Voyage au cœur de Coolmore…

International - Élevage / 27.09.2016

Voyage au cœur de Coolmore…

Voyage au cœur de Coolmore…

La machine à produire des gagnants de Groupe 1

 

Par Adrien Cugnasse, journaliste à Jour de Galop

 

[Partie 1, aujourd’hui] David O’Loughlin répond aux questions de JDG

[Partie 2, demain] : Une journée à Coolmore Stud

 

David O’Loughlin : « Le Derby est l’épreuve de sélection par excellence »

Directeur commercial de Coolmore, David O’Loughlin est l’un des hommes forts de la structure irlandaise et un observateur attentif de l’élevage à l’échelle internationale. Mardi dernier, pendant une heure et demie, il s’est confié longuement et sans retenue sur la stratégie d’élevage et d’étalonnage de l’entité irlandaise.

 

Jour de Galop. – Pourquoi les Derby, et celui d’Epsom en particulier, sont-ils aussi importants pour Coolmore ?

David O’Loughlin. – Vous vous souvenez de la citation de Federico Tesio ? Le Derby est l’épreuve de sélection par excellence. Dans l’histoire de Coolmore et de Ballydoyle, c’est la course qui a sacré des chevaux comme Sir Ivor, Nijinsky, The Minstrel, Roberto, Galileo ou encore High Chaparral. Caerleon a gagné le Prix du Jockey Club avant de devenir un très bon étalon [huit lauréats de Derby font la monte chez Coolmore en 2016, ndlr]. Pour gagner le Derby, un cheval doit avoir de la vitesse, de la classe, de la tenue et surtout de l’équilibre. La piste d’Epsom est très difficile et il faut un cheval très équilibré pour gagner. C’est peut-être la qualité la plus importante pour un galopeur. Ces dernières années, on a vu d’excellents lauréats de Derby, comme Golden Horn, Camelot ou Australia. C’est le cœur de notre système de sélection.

Ces dernières années, il y a une véritable mode pour la vitesse. Qu’en pensez-vous ?

Oui, cette mode existe, mais beaucoup de gens négligent le fait qu’une grande partie des épreuves de sélection en Europe se courent sur 2.000m et plus. Si vous n’avez plus de tenue dans vos pedigrees, votre élevage est exclu de toutes ces courses. Ce point a été négligé par beaucoup d’acheteurs. En France, tout particulièrement, il n’y pas de programme pour les chevaux très précoces. Pour être un très bon cheval, sur 1.000m comme sur 6.000m, il faut être capable de changer de vitesse. Y compris dans le Grand National, le "Gold Cup" ou le "Cadran". Dans l'Ascot Gold Cup cette année, si Order of St George (Galileo) n’avait pas eu de vitesse, il n’aurait pas gagné. Les quatre cents derniers mètres de cette épreuve ont été parcourus plus rapidement que ceux des King's Stand Stakes [un célèbre sprint de Royal Ascot].

Tout bon cheval est issu d’un mélange. Si vous regardez le pedigree de certains étalons de vitesse reconnus, comme Invincible Spirit ou Oasis Dream, vous retrouverez des chevaux avec de la tenue. En croisant indéfiniment des chevaux de vitesse entre eux, vous finissez comme certains américains : lors du dernier Kentucky Derby, la grande question était de savoir qui allait avoir assez de tenue pour aller au bout des 2.000m.

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Pourtant, si vous avez une jument pleine de vitesse, à laquelle vous souhaitez apporter de la tenue, le marché propose peu d’étalons de très haut niveau lauréats sur 2.400m (ou plus) ?

C’est vrai. Mais de toute manière, quelle que soit la distance, les étalons de très haut niveau sont rares. Et parfois, ils fonctionnent de manière étonnante. Quand Sadler’s Wells est entré au haras, il a sailli de très bonnes gagnantes sur le sprint. Cela n’a pas fonctionné.

La plupart de ses meilleurs produits sont issus de mères qui ont des courants de sang avec de la tenue dans leur pedigree. C’est le cas de Galileo et de Montjeu. Personne ne sait par avance ce que va apporter un étalon et avec quelles juments il va le mieux croiser.

Pensez-vous qu’il sera possible de retrouver un autre étalon du calibre de Galileo ?

