
Élevage / 19.10.2016
Aux origines de... la fin de la lignée mâle de Mill Reef ?
AUX ORIGINES DE…
par Adrien Cugnasse, journaliste à Jour de Galop
Fin juillet, les Aga Khan Studs ont annoncé la retraite de Dalakhani (Darshaan). Cet étalon est une rareté à plus d’un titre. Son pedigree est indemne du sang de Northern Dancer. Il est également l’un des rares gagnants de Gr1 sur 2.400m du top 50 des étalons européens. Mais ce n’est pas tout. Il est aussi et surtout l’un des derniers représentants de la lignée mâle fondée par Mill Reef (Never Bend) dans les années 1970. Dès lors, on peut se poser la question suivante : sommes-nous en train d’assister à la disparition d’une lignée mâle ? En piste et au haras, Mill Reef a écrit certaines des plus belles pages du sport hippique.
Une des plus belles saisons classiques du XXe siècle. Rares sont les générations qui comptent deux très grands chevaux. C’est pourtant le cas de celle des 3ans de la saison 1971. Elle fut dominée outre-Manche par deux poulains exceptionnels : Mill Reef et Brigadier Gérard (Queen's Hussar). Dans le top 10 des meilleurs ratings attribués par Timeform au cours de l’histoire, Brigadier Gérard est troisième avec 144, entre Sea Bird (Dan Cupid) et Tudor Minstrel (Owen Tudor). Mill Reef occupe la septième place de ce classement. Crédité d’un rating de 141, il est entouré par Ribot (Tenerani) et Dancing Brave (Lyphard). Cela situe le niveau de la génération classique née en 1968, qui est la seule à être doublement représentée dans ce top 10. Les deux cracks se sont affrontés une seule fois, dans les 2.000 Guinées. Sur 1.600m, une distance alors considérée comme idéale pour Brigadier Gérard, ce dernier dominait son grand rival de trois longueurs.
Brigadier Gérard, un palmarès rare. Brigadier Gérard a couru pendant trois saisons pour 17 victoires en 18 sorties. Invaincu à 2ans, il était un véritable miler, mais sa classe supérieure lui avait permis de s’imposer sur 2.400m, dans les "King George". Son palmarès compte les St. James's Palace Stakes, les Queen Elizabeth II Stakes (deux fois), les Champion Stakes (deux fois), les Eclipse Stakes, les Middle Park Stakes, les Lockinge Stakes, les Prince of Wales's Stakes et les Sussex Stakes. Sa seule défaite fut sa deuxième place dans le Benson & Hedges Gold Cup (aujourd’hui renommé International Stakes). Cette épreuve fut menée à un rythme très soutenu, et Roberto, lauréat du Derby et avantagé de 12 livres, mit fin à l’invincibilité de Brigadier Gérard, qui était souffrant ce jour-là. Le record de la piste fut battu par les deux premiers.
Mill Reef, une histoire de dessous. En 1969, l’éleveur et propriétaire américain Paul Mellon fut confronté à un choix difficile. Dans un lot de poulains exceptionnel – qui comptait aussi Run the Gantlet (Tom Rolfe), le champion turf horse de l’année 1971 outre-Atlantique – il devait désigner ceux destinés à courir en Europe et ceux qui allaient rester aux États-Unis. Son entraîneur, John Elliott Burch, fit remarquer que le jeune Mill Reef était presque long jointé et que ses dessous n’étaient pas ceux d’un cheval de dirt. Le destin du poulain fut ainsi scellé : direction l’Angleterre. Paul Mellon avait acheté sa troisième mère, Red Ray (Hyperion), dans ce pays, pour une somme considérable à l’époque (12.000 Guinées). Hélas, bien qu’extrêmement bien née, cette jument inédite n'eut pas une descendance à la hauteur de l’investissement, avec notamment de nombreux poulains ne parvenant pas à s’adapter aux méthodes d’entraînement américaines, d’où des problèmes de santé récurrents.
Un cheval de course exceptionnel. Sur la terre de ses ancêtres, Mill Reef ne tarda pas à montrer d’exceptionnelles dispositions sous la férule de Ian Balding. À 2ans, après avoir survolé ses premières sorties en Angleterre, son entourage décida de l’envoyer en France pour participer au Prix Robert Papin. Après un voyage catastrophique, où le poulain perdit 18 kilos, il fut battu par My Swallow (Le Levanstell), qui est considéré par Timeform comme le quatrième meilleur 2ans de l’histoire des courses anglo-irlandaises. La suite de la carrière de Mill Reef fut exceptionnelle, bien qu’émaillée par des soucis de santé. Il a gagné douze courses, dont le Prix de l'Arc de Triomphe, le Derby d'Epsom, les "King George", le Prix Ganay et les Eclipse Stakes. L’élève et représentant de Paul Mellon avait hérité de la vitesse et de la précocité de son père, Never Bend (Nasrullah) et de la tenue de sa famille anglaise. Mill Reef a gagné six Grs1 consécutifs et il a fallu attendre plusieurs décennies, avec Rock of Gibraltar (Danehill) dans les années 2000, pour retrouver une pareille succession de victoires. Ian Balding, son entraîneur a dit : « C’est tout simplement le meilleur cheval de course que j’aie vu de ma vie. » On peut le qualifier de crack, mais sur le plan sportif, c’est Brigadier Gérard qui remporte la partie, comme en témoignent leurs trois points d’écart au Timeform rating.
