Courses / 22.09.2016

RAIMONDISSIMO ! - Arc : quand c’est non, c’est non !

RAIMONDISSIMO !

Arc : quand c’est non, c’est non !

Almanzor (Wootton Basset) ne courra pas le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1), sauf surprise. C’est un choix courageux pris par Jean-Claude Rouget, surtout après la victoire du poulain à Leopardstown. Il y a des moments où c’est beaucoup plus courageux de dire "non". Et même si l’"Arc" est toujours l’"Arc", un gagnant du "Jockey Club" (Gr1) n’est pas obligé de le courir. Bien au contraire. Une précieuse étude de Xavier Bougon démontre que le lauréat de Chantilly faisait souvent l’impasse sur Longchamp lors des premières années de l’"Arc". Douze gagnants du "Jockey Club" ont renoncé à disputer l’"Arc" dans la période 1920-1937, c’est-à-dire deux sur trois. Le courage de dire "non" c’est notre sujet et voici notre liste, qui ne comprend pas les accidentés, ceux qui avaient perdu la forme, ne tenaient pas la distance ou n’étaient pas assez bons. Pas des absences forcées. Des vrais "non" décidés par les entourages des champions capables de gagner l’"Arc". Quand c’est "non", c’est "non" !

1938 - NEARCO (m. b. 1935 Pharos & Nogara, par Havresac II)

L’Italie a remporté l’"Arc" six fois, sept si on rajoute Nuccio (élevé par M. Pini à proximité de Milan), huit avec Prince Royal (Ribot), vendu quelques semaines avant sa victoire en 1964. Deux champions auraient pu rallonger la liste. Le premier, c’est bien logique, fut Nearco en 1938. Sur sa victoire dans le Grand Prix de Paris, en étant invaincu, et sur une pointe de vitesse, il était difficile à battre, mais Federico Tesio savait bien faire ses comptes et il l’avait vendu une semaine après son succès à Longchamp comme étalon, pour un prix équivalent à quinze millions de livres sterling d’aujourd’hui, alors que, d’après les tables de conversion, l’allocation pour le gagnant de l’"Arc" n’équivalait qu’à 500.000 livres à l’époque.

Aurait-il battu Éclair au Chocolat (Bubbles), le 6 octobre 1938 à Longchamp ? Le deuxième de Nearco – à une longueur et demie – dans le Grand Prix de Paris, Canot (Nino), avait terminé troisième à deux longueurs et demie dans l’"Arc". Pour un échelliste sans souplesse, c’était "limite". En faveur de Nearco aurait joué la distance plus courte, parce que Federico Tesio avait toujours douté de la tenue de son crack sur 3.000m. En revanche, les chevaux entraînés par Federico Tesio, après le travail poussé pour les classiques, arrivaient souvent pressés comme des citrons à l’automne. Ribot dites-vous ? Il n’avait pas couru durant la saison classique et n’était pas entraîné par Tesio mais par Vittorio Ugo Penco, un grand talent qui nous a quittés beaucoup trop tôt.

Gagnant de l’"Arc" 1938 : Éclair au Chocolat (m. b. 1935 Bubbles & Honey Sweet). Propriétaire : baron Édouard de Rothschild ; entraîneur : Lucian Robert ; jockey : Charley Semblat.

1943 - ORSENIGO (m. b. 1940 Oleander & Ostiana, par Havresac II)

Un cas bien différent fut celui d'Orsenigo, le dernier champion élevé par le Nobile Giuseppe de Montel. Franco Varola, dans son handicap des meilleurs chevaux produits par l’élevage italien jusqu’à 1948, avait sélectionné six chevaux de "grande classe internationale" parmi les gagnants du Derby italien : Apelle, Ortello, Donatello, Nearco, Niccolo dell’Arca et Orsenigo. L’art de donner des valeurs aux chevaux n’existait pas à cette époque. En prenant comme repère les chronos, Orsenigo fut un crack hors pair : son record de 2’27”2 sur les 2.400m du Derby italien ne fut battu qu'en 1990 par Houmayoun (Shernazar), celui du Gran Premio di Milano sur 3.000m (3’08”8) a résisté jusqu’en 1974, quand la distance fut ramenée à 2.400m. Les records d'Orsenigo en 1943 ont bien entendu une explication. Federico Tesio avait cherché à battre le petit cheval en lui opposant trois adversaires dans le Derby et quatre dans le Gran Premio Di Milano. Il voulait un train de course sauvage pour lui émousser la pointe de vitesse. Résultat des courses : Orsenigo a laissé à cinq longueurs Nakamuro (Cameronian), le frère de Nearco, à Capannelle, puis, à San Siro, Tokamura (Navarro) fut décoiffé par Orsenigo qui a gagné de six longueurs.