Cela va être très difficile, mais ce n’est pas impossible. Je me souviens, il y a quelques années, alors que nous avions Montjeu et Galileo dans notre cour d’étalons,

les gens disaient : « Il va être très difficile de trouver un étalon du niveau de Sadler’s Wells ». Des chevaux comme Camelot, Australia ou Gleneagles en sont peut-être capables. Ils ont hérité de beaucoup des qualités qui ont fait la force de leur père et de leur grand-père. Mais cela reste difficile à prévoir. Danehill Dancer ne faisait pas figure de favori sur le papier, parmi les fils de Danehill. Peu de gens s’attendaient à ce qu’il devienne un étalon aussi marquant. Il a débuté sa carrière à 4.000 livres irlandaises.

Parmi les reproducteurs ayant fait leurs preuves à haut niveau sur 2.400m, la plupart sont liés à Sadler’s Wells. Est-ce aussi pour cette raison que Coolmore a envoyé des juments à Deep Impact ?

C’est avant tout un très bon étalon et ses produits se sont distingués au meilleur niveau en Europe. De plus il est totalement outcross pour notre jumenterie. Mais il n’est pas facile, sur le plan logistique, de l’utiliser. Nous lui avons tout de même envoyé quelques juments ces dernières années. Le fait qu’il soit un très bon sire prime sur le côté outcross, même si ce dernier point est bien sûr déterminant. De plus, ce n’est pas un cheval qui ne transmet que de la tenue. Comme tous les bons étalons, il est capable de donner également des gagnants sur 1.600m. À l’inverse, les sprinters bon marché ne peuvent pas jouer sur plusieurs tableaux.

La mode de la vitesse a-t-elle changé le visage de l’élevage dans les îles britanniques ?

Le changement a été colossal. Mais nous ne sommes pas opposés aux chevaux de vitesse. Aux premières heures de Coolmore, nous proposions déjà des étalons sur ce créneau. Et nous avons encore des chevaux très "vites", comme Choisir, Starspangledbanner, Requinto ou No Nay Never. En fait, tout est une question d’équilibre. Il ne faut pas que la mode des chevaux de vitesse devienne celle de la cheap speed [la vitesse "bon marché"]. Il faut préserver une certaine diversité dans le parc étalon.

Pensez-vous que le sang américain a encore un rôle de premier plan à jouer au meilleur niveau en Europe ?

Absolument. Les performances de Lady Aurelia ou de Caravaggio sont là pour le prouver. Nous continuons d’ailleurs à acheter aux États-Unis.

Y compris les chevaux issus de la sélection sur le dirt ?

Regardez le pedigree de Lady Aurelia ! C’est une erreur de bannir systématiquement les courants de sang sélectionnés sur le dirt. On sait que certains sont capables d’être compétitifs sur le turf et, sans le sang américain, nous ne serions pas là. Il n’y aurait pas eu Sadler’s Wells et Danehill. Galileo lui-même a trois ascendants américains sur quatre, à la deuxième génération. Il y a actuellement une tendance à l’antiaméricanisme dans l’élevage européen. Je me souviens qu’un jour, monsieur Tabor m’avait dit : « Le marché réagit souvent de manière excessive. » Et c’est certainement ce qu'il s’est passé pour le sang américain. Lors des dernières ventes de Keeneland, je n’ai vu qu’un seul courtier français. Il y a dix ans, ils étaient tous là. Pourtant, on voit encore des chevaux capables de très bien s’adapter aux courses européennes, comme les produits de War Front. Giant’s Causeway et Johannesburg ont brillé sur le dirt. Cela n’a pas empêché leurs produits de gagner en Europe. Nous croyons beaucoup en War Front et lui avons envoyé de très bonnes juments.

Parmi vos jeunes étalons américains, lesquels pensez-vous être capables de jouer un rôle de premier plan sur le gazon ? Avez-vous envoyé des juments de turf à American Pharoah par exemple ?

Uncle Mo est déjà un étalon de haut niveau sur le dirt. Mais il est également capable de produire des chevaux de turf. Son pedigree a des références sur le gazon, étant issu de la lignée mâle de Grey Sovereign par l’intermédiaire de Caro. Sa mère est par Arch, un courant de sang qui a réussi en Europe. Nous allons importer en Irlande une partie de sa production. Nous allons également lui envoyer des bonnes juments par Galileo.

