique très forte. On a alors parlé de "tigre celtique", pour illustrer l’ambition et la réussite irlandaise. Coolmore est en quelque sorte le "tigre celtique" de la filière hippique. On a parfois tendance à l’oublier, mais les chevaux sont avant tout des herbivores. Le climat irlandais et la capacité de ses terroirs à produire constamment une herbe de qualité se prêtent à merveille à l’élevage. D’ailleurs, la production laitière irlandaise, basée sur la richesse en herbe du pays, est l’une des plus compétitives au monde. Coolmore s’est donné pour objectif d’être autosuffisant en foin, ce qui n’est pas une chose aisée dans un pays où la pluie est souvent de la partie. Qu’à cela ne tienne, un système monumental de séchage en grange a été créé. Les pâtures sont suivies avec une grande exigence et elles sont d’une propreté remarquable. Une alternance entre bovins, ovins et équins, accompagnée d’un entretien régulier, permet de les conserver intactes, dans un contexte de sous-pâturage volontaire. Chaque jour, les boxes sont curés et la litière ainsi récoltée sert à pailler l’atelier bovin. En fin de cycle, le fumier est composté puis épandu dans les pâtures. Les résidus liquides sont utilisés pour accélérer la croissance d'une plantation de bouleaux. Ces arbres seront débités pour alimenter des chaudières, qui produiront de l’eau chaude distribuée sur le haras ! Ce n’est pas seulement du recyclage ; c’est aussi une manière de réduire l’impact écologique des effluents.
Sa majesté Galileo. Le roi de Coolmore, c’est bien sûr Galileo. Il vit dans la cour qui a, par le passé, accueilli Sadler’s Wells et Montjeu. Les étalonniers sont là depuis toujours et ils ont éduqué des générations de reproducteurs à faire la monte. Leur expérience n’a d’égal que la sensibilité du pur-sang anglais, cet animal qui a parfois tendance à saillir seulement quand il le veut. Montjeu était un cheval aussi délicat en piste qu’au haras. Un jour, son étalonnier a l’idée de lui donner une pomme rouge avant d’aller saillir. Le cheval s’exécute ensuite parfaitement. Le test fut fait avec une pomme verte. Non concluant. Comprenne qui pourra. En tout cas, Montjeu a eu droit à ses pommes rouges jusqu’à la fin de sa carrière.
Si Galileo règne sur Coolmore, sa cour et son box n’ont pourtant rien d’un palais. Il vit dans un environnement spacieux, confortable mais pas monumental. Pour saillir, il prend son temps et il lui faut presque 10 minutes par jument. Pendant la saison de reproduction, une impressionnante logistique se met en place, pour saillir 16 juments à l’heure (pour l’ensemble des étalons) tout en assurant une sécurité et une prophylaxie maximale. Les poulinières pleines repartent ensuite vers leurs îlots de poulinage.
L’anti-Xanadu. Coolmore, c’est tout sauf Xanadu. John Magnier n’est pas un gardien de musée, au milieu d’une collection de juments achetées à prix d’or. Tout a été pensé et conçu par des terriens, des fermiers irlandais. On est dans le confortable, pas dans l’ostentatoire. Le haras s’étend sur plus de 5.000 hectares et emploie 600 personnes. Comme nous l’a expliqué Mathieu Legars : « Les Magnier sont des terriens et ils sont capables de faire de leurs propres mains ce qu’ils demandent à leurs employés. Ils ont eux-mêmes accompagné des poulinages, refait des clôtures et débourré des poulains. » Malgré le gigantisme, tout le monde se connaît et est logé par Coolmore. Il règne une sorte de paternalisme qui n’empêche pas une forme de compétition et de liberté. Chaque année, des employés sont chargés d’aller acheter des milliers de veaux qui grandiront sur place avant d’être revendus. Le challenge étant de savoir, au moment de la revente, qui a fait acheter à Coolmore le meilleur lot de bovins ! De même, beaucoup d’employés de Coolmore font de l’élevage ou du pinhooking en parallèle de leur activité au haras. Paul Shanahan et Aidan O’Brien ont par exemple plusieurs dizaines de poulinières. Cette liberté accordée au personnel permet de garder dans le giron les meilleurs chevaux, tout en sécurisant un nombre non négligeable de juments pour les étalons-maison.
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Mathieu Legars, the French guy. Mathieu Legars est le Frenchie de Coolmore. Ce natif de l’Ouest a hérité de son père, qui travaillait pour Guy Henrot, la passion du cheval et des courses. Après une période très formatrice chez David Powell, il a pris la direction de l’Irlande. Pendant longtemps, il s’est consacré au débourrage et à la préparation des yearlings, puis aux étalons (quatre ans de shuttle avec les étalons en Amérique du Sud et Nouvelle-Zélande).
Une place s’est libérée, suite au départ d’un autre Mathieu – Alex – et son poste a pris une tournure plus commerciale et relationnelle. Au sein de Coolmore, il est l’interlocuteur privilégié des Français, qu’il accompagne dans toutes les démarches de transport, de saillies ou de pensions. Il nous a confié : « Mon objectif est de "démocratiser" Coolmore. Contrairement à ce que les gens pensent, il n’est pas difficile d’envoyer une jument à la saillie ici. Même lorsque l’on ne parle pas anglais ! De même, nous avons un panel d’étalons pour tout le monde – prix, distance, courant de sang, etc. – et une offre d’élevage très attractive, avec une pension de qualité à Castlehyde et une de niveau cinq étoiles à Coolmore même. »
Coolmore sera présent du 18 au 20 octobre 2016 à Galop Expo, le tout nouveau salon professionnel qui se tiendra dans un espace aménagé entre les ventes Arqana et l’hippodrome.
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