Courses / 27.09.2016

Raimondissimo ! les autres « Deauville »

RAIMONDISSIMO !

Les autres "Deauville"

Italien et citoyen du monde, Franco Raimondi est l’un des plus célèbres journalistes hippiques en activité. Grand voyageur et curieux de tout, il offre à plusieurs gazettes de renom international ses connaissances encyclopédiques et ses analyses décalées. Il vous donne rendez-vous chaque semaine dans Jour de Galop.

 On les appelle les Deauville américain, japonais, irlandais, anglais, chilien ou encore italien... Pour nous, les journalistes, il s’agit d’une formule de simplification, un peu grossière bien sûr, mais rapide pour parler d’un hippodrome et d’une ville qui vivent dans le même souffle pendant un mois, au cœur de l’été. Et pour un vrai turfiste, il faut une vraie destination turf…

Photo Saratoga

Saratoga, un rendez-vous historique. Le premier meeting de galop à Saratoga, le Deauville américain, fut organisé le 3 août 1863, c’est-à-dire onze jours avant l’inauguration de La Touques. L’année de naissance n’est pas le seul point commun des deux sites. Nous avons la mer, ils ont, eux, des lacs magnifiques, mais si vous aimez prendre un bain, la Sicile ou Porquerolles est beaucoup mieux. L’attraction touristique historique, ce fut les thermes mais à présent, même si l’eau de la source Man O’War – très sulfureuse et pétillante – est buvable et fait du bien, ce sont d’autres boissons qui sont appréciées. Après une journée aux courses, de l’autre côté de la route, on se rassemble dans le jardin de chez Siro’s. Il y a un groupe qui joue des classiques du rock, les gens chantent petit à petit avec la voix plus grave et après trois heures de fête sauvage, on termine assis sur un muret à refaire toute la réunion.

L’hippodrome de Saratoga a été sélectionné parmi les dix théâtres de sport plus importants des États-Unis. Pas de surprise, car chez nos amis américains, tout ce qui a plus de cent ans est considéré comme historique. Les tribunes sont coquettes mais on y voit très mal les courses, sauf si vous avez accès à la salle de presse ou si un ami vous fait monter sur le toit. Le rond de présentation est assez spécial. Les chevaux sont sellés soit dans les stalles soit sous les arbres. Chaque arbre a son numéro : le cheval tourne autour de la plante et bonne chance à l’entraîneur si l’animal est un peu nerveux. Pour un entraîneur respectueux de la tradition, seller dans les stalles à Saratoga, c’est tout simplement un blasphème.

 

Photo Saratoga Saddling area

 

Des Grs1 tous les week-ends. Les courses sont de haut niveau, tout comme à Deauville. Les Travers Stakes sont le point culminant du meeting mais il y a des Grs1 tous les week-ends d’une très longue saison, qui démarre le 22 juillet et se termine le 5 septembre. Cela représente quarante réunions (pas de courses le mardi) et même en semaine, dans un maiden special weight – sans la poésie de nos Prix des Marettes, de Tancarville, de Lisieux, etc. –, vous pouvez avoir la chance d’assister au début d’une Rising Star. Le meeting de Saratoga est une longue fête mais c’est aussi un grand business pour la New York Racing Association. Le meeting 2015 a enregistré des nouveaux records. Les entrées payantes ont dépassé le million (1.065.625, c’est-à-dire 26.640 par journée !) et le total des enjeux a atteint 648 millions de dollars, dont 157 au P.M.H.

La bataille du pique-nique. Il est difficile de savoir si les gens se rendent à Saratoga parce qu’il y a l’hippodrome ou vont à l’hippodrome parce qu’ils sont à Saratoga. De mon côté, je n’aurais jamais avalé les 300 kilomètres de route qui séparent Manhattan de Saratoga sans hippodrome ! La confirmation de cette idée déformée de la vie arrive après une promenade en ville (quelque 25.000 habitants) le mardi, quand l’hippodrome est fermé. Saratoga est alors un désert, pas de queue au restaurant, tables vides dans les bars, vous arrivez même à trouver un hôtel avec des chambres libres et à un prix raisonnable, ce qui est impossible le week-end. À Saratoga, on va à l’hippodrome pour jouer, pour passer l’après-midi et pour pique-niquer. Les quelques 2.000 places pour le pique-nique, dont 650 libres, sont chaque jour la cible d’une charge de bisons. Tous les jours, à l’ouverture des portes prévue à 11 heures, des centaines de joufflus – poids minimum un septième de tonne –, trainant des chariots et des glacières, démarrent comme des sprinters à la chasse d’une table. Pour eux, regarder les courses est optionnel. Un petit écran vidéo, c’est déjà bien.

Un cimetière pour les champions ? Les Américains aiment mettre des étiquettes sur les lieux. Saratoga est ainsi devenu le cimetière des champions. Il n’y pas un seul livre d’histoire du galop américain qui ne cite les victimes illustres de Saratoga, à commencer par Man O’War – qui avait subi sa seule défaite dans les Sanford Stakes 1919, battu par un certain Upset – en passant par Secretariat et Affirmed pour arriver à American Pharoah, battu dans les Travers 2015. Toutes ces défaites historiques ont des explications plus logiques que la malédiction de Saratoga. Man O’War avait laissé toutes ses chances au départ et donnait quinze livres à son "killer", Secretariat fut piégé par une mauvaise monte de Ron Turcotte, Affirmed fut rétrogradé pour avoir gêné Alydar et American Pharoah ne devait tout simplement pas courir les Travers trois semaines après sa victoire dans le Haskell Invitational et un aller-retour "East Coast - Californie". Ce n’est pas la faute de Saratoga, donc, mais des hommes.