Nous avons également envoyé des juments à American Pharoah et souhaitons faire courir en Europe certains de ses produits. Bob Baffert, son entraîneur, est persuadé que s’il avait couru sur le turf, il aurait adoré cette surface. Il n’y a aucun doute sur ce sujet. C’est un cheval qui marche, qui se déplace comme un européen.

Les chevaux australiens sont-ils en train de remplacer les américains dans l’apport de vitesse et de sang neuf en Europe ?

Pas totalement. Mais l’intérêt est vif pour des chevaux comme Fastnet Rock ou Redoute’s Choice. C’est un cycle, car les ascendants de ces chevaux ont été importés en Australie. Pride of Dubai, un australien qui fera la monte chez nous en Irlande dès la saison prochaine, est par exemple issu d’une famille totalement européenne.

Il y a beaucoup de vitesse en Australie. Mais ils sont certainement allés trop loin dans ce sens. On voit qu’ils commencent à faire appel à des chevaux européens car les leurs manquent de tenue. Nous sommes en plein dans la mondialisation de l’élevage. Il faut être curieux et savoir regarder au-delà de sa zone de confort.

Quelle est votre activité en Amérique du Sud ? Quels types d’étalons envoyez là-bas ?

Nous louons des étalons dans cette zone. Au Chili, Verrazano officie au haras Pasa Nevada, Stay Thirsty au haras Don Alberto et Competitive Edge au haras Conento Viejo. En Argentine, Most Improved fait la monte au haras Rodeo Chico et Mastercraftsman au haras Firmamento. En règle générale, les éleveurs sud-américains sont attirés par les chevaux américains, car ils courent beaucoup sur le sable. Mais leur manière de les choisir est assez européenne. Ils cherchent des étalons avec des pedigrees très profonds, issus de vieilles familles. Le cheval phare dans cette région était Scat Daddy. Southern Halo a aussi très bien fonctionné. C’était un cheval américain, testé sans succès dans les courses européennes, qui avait été vendu en Amérique du Sud où il s’est révélé un bon étalon. Il a donc commencé à saillir aux États-Unis, où il a rapidement donné More than Ready, qui est lui-même devenu un étalon important. Les statistiques des chevaux américains sont excellentes à l’international. Leur taux de réussite est plus élevé que celui des australiens.

Comment établissez-vous vos plans de croisement ? Avez-vous un comité en interne ?

Monsieur Magnier est passionné par cette question. Après tant d’années consacrées aux chevaux de course, c’est certainement l’un des sujets qui lui tient le plus à cœur. Paul Shanahan, M. V. Magnier, Dermot Ryan, Harry King, Aidan O’Brien, David Wachman et moi-même y participons. Tout le monde donne son avis et monsieur Magnier tranche. Il est très ouvert d’esprit et cherche en permanence de nouvelles idées. Mais le principe est simple. Il faut que les reproducteurs soient complémentaires au niveau du modèle et du pedigree. Nous n’avons pas de base de données. Cela viendra peut-être un jour. Beaucoup de familles sont arrivées relativement récemment chez nous et nous achetons aux ventes. Cela limite donc pour l’instant la constitution d’une éventuelle base de données.

Élevez-vous les chevaux de manière rustique, en les laissant beaucoup dehors ? Avez-vous souvent recours aux mères de substitution ?

Cela dépend des conditions climatiques. Néanmoins, nous avons un terroir parfaitement adapté à l’élevage des chevaux, et une gestion très stricte des pâturages, ce qui permet de les laisser souvent à l’extérieur. Notre personnel est très compétent et expérimenté. Certains sont là depuis des décennies. C’est une chose que l’on ne peut pas acheter : l’expérience. Beaucoup de bons chevaux ont été élevés ici pour des clients. Les Magnier sont avant tout des fermiers, des éleveurs. Coolmore a été conçu par des terriens, des hommes de cheval. Ils ont des étalons depuis 1850. C’est ancré en eux. Ils ont beaucoup de recul sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas en termes d’élevage. En ce qui concerne les mères de substitution, nous les utilisons quand cela se révèle nécessaire. Par exemple avec des poulinières qui ne sont pas assez laitières ou qui ont des problèmes de santé. C’est un exercice très particulier et nous avons la chance d’avoir du personnel qui connaît bien cela. Ils font ça depuis toujours. Mais dans l’absolu, nous essayons de faire élever les poulains par leur propre mère.