Luigi Camici, qui a gagné l’"Arc" en 1989 avec Tony Bin, était un garçon de 15 ans à l’époque d'Orsenigo et il nous avait dit : « C’était mon cousin Enrico qui le montait. Orsenigo pouvait suivre n’importe quel train de course et il accélérait en trois foulées. Tesio a tout fait pour le battre et il avait des bons chevaux cette année-là, mais Orsenigo était simplement imbattable ».

La guerre l’a empêché de se présenter au Tremblay et de battre, grâce à sa pointe de vitesse, le digne gagnant de l’"Arc" 1943, Verso II (Pinceau).

Gagnant de l’"Arc" 1943 : Verso II (m. b. 1940 Pinceau & Variete). Propriétaire : comte Hubert de Chambure ; entraîneur : Charles Clout ; jockey : G. Duforez

1974 - DAHLIA (f. al. 1970 Vaguely Noble & Charming Alibi, par Honey’s Alibi)

Dahlia était plus forte que jamais à 4ans. RaceHorse of 1974 lui avait donné un rating de 135, trois pounds de plus que l’année précédente, quand elle avait gagné le "Saint-Alary", les Irish Oaks, les "King George" et le Washington D.C. International, et sept de plus qu’en 1975 alors que, déjà vieillissante, elle avait quand même remporté la Benson and Hedges Gold Cup. À 4ans, après un début de saison en demi-teinte, elle a enclenché en juillet pour gagner coup sur coup le Grand Prix de Saint-Cloud et les "King George". Tout de suite après la victoire d’Ascot, son entourage avait annoncé que Dahlia allait courir en Amérique pour le reste de la saison avant de revenir sur cette décision. Le programme a été changé et fut : Benson and Hedges (facile victoire avec, à la clé, le deuxième titre de Horse of the Year en Angleterre) et deux autres courses en Europe, dont l’"Arc". Maurice Zilber était un entraîneur courageux, mais pas arrogant. Il voulait éviter Allez France (Sea Bird), avec sagesse, parce que le résultat de leurs confrontations était de six à zéro en faveur d’Allez France ! Et donc, alors qu’Allez France avait préparé l’"Arc" avec une facile victoire dans le "Foy", monsieur Maurice décidait d’envoyer Dahlia sur le "Prince d’Orange", dans lequel elle terminait troisième sous une pénalité de trois kilos.

La défaite n’avait pas changé beaucoup de choses pour les bookmakers anglais : l’"Arc" était le match entre Allez France et Dahlia. La surprise arrivait une semaine avant le Jour J. Suite à une chute, la présence d'Yves Saint-Martin sur Allez France était en doute et Lester Piggott, "discrètement", s’était proposé pour le remplacer en laissant Dahlia. Tout de suite, les cartes ont changé. L’entourage de Dahlia annonçait que la pouliche allait prendre le chemin de l’Amérique pour la fin de saison.

La fin de l’histoire est la suivante : Yves Saint-Martin, avec courage, a récupéré à la toute dernière minute et a gagné l’"Arc". Dahlia est partie pour l’Amérique, où elle a remporté les "Man O’War", le Canadian International et a terminé troisième dans le Washington D.C. International. Et Lester ? Il a mis la casaque de Nelson Bunker dans l’"Arc" et a fini neuvième sur Mississipian (Vaguely Noble).

Gagnant de l’"Arc 1974" : Allez France (f. b. 1970 Sea-Bird & Priceless Gem). Propriétaire : Daniel Wildenstein ; entraîneur : Angel Penna ; jockey : Yves Saint-Martin.

1977 - THE MINSTREL (m.al. 1974 Northern Dancer & Fleur, par Victoria Park)

L’"Arc", pour les chevaux entraînés en Angleterre et en Irlande, n’est devenu un vrai objectif que dans les années 60. On compte trois victoires jusqu’à 1969 (Parth en 1923, Migoli en 1948 et Ballymoss en 1958) et le premier gagnant du Derby d’Epsom entraîné sur les îles qui a couru l’"Arc" fut Santa Claus (Chamossaire), en 1964, suite à une décision de son entourage qui avait préféré le déplacement à Paris à l’orthodoxe essai dans le St. Leger pour trouver un terrain plus souple.

En 1977 une victoire dans l’"Arc" pesait déjà lourd, même pour les Anglais et les Irlandais. Le meilleur cheval de la saison était The Minstrel : il avait gagné le Derby, le Derby d’Irlande, et les King George and Queen Elizabeth Stakes. Vincent O’Brien avait annoncé que son objectif d’automne était bien sur l’"Arc de Triomphe".

Le coup de théâtre est arrivé à la fin du mois d’août, quand l’éleveur de The Minstrel, E.P. Taylor, a acheté à Robert Sangster la moitié du champion pour quatre millions et demi de dollars. Quelques jours après, suite à l’annonce de restrictions sur les mesures sanitaires en raison de la métrite contagieuse, The Minstrel fut embarqué précipitamment. Destination : Windfields Farm, au Maryland.

