
Institution / Ventes - Élevage / 29.10.2016
ASSISES DE LA FILIÈRE ÉQUINE – TABLE RONDE NUMÉRO 1- L’œil humain ou technologique : l’avis des entraîneurs
ASSISES DE LA FILIÈRE ÉQUINE – TABLE RONDE NUMÉRO 1
L’œil humain ou technologique : l’avis des entraîneurs
Les 3es assises de la filière équine se sont tenues le 27 septembre, à Caen. Lors de cet événement organisé par Ouest France, cinq cents personnes étaient présentes. Trois tables rondes étaient notamment au programme. Nous revenons sur ces dernières avec les principales idées et déclarations, dans le cadre d’une série de comptes rendus, dont voici le deuxième épisode.
De la technique à la pratique. La première table ronde, "La médecine sportive du cheval – état des lieux des connaissances – pratiques émergentes et alternatives", était divisée en deux parties. Dans l’édition du 27 octobre, nous avons retracé les grandes lignes de la première partie. Pour accéder à ce compte rendu, cliquer ici.
Voici les principaux points de la seconde partie, où se sont exprimés les entraîneurs Jean-Claude Rouget pour le galop, Sébastien Guarato pour le trot, et Sophie Dubourg, directrice technique nationale de la Fédération Française d’Équitation, pour les sports équestres. L’intégralité de la conférence est disponible sur YouTube.
« Les capteurs ? Je ne sais même pas ce que c’est. » L’entraîneur palois gère un effectif d’environ 250 chevaux : 210 à Pau, d’autres au pré-entraînement chez Xavier-Thomas Demeaulte, d’autres au haras de Saint-Vincent où ils sont au repos. « Le matin, j’aime voir des chevaux aptes à suivre l’entraînement. C’est un entraînement de masse : il est difficile de faire de l’individuel. Nous avons une méthode, nous l’appliquons et cela ne se passe pas trop mal. Je suis arrivé assez tard à ce colloque, mais j’ai entendu parler du sujet du bien-être. Chaque entraîneur a sa méthode et, en ce qui me concerne, je ne supporte pas d’avoir un cheval fatigué ou pas bien. Quand c’est le cas, il part tout de suite au haras. J’aime avoir un cheval joyeux. Quand je vois les chevaux américains qui sont robotisés... J’ai l’impression de voir des courses virtuelles, c’est désagréable. » Concernant la question du bien-être, Sébastien Guarato a déclaré, un peu plus tard dans le débat : « Je pense que les chevaux de course sont parfois plus heureux que les chevaux de balade qui appartiennent à des gens de la région parisienne, ils vivent dans des cours, n’ont pas à manger, ne sont pas vermifugés et leurs pieds sont en mauvais état. Et ces gens-là nous donnent des leçons. Je ne suis pas d’accord. »
Sur l’utilisation de capteurs ou de nouvelles technologies, Jean-Claude Rouget a été assez clair : « Les capteurs ? Je ne sais même pas ce que c’est. J’ai l’impression moi-même d’être un vieux con. Je me suis installé quand j’avais vingt-quatre ans et j’étais un jeune con. J’avais un gagnant pour quatre partants en donnant du foin, de l’avoine et de l’eau. Aujourd’hui, nous avons fait des changements au niveau alimentation. Les résultats ne sont pas meilleurs, mais ils ne sont pas moins bons. Nous travaillons avec de meilleurs chevaux et 80 % d’entre eux sont dans l’argent. Je ne comprends pas moi-même ce que je fais. Je pense que nous avons un œil. J’ai fait de l’athlétisme au haut niveau entre quinze ans et vingt ans, du demi-fond, et cela m’a apporté plus que les capteurs. »
Pour Jean-Claude Rouget, son expérience personnelle dans le sport lui a été plus utile que ne pourraient l’être les nouvelles technologies : « Je suis né dans un haras, j’ai ça et la compétition dans la peau. Avec l’athlétisme, j’identifie mes chevaux à moi lorsque je courais à pied. C’est un problème de ressenti et j’essaye de ressentir ce qu’ils peuvent sentir. On courait naturellement, et c’est ainsi que j’aime avoir mes chevaux, qu’ils courent naturellement. Je préfère avoir un seul paramètre : ma méthode. Nous essayons de limiter les risques et nous nous en sortons pas mal. » Sébastien Guarato expliquait faire appel au vétérinaire pour ses meilleurs chevaux après course, pour faire des examens. Jean-Claude Rouget, lui, explique : « Si le cheval a un œil qui me parait normal après course, je ne fais aucun bilan. S’il n’a pas l’air de bien récupérer, je fais un test sanguin. »
Sophie Dubourg a de son côté expliqué : « Nous avons aussi une approche empirique, mais nous avons plus souvent recours aux soins et technologies dans les sports équestres. Infiltration, alimentation, équipementier… C’est peut-être plus méthodique, plus réfléchi, plus écrit. »