La crise des courses en Allemagne et en Italie a-t-elle un impact sur votre activité ?

Ce qui arrive en Italie est très triste. Ce pays était un acteur important sur la scène internationale. Chaque année, ils envoyaient des centaines de juments en Irlande pour les faire saillir. Et ils achetaient aussi beaucoup de yearlings et de chevaux à l’entraînement. La crise italienne a donc un effet négatif sur l’ensemble de l’économie des courses à l’échelle européenne. Nous sommes tous affectés. Ceux qui en ont eu la possibilité ont délocalisé leur activité en France, en Angleterre ou en Irlande. Je pense néanmoins que la filière italienne va continuer à exister, mais à une échelle moins importante que ce qu’elle fut par le passé.

Les problèmes de la filière allemande nous touchent moins et leur situation est bien meilleure que celle de l’Italie. Traditionnellement, ils achètent moins et font moins saillir en Irlande que les Italiens. Ils ont des chevaux suffisamment qualiteux pour courir en France ou dans les îles Britanniques. Leur élevage a toujours une véritable valeur.

Le niveau des étalons National Hunt de Coolmore est remarquable. Quelques-uns pourraient même être les têtes d’affiche de certains haras orientés vers le plat. Quels sont les critères pour qu’un étalon rejoigne la cour des étalons d’obstacle, plutôt que celle des pères de chevaux de plat ?

La famille Magnier est présente sur le marché de l’obstacle depuis au moins cent cinquante ans. C’est quelque chose qui leur tient à cœur. Ils veulent que cette tradition se pérennise. Et pour cela, il faut proposer aux éleveurs de sauteurs de très bons étalons. Par le passé, les Magnier ont eu des grands sires, comme Deep Run, Fortina, Even Money… Comme partout, les éleveurs veulent toujours mieux.

Nous avons peut-être fait une erreur en plaçant Fame and Glory dans la cour des étalons d’obstacle, car il aurait également eu sa place sur le marché du plat. C’était un très bon cheval de course. C’est aussi un très beau sujet, qui a gagné un Gr1 à 2ans, 3ans, 4ans et 5ans. Il s’est classé deuxième du Derby de Sea the Stars. Mais en lui faisant courir – et gagner – l’Ascot Gold Cup, cela lui a fermé une partie de la jumenterie de plat. Derrick Smith et Michael Tabor ont avant tout pensé au sport. Ils voulaient gagner l’Ascot Gold Cup. C’est une course qu’ils aiment. Mais en faisant ce choix, sa valeur d’étalon pour le plat a été en quelque sorte sacrifiée. C’est la raison pour laquelle il est dans la cour des pères de sauteurs. Si vous allez au-delà de 2.400m, vous conditionnez un cheval pour devenir étalon d’obstacle. C’est le cas de Scorpion, qui a pourtant gagné deux Grs1 sur 2.400m.

Vous intéressez-vous aux étalons ayant gagné en obstacle qui sont de plus en présents en France ?

Si nous en trouvions un d’exceptionnel, pourquoi pas ! Mais ils sont très rares, voire introuvables. N’oubliez pas que Fortina, qui était né en France, s’était classé deuxième du Grand-Steeple Chase de Paris en 1946. Après son exportation, il a ensuite gagné le Cheltenham Gold Cup. Pour le compte de la famille Magnier, il est devenu un étalon très important. Il est le seul lauréat d’un Gold Cup de Cheltenham à avoir engendré un lauréat de cette épreuve, ce qu’il a fait à deux reprises.

Comment fait-on pour garder en bonne santé un étalon qui saillit plus de 250 juments par an ?

Pour les étalons d’obstacle, la saison est très longue et elle respecte plus facilement les chaleurs naturelles des juments, c’est-à-dire lorsque le climat est le plus clément. Ces dernières remplissent donc plus facilement. Les étalons sont également très bien suivis. Il faut qu’ils soient en parfaite santé. De plus, les vétérinaires se sont beaucoup améliorés. Mais n’oubliez pas que dans les années 1900, en Irlande, les étalons d’obstacle les plus populaires saillissaient beaucoup. Parfois plus de 150 juments. Les books limités, c’est une invention anglaise.

 

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