La presse tire à boulets rouges sur le jeune étalon. Les premiers pas au haras de Mill Reef furent handicapés par les vestiges d’une blessure aux antérieurs survenue à l’entraînement. Son premier book de juments – au National Stud – fut donc limité à 20 prétendantes. Sa première génération, née en 1974, ne comptait que onze poulains, dont Millionnaire, lauréat du Queen's Vase (alors Gr3 sur 3.200m). Les commentaires négatifs furent légion. Sa deuxième année de production, elle aussi issue de jument triées sur le volet, fut celle d’Acamas (Prix du Lupin et Jockey Club), d’Idle Waters (Park Hill Stakes) et de Shirley Heights (Derby anglais, Derby irlandais). Malgré ces trois chevaux de classe, les commentaires ne cessaient de se durcir. Le spécialiste des questions d’élevage de Sporting Life écrivait alors : « La médiocre victoire de Shirley Heights, ce samedi dans la boue des Royal Lodge Stakes a donné bien des espoirs aux admirateurs de son père, Mill Reef. Les produits de cet étalon se sont jusqu’à présent montrés très décevants. Il faudra bien plus qu’une victoire de Stakes peu impressionnante pour justifier que ce gagnant d’"Arc" mérite de faire la monte à 15.000 Guinées. Et encore plus s’il veut laisser une trace significative dans le stud-book. » La petite taille de Mill Reef lui a également porté préjudice. Andrew Caulfied s’était entretenu à cette époque avec Seth Hancok, de Claiborne Farm. Son père, le célèbre Arthur B. Hancok Junior, qui venait de disparaître, était reconnu comme particulièrement doué pour trouver de nouveaux étalons (dont Nasrullah et Princequillo). Seth Hancok avait expliqué : « Avant que mon père disparaisse, il m’avait dit que Mill Reef avait le profil idéal pour faire la monte à Claiborne. Il ne l’avait jamais vu mais il était très impressionné par ses performances. Et il aurait certainement sollicité monsieur Mellon pour que le cheval vienne chez nous. Je suis allé voir Mill Reef. Et je suis vraiment heureux qu’il ne soit pas dans notre cour d’étalons. » L’histoire n’allait pas tarder à donner cruellement tort à ces détracteurs.
Mill Reef gagne la bataille de l’élevage. Paul Mellon avait refusé des offres américaines et laisser un tel cheval en Europe était un acte symbolique. Vingt parts de Mill Reef – c’est-à-dire la moitié du cheval – furent vendues au tarif de 50.000 livres. Parmi les porteurs de parts, on trouvait alors Son Altesse l’Aga Khan, le baron Guy de Rothschild, le comte Roland de Chambure, Alec Head, la comtesse Batthyány et madame Dupré. Pendant ses treize années de monte, il a donné 394 poulains, dont 18 lauréats de Gr1 et deux gagnants du Derby. Mill Reef fut tête de liste des pères de gagnants en Grande-Bretagne et en Irlande en 1978 et en 1987. La carrière d’étalon de Brigadier Gérard fut beaucoup plus modeste, malgré les succès de Light Cavalry (St. Leger Stakes) et Vayrann (Champion Stakes). Par l’intermédiaire de son fils Général, Brigadier Gérard est encore parfois présent. On le retrouve par exemple chez Pioneerof the Nile (le père d’American Pharoah) et Raven’s Pass (Elusive Quality). Au haras, c’est donc très clairement Mill Reef qui a remporté le duel face à Brigadier Gérard.