Un mauvais coup pour Vincent O’Brien ? Pas du tout, le Magicien avait à l’écurie un cheval encore plus fort : Alleged (Hoist The Flag), qui avait suivi des autres chemins pour dégager la route à The Minstrel. Avec Lester Piggott en selle, il s’est promené et a répété dans l’"Arc" douze mois après. RaceHorses of 1977, en fin de saison, avait donné 137 à Alleged et 135 à The Minstrel.

Gagnant de l’"Arc" 1977 : Alleged (m. b. Hoist the Flag & Princess Pout). Propriétaire : Robert Sangster ; entraîneur : Vincent O’Brien ; jockey : Lester Piggott

1998 - SWAIN (m. b. 1992 Nashwan & Love Smitten, par Key to the Mint)

Swain a couru trois fois l’"Arc de Triomphe", avec les résultats suivants : troisième de Lammtarra à 3ans, quatrième d'Helissio à 4ans, toujours sous la férule d’André Fabre, septième de Peintre Célèbre à 5ans, après son passage chez Godolphin. Le vieux serviteur n’était pas à Longchamp à 6ans, alors qu’il aurait pu gagner facilement à l’issue de sa meilleure saison. Deuxième, à une courte tête de Silver Charm (Silver Buck), lors de ses débuts sur le dirt, dans la Dubai World Cup (Gr1), gagnant facile des "King George" et des "Irish Champion", Swain était un cheval capable de fournir une valeur RPR autour de 130. Ses adversaires dans l’"Arc" n’étaient pas du même niveau (le gagnant Sagamix était moins bon de cinq livres) mais, à la plus grande surprise, après son succès à Leopardstown devant Alborada (lauréate ensuite des "Champion" à Newmarket), Godolphin annonçait que Swain allait faire l’impasse sur l’"Arc" en faveur d’un essai dans le Breeders’ Cup, à Churchill Downs. La surprise fut encore plus grande quand, deux semaines après l’"Arc", Simon Crisford annonçait pour le compte de Godolphin que l’objectif n’était pas le "Turf" – une course qu’il aurait gagnée au petit trot – mais le "Classic".

C’était un coup un peu risqué mais jouable. On connaît la suite : la ligne droite en diagonale avec la terreur dans les yeux des photographes au bord de piste, une troisième place qui valait une victoire, et le procès à Dettori. Swain aurait pu terminer sa carrière en gagnant – au choix – l’"Arc", le Breeders’ Cup Turf ou les Champion Stakes. Il est resté dans la petite histoire comme un champion malchanceux.

Gagnant de l'"Arc" 1998 : Sagamix (m. gr. 1995 Linamix & Saganeca). Propriétaire : Jean Luc Lagardère ; entraîneur : André Fabre ; jockey : Olivier Peslier.

2001 - GALILEO (m. b. 1998 Sadler’s Wells & Urban Sea, par Miswaki)

Galileo n’a pas gagné l’"Arc de Triomphe" comme son frère Sea the Stars (Cape Cross) et sa mère, Urban Sea. Mais aurait-il battu Sakhee ? Ma réponse est non, surtout pas à Longchamp, en terrain lourd, le premier dimanche d’octobre, à la fin d’une saison chargée et après une course "casse cœur" comme les Irish Champion Stakes – face à Fantastic Light, lui-même absent de l’"Arc". On a déjà parlé du "signe indien" de Galileo dans l’"Arc", mais il ne faut pas oublier que le déplacement en France ne fut jamais pris en considération à l’époque par Coolmore, et ce déjà après sa victoire dans les "King George". L’objectif était une course sur plus court que 2.400m pour étoffer son billet d’étalon. C’était donc les "Irish Champion" avec deux options ensuite : un essai sur le mile dans les Queen Elizabeth II Stakes (il n’y avait pas grand-chose à battre) ou le Breeders’ Cup Classic. Après la défaite irlandaise, Belmont Park fut choisi. Pour une autre défaite. Même si la tête de Fantastic Light et le dirt américain ont coûté beaucoup à Coolmore pendant les premières saisons de Galileo, la suite de sa carrière d’étalon les a bien récompensés.

Gagnant de l’"Arc" 2001 : Sakhee (m. b. 1997 Bahri & Thawakib). Propriétaire : Godolphin ; entraîneur : Saeed bin Suroor ; jockey : Lanfranco Dettori.

Le "non" de l’entourage d’Almanzor est bien différent de ces six que nous avons passés en revue. Les courses ont beaucoup changé, même par rapport à l’époque de Galileo. Les propriétaires sont devenus beaucoup plus "coureurs" au fil des ans suite à l’augmentation des allocations des grandes épreuves. Il faut du courage pour dire non, sans regret. Et surtout, chers amis, quand le soir après l'"Arc" vous "referez la course", ne dites pas : Almanzor les aurait tous battus. Il doit tous les battre, mais à Ascot !