Faire confiance à son regard. Sébastien Guarato, entraîneur notamment de Bold Eagle (Ready Cash), a expliqué recevoir environ quatre-vingts chevaux par an, qui se retrouvent disséminés sur un de ses quatre sites : débourrage, qualifications et, sur les quarante qualifiés, il en garde cinq ou six, les meilleurs, qui viennent « à la maison. » Le travail commence sur piste ronde pour « travailler la musculation du cheval, les mettre bien dans les allures et trouver la bonne ferrure du poulain. Le trotteur, ce n’est qu’une question d’équilibrage. Trouver l’embouchure aussi. »
Sébastien Guarato a été le premier à prendre la parole pour répondre à une question portant sur l’éventuelle utilisation de capteurs le matin à l’entraînement pour l’aider dans son travail : « Je n’utilise pas trop de capteurs. Je gère mon écurie plutôt sur le ressenti, je connais mes chevaux par cœur. Tous mes chevaux travaillent de la même façon, sont nourris de la même manière. Quand cela ne marche pas, je le vois tout de suite et nous essayons de trouver pourquoi. Nous faisons à ce moment-là du cas par cas. Je ressens pas mal de choses avec mes chevaux : je suis tout le temps avec eux, mon œil me dit quand ça va ou ça ne va pas. (…) Je ne suis pas forcément très vétérinaire. Nous faisons plutôt du préventif, pas d’infiltration. Chez les trotteurs, il y a surtout l’importance de la maréchalerie. » Il a aussi souligné la professionnalisation du trot : « C’est aussi le travail des éleveurs qui doivent bien nourrir leurs chevaux, les "manier" de bonne heure. Au trot, il y avait aussi un problème d’éleveurs : ils élevaient les chevaux un peu "comme des vaches" et cela a changé. Ils sont devenus beaucoup plus comme dans le galop. »
L’œil peut tromper. L’œil et le ressenti peuvent cependant mentir, surtout avec les chevaux que l’on connait peu, comme l’a expliqué Sébastien Guarato : « Il a été acheté une certaine somme par Pierre Pilarski… Pas assez cher avec le recul. Si j’avais eu l’argent pour acheter Bold Eagle, je ne l’aurais pas fait. Il est très lymphatique le matin et il ne montrait rien. Le travail, il s’en foutait un petit peu. Ça se voit aux courses : avant, il est souvent au galop ou à l’amble et il se tend au moment de la course. Il sait quand il va courir. Il est intelligent. Je me serais trompé ! Son propriétaire m’a demandé, au tout début : "Comment va le crack ?" Et je lui ai dit : "Non, c’est seulement un bon cheval, je pense." Il s’est tendu avec ma méthode. C’est comme un cheval lambda : il mange comme les autres, il travaille de la même façon et je ne change pas, tant que ça marche. (…) J’ai une piste qui monte assez raide au début puis cela devient assez plat. On fait un échauffement de deux ou trois kilomètres, pas de "heat". Puis quatre montées de 600m chronométrées et quand ils font cela, souvent quand je vais à Vincennes, "c’est banania", on gagne. »
Une histoire de dosage. Jean-Claude Rouget a expliqué : « Mon entraîneur d’athlétisme à Laval m’a beaucoup appris sur la physiologie et la psychologie, ainsi que sur les limites. On imprime tout ça. L’entraînement, ce n’est qu’une histoire de dosage : il ne faut pas aller au-delà des limites. Il faut respecter le cheval et l’animal. » Sur une question concernant la formation de ses jockeys, l’entraîneur a expliqué : « Il faut imposer une méthode surtout pour les courses de débutants. Pour moi, c’est le jour le plus important de la vie d’un cheval et la première course a le droit d’être la plus "mauvaise" de sa carrière. Il ne faut pas gagner à tout prix. »
Un travail psychologique à tous les niveaux. Concernant l’importance de son personnel (environ soixante-dix personnes dont deux assistants-entraîneurs), Jean-Claude Rouget a expliqué : « J’écoute le retour des cavaliers de chaque cheval, car c’est une histoire de comparaison : est-ce qu’il est aussi bien que la veille, mieux, moins bien ? Mais il faut aussi faire attention, car il y a de grands optimistes qui trouvent que le cheval est bien, même s’il est boiteux, et de grands pessimistes pour lesquels il y a toujours un truc qui ne va pas. Il y a un gros travail psychologique à tous les niveaux. » Sébastien Guarato travaille lui avec vingt personnes, en comptant « la femme de ménage qui nettoie tout ce qui concerne la sellerie et me fait parfois de bons petits plats ». Comme beaucoup d’entraîneurs de trot, il se met lui-même au sulky de ses pensionnaires, regardant surtout du bord de la piste les jeunes poulains, pour voir leurs allures.