LES MEILLEURS PRODUITS DE MILL REEF
- ACAMAS (mère par Abdos) - Prix du Jockey Club & Prix Lupin (Grs1)
- BEHERA (mère par Bustino) - Prix Saint-Alary (Gr1)
- CREATOR (mère par Habitat) - Prix d'Ispahan & Prix Ganay (Grs1)
- DIAMOND SHOAL (mère par Graustark) - Grand Prix de Saint-Cloud, Gran Premio di Milano & Grosser Preis von Baden (Grs1)
- DOYOUN (mère par Kashmir II) - 2.000 Guinées (Gr1)
- FAIRY FOOTSTEPS (mère par Relko) - 1.000 Guinées (Gr1)
- GLINT OF GOLD (mère par Graustark) - Grand Prix de Paris, Grand Prix de Saint-Cloud, Derby italien, Gran Criterium, Grosser Preis von Baden & Preis von Europa (Grs1)
- IBN BEY (mère par High Top) - Irish St Leger, Gran Premio d'Italia, Der Grosse Preis der Berliner Bank & Preis von Europa (Grs1)
- KING OF CLUBS (mère par Buckpasser) - Premio Emilio Turati (Gr1)
- LASHKARI (mère par Right Royal V) - Breeders' Cup Turf (Gr1)
- MAROONED (mère par Lorenzaccio) - Sydney Cup (Gr1)
- MILLIGRAM (mère par Rarity) - Queen Elizabeth II Stakes (Gr1)
- PARIS ROYAL (mère par Kythnos) - Oaks d'Italie (Gr1)
- PAS DE SEUL (mère par Star Moss) - Prix de la Forêt (Gr1)
- REFERENCE POINT (mère par Habitat) - Derby d’Epsom King George VI & Queen Elizabeth Stakes, St Leger Stakes & Futurity Stakes (Grs1)
- SHIRLEY HEIGHTS (mère par Hardicanute) - Derby d’Epsom & Derby d’Irlande (Grs1)
- STAR LIFT (mère par Chaparral) - Prix Royal Oak (Gr1)
- WASSL (mère par Tudor Melody) - 2.000 Guinées (Gr1)
Deux étalons actifs dans le top 100 européen. Shirley Heights est responsable de la pérennité de la lignée mâle de Mill Reef, dont il fut certainement le meilleur fils au haras. Il est à l’origine des trois représentants de cette lignée dans le top 100 actuel des étalons européens : le désormais retraité Dalakhani, Lord of England (Dashing Blade) et Sir Percy (Mark of Esteem). Dalakhani a plusieurs fils étalons, dont Centennial (qui officie dans l’Indre) et Reliable Man, le lauréat de l’édition 2001 du Prix du Jockey Club (Gestüt Röettgen en Allemagne). Sir Percy (Lanwades Stud), a gagné les Dewhurst Stakes (Gr1) et le Derby. Il est le père d’un gagnant de Gr1 aux États-Unis. Lord of England (Gestüt Etzean) est l’un des rares étalons du top 100 à être indemne du sang de Northern Dancer. Il a donné Feodora, la gagnante de l’édition 2014 du Preis der Diana (Gr1), et Isfahan, le lauréat du Derby allemand 2016.
Malgré les qualités et la réussite de ces différents étalons, dans le contexte actuel de l’élevage, il n’est pas certain qu’ils aient la possibilité de pérenniser la lignée mâle de Mill Reef. Ce courant de sang est pourtant largement présent dans les pedigrees. Six des onze Grs1 qui ont déjà été courus en France cette année ont été gagnés par des descendants de Mill Reef, dont les deux "Poules", le "Jockey Club" et le "Diane". C’est également le cas du Derby anglais, du Derby irlandais, ainsi que des 1.000 Guinées anglaises et irlandaises. On n’a donc pas fini d’entendre parler de Mill Reef !
Un courant de sang très présent en obstacle. Mill Reef est très présent chez les sauteurs. On le trouve par exemple deux fois dans l’ascendance de Barizan (triple lauréate de Gr1), Chimère du Berlais (Grande Course de Haies des 3ans), Kauto Star (multiple lauréate de Gr1), Nickname (double lauréat de Gr1 et père de nombreux gagnants)… Mill Reef est présent chez la moitié des quinze meilleurs étalons français (classement du 3 août 2016). Son fils Garde Royale a une influence considérable sur la spécialité.
TOP 15 DES ÉTALONS D’OBSTACLE EN FRANCE
Rang Étalon Présence de Mill Reef dans le pedigree
1 POLIGLOTE 0
2 SAINT DES SAINTS 0
3 MARTALINE 1
4 KAPGARDE 1
5 NICKNAME 2
6 BALLINGARRY 0
7 BALKO 1
8 NETWORK 0
9 CALIFET 0
10 ASTARABAD 1
11 VOIX DU NORD 1
12 GREAT PRETENDER 1
13 TURGEON 0
14 AL NAMIX 0
15 SOLDIER OF FORTUNE 0
Vous aimerez aussi :

LE TOUR DES HARAS : Le haras de Saint-Pair, un élevage naturellement performant
Les statistiques de l'élevage d'Andreas Putsch sont impressionnantes : dans la génération 2019, 90 % des chevaux ont couru, 70 % ont gagné et 30 % sont...
11 août 2023
Good Guess rejoint son père Kodiac à Tally-Ho
Il aurait certainement pu continuer à courir. Mais Good Guess va entamer sa seconde carrière dès 2024 à Tally-Ho Stud. Un tarif de monte sera ulté...
13 septembre 2023