Baden-Baden, courses et ventes. En Allemagne, Deauville se prononce Baden-Baden. L’hippodrome dans la plaine d'Iffezheim, situé à quelques mètres de la frontière française et à six kilomètres de la ville thermale, est cinq ans plus vieux que Deauville et Saratoga. Le meeting, la Grosse Woche (Grande Semaine), est plus court, et pour le galop allemand, c’est le moment phare de la saison. Gagner à Baden-Baden compte trois fois plus pour un entraîneur parce que la vente des yearlings est organisée le vendredi avant le Grosser Preis. Une victoire peut amener quelques bons achats…

Photo Baden Baden

L’ambiance à l’hippodrome est vacancière. C’est vrai que les réunions sont longues (dix courses), la première à 13 h 30 le jour du Grosser Preis, la dernière à 19 heures et, d’un point de vue international, souvent peu intéressantes, mais un vrai turfiste en vacances doit jouer le jeu dans toutes les langues. Et en plus, entre deux passages dans le magnifique sauna du Caracalla Thermen, il faut bien occuper son temps. Le meilleur moyen que je connaisse est de faire le papier des courses de l’après-midi pour faire passer l’addition du restaurant (il y en a des très, très bons…) à quelque infortuné buchmacher, les bookmakers allemands.

Glorious Goodwood et la tradition anglaise. L’Angleterre n’a pas un vrai équivalent de Deauville et cela vient de la structure même du galop insulaire. Les courses chez eux se sont développées comme un rendez-vous itinérant pour la noblesse. D’où la naissance des meetings, au début tous en semaine parce que le noble public n’était pas contraint à travailler. Laissons de côté la sociologie et revenons sur le Glorious Goodwood, le meeting le plus vacancier du galop britannique. Cinq jours de courses, c’est beaucoup, et d’un point de vue technique, la soupe est un peu allongée, mais attention, autour des Sussex Stakes et des Nassau Stakes, il y a plein de bons handicaps et de belles cotes. Un bon turfiste doit se rendre au moins une fois à Goodwood, caler sur sa tête un panama et boire du Pimms. Et côté bon vivant ? Question suivante… Je vous fais grâce du jugement grossier d’un ami sur la cuisine anglaise et puis, après cinq nuits dans un hôtel à Chichester ou Bognor Regis, vous pouvez goûter à nouveau les plaisirs de la vie à Londres.

Photo The Gurkha Goodwood 

Goodwood, Deauville, Baden-Baden : une jument fut capable de gagner dans les trois grands meetings d’été. La légendaire Kincsem (Cambuscan) avait remporté cette triple couronne en 1878 en alignant les victoires dans le Goodwood Cup, le Grand Prix de Deauville et, pour terminer, le Grosser Preis von Baden. La championne hongroise a fini sa carrière avec un record imbattable : 54 victoires en 54 sorties. Elle aurait même gagné à Saratoga mais elle n’était pas assez bonne en natation et n’a pas pu se rendre en Amérique.

À chacun le sien. Chaque pays a son Deauville, plus ou moins. En Irlande, le dernier lundi de juillet, c’est le départ du meeting de Galway, sur la côte ouest. Sept jours de courses, plat et obstacle, autour d’une petite piste. Le soir, c’est la fête en ville. On s’amuse, même si, dans ce coin d’Irlande, il existe la pratique barbare d’arroser les meilleures huîtres du monde avec des pintes de Guinness.

Ostende, c’est le Deauville belge, capable de résister à la crise des courses dans le pays. Pendant un temps, le Grand Prix était l’"Arc de Triomphe" d’été et le palmarès le montre, avec, dans les années 30, les noms de Crapom et Corrida, lauréats le premier dimanche d’octobre à Longchamp.

Les Japonais s’amusent l’été à Sapporo mais, selon les règles en vigueur, les courses n’ont lieu que le samedi et dimanche.

Photo ostende

Au Chili, l’été correspond à notre hiver mais le meeting estival du Valparaiso Sporting Club est le plus fou du monde. Le premier dimanche de février, plus de 100.000 spectateurs peuplent l’ancien hippodrome – presque contemporain de Deauville et Saratoga – pour El Derby. La première course démarre à 9 h 30 du matin, la vingt-huitième (c’est vrai !) à 23 h 20. Il faut s’entraîner dur mais un jour, j’irai là-bas !

Sans public, nous ne sommes rien. Et ma petite Italie ? Bon, nous avons réussi à brûler notre équivalent de Deauville, l’hippodrome Federico Caprilli, à Livourne, sur la côte toscane. Tous les jeudis et les dimanches, plus de 5.000 personnes en moyenne, et 10.000 pour la réunion de la Coppa Del Mare, se pressaient autour du rond et de la tribune proches de la mer. En regardant les jeunes filles, juste revenues de la plage toutes bronzées, on avait l’impression de se trouver à l’élection de Miss Italia. Et après les courses, un plat de "spaghetti con il favollo", un crabe local, faisait oublier même une journée de défaite.

Photo Caprilli

Le Caprilli, pour la première fois depuis 1894, n’a pas ouvert ses portes cette année malgré la bataille d’un comité créé par Micol Fenzi, une jeune journaliste de la télévision des courses. Les erreurs d’une société de bénévoles transformée en un groupe d’affaires, la confusion entre deux autres groupes de gestion, un maire qui n’a rien compris de son rôle, ont fait sauter l’été 2016. C’est la plus grosse défaite pour les courses italiennes, même plus que la chute des paris, la réduction des allocations. Oui, chers amis, si on oublie que les courses se font là où se trouve le public, c’est le début de la fin.

 

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