Concernant l’appel à des ostéopathes ou autres masseurs, Jean-Claude Rouget a expliqué : « Nous avons des propriétaires qui ont leur propre staff, comme les ostéopathes qui font donc le tour des écuries en France pour voir les chevaux. C’est par exemple le cas de Shadwell. » Même son de cloche du côté de Sébastien Guarato : un propriétaire peut envoyer un ostéopathe voir les chevaux.
Le contrôle anti-dopage : nécessaire et bienvenu. Sébastien Guarato a expliqué : « Il y en a beaucoup chez moi. Les vingt-cinq meilleurs chevaux de France sont contrôlés d’office tous les mois. Il y a aussi les contrôles sur l’hippodrome. Il est important d’avoir des contrôles anti-dopage. » Jean-Claude a ajouté : « J’aime que France Galop soit très strict sur les contrôles. Ce que je n’aime pas trop, ce sont les prises de sang la veille d’une grande course. Lors de l’intraveineuse, si le cheval bouge, cela peut poser problème. Mais plus il y a de contrôles, plus je suis content. (…) En 26.000 partants, j’ai eu deux chevaux positifs, sans que je puisse trouver une explication. Peut-être des boxes sales, qui n’ont pas été désinfectés ? Il y a cent-quarante hippodromes en France et c’est un grand miracle qu’il n’y ait pas plus de problèmes, pas plus de chevaux positifs par contamination. (…) La désinfection des boxes et des écuries est importante. Mon père n’a jamais eu une seule épidémie dans son écurie et il me disait : je ne vois qu’une seule chose, c’est que je désinfecte à la chaux tous les ans. À Pau, nous le faisons tous les deux ans. » Concernant ce problème de contamination, Sébastien Guarato a expliqué être vigilant chez lui pour qu’un employé qui suit un traitement n’aille pas contaminer accidentellement un cheval. « À Vincennes, mes chevaux sont toujours attachés. C’est pareil lorsqu’ils vont chez le vétérinaire. On n’est pas à l’abri que quelqu’un ait uriné dans un box, par exemple… »
Des "heats" au galop ? Au trot, le cheval est longuement échauffé avant la course, pouvant faire trois "heats" selon ses besoins. En plat, cela n’existe pas, et selon Jean-Claude Rouget, c’est une erreur. En obstacle, il n’y a pas de "heat" non plus, juste la haie d’essais que les chevaux de certains entraîneurs évitent notamment parce qu’ils n’ont pas eu le temps de se chauffer suffisamment avant de la sauter. Jean-Claude Rouget a expliqué : « Nous ne chauffons absolument pas assez nos chevaux au galop. Il est inimaginable qu’un cheval qui part le vendredi matin pour courir à Saint-Cloud le samedi n’ait pas fait de canter depuis le jeudi matin. De plus, s’il court sur les 2.100m de Saint-Cloud, il fait 300m en sortant du rond pour rejoindre les boîtes. Chez les trotteurs, c’est ancestral. Au galop, on n’imagine même pas comment nous pourrions faire cela sur un hippodrome. Sauf à Deauville où on peut faire un canter le matin durant le meeting. On me dit que je gagne plus de courses à Deauville que partout ailleurs : le secret est peut-être là. »
Ne pas faire du cheval un chien. Cette table ronde s’est conclue sur l’intervention de William Kriegel, fondateur du Haras de la Cense et pionnier de l’équitation éthologique. Il a notamment expliqué : « Le cheval est passé d’outil à instrument de loisir, d’où la demande du grand public pour cette relation avec l’animal. Je pense que le bien-être n’est pas un produit en lui-même, mais un marché. Les gens cherchent aujourd’hui à respecter l’animal et à le comprendre. La filière doit anticiper cela. Il y a une vraie attente des citadins sur la relation avec le cheval et le bien-être. Mais si nous leur demandions une définition, cela nous amuserait. Il faut éduquer le public pour ne pas subir un cahier des charges non réaliste. Il ne faut pas attendre qu’il réagisse de manière irrationnelle. Il faut éviter de faire du cheval un chien amélioré ce qui serait, selon moi, le plus grand drame que l’on puisse avoir. »
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