Le billet d’humeur d’un Président amoureux des chevaux et des courses - Par Patrick Lapique, Président de la société des courses de Tarbes

Courses / 29.10.2016

Le billet d’humeur d’un Président amoureux des chevaux et des courses - Par Patrick Lapique, Président de la société des courses de Tarbes

Le billet d’humeur d’un Président amoureux des chevaux et des courses

Par Patrick Lapique, Président de la société des courses de Tarbes

« J’étais derrière un portail fermé, couvert de rouille, âgé de onze ans. L’entrée de l’hippodrome, un bruit, des cris, des hurlements, un bruit de fusée, la vitesse des couleurs, un bruit lourd, profond, dur qui transperce le sol, les chevaux qui passent, passés, comme une peur.

Ce spectacle fort et dur me tenaille depuis ce portail, un dimanche.

Je suis rentré un autre jour par ce même portail ouvert pour faire voler un Stuka vert camouflage, au milieu de l’hippodrome abandonné. Il n’a jamais volé, pourtant mes deux parrains de modélisme étaient mon père et Monsieur Auburgan, juste avant qu’il n’habite à l’American Park. C’est-à-dire la rue à côté de chez moi où je buvais souvent chez lui un Rivesaltes qui me rendait heureux, à le voir, à soixante-seize ans mimer à son épouse, ex-Mademoiselle Lacassie, leurs caresses de jeunesse d’un clin d’œil qui est devenu mon deuil.

Le stuka a aujourd’hui une aile cassée comme par un combat, mais il est toujours chez moi, avec son moteur neuf et son prix qui me laissait le complexe d’un enfant riche au point de tout cacher.

Et devant les tribunes de l’hippodrome ce même jour, mon père m’a provoqué avec un ballon de rugby en tapant des ballons hauts pour savoir si je rattrapais ses chandelles ou si je me dérobais à recevoir le choc lourd d’un ballon en cuir avec un effet d’uppercut sur mon menton. J’eus la fierté de tout attraper et en renvoyant au pied le ballon, j’ai su que j’étais vraiment gaucher. Je m’étais entraîné, mais sans la peur de décevoir mon père qui avait joué au rugby pendant la guerre à Bazas. Il ne m’a rien dit, ses yeux fiers et mouillés.

J’ai laissé là les chevaux de courses jusqu’au jour où je les ai retrouvés, théorisés dans le pronostic de Saintville (je crois) paru dans le journal Sud Ouest pour le prix d’Amérique gagné par la grande Roquepine.

Le pronostic donnait Emma, Oscar RL dit "le petit lapin", et le cheval russe Apex Hanover.

Mon père et moi avons lu tout ça au café des Lilas, au Marcadieu, il a joué, a confondu les numéros, c’était sa première fois, et nous avons gagné par cette erreur liée à la chance du débutant, avec toute la France, notre premier tiercé.

J’étais versé dans le trot uniquement avec les Petit Amoy F, Tiki R, Ruy Blas IV, Tony M. La réouverture d’Auteuil l’hiver me paraissait un délice froid et mondain sous la voix de Léon Zitrone qui me laissait imaginer les diners de victoire de Madame Stern ou autres propriétaires victorieux cités. C’est comme cela que je comprenais Paris.

Puis j’ai acheté tous les journaux de courses qui fleurissaient, dont ce journal, publiant jusqu’à trois éditions pour le tiercé hebdomadaire du dimanche. Ma boulimie m’amenait à attendre l’ouverture du bureau de tabac presse jouxtant ma maison, afin de cueillir les journaux avant même leur mise en rayon. Toute ma connaissance était livresque, n’ayant jamais vu un cheval sur un hippodrome, ni au pré, ni au box, du reste j’en avais peur et longtemps.

Je me suis alors immergé dans les méthodes de tiercés avec Stato tiercé et surtout Écart Zéro, où j‘ai appris précisément la théorie des écarts en tous domaines, poids, numéros à la corde, retard d’écart, etc. J’ai même gagné des tiercés en suivant les émissions sur le tiercé, pilotées par Alain Jerôme. Merci pour Polyxo à Auteuil.

Puis j’ai compris que les mêmes chevaux ne courent pas la même valeur, en terrain sec ou en terrain lourd. Et contre toute la presse, j’ai joué Ladoga III à Auteuil en terrain très lourd, où il est arrivé troisième. J’ai toujours joué les clins d’œil organisés ou de hasard, notamment Barrabas le lundi de Pâques pour mon plus beau tiercé. Je ne connaissais pas sa cote au ciel…

Et un mercredi de mes années de faculté j’ai convaincu un groupe de copains de prendre une carte étudiant pour aller jouer en obstacle, sur l’hippodrome de Pau.

Comme à Marseille, l’entrée était peu chère, mais nous cantonna au pesage, c’est-à-dire au centre de l’hippodrome, près ou dans la buvette, avec les poivrots, les paumés qui hurlaient à la mort, et la vieille qui en vingt-cinq ans n’avait jamais vu une course, parce qu’elle tenait la buvette.

Mon premier cheval, en vrai justement, je l’ai vu chez elle, quand Margoulette a dérobé et est entrée dans la buvette en fracassant les tables, les chaises et les étagères, et ma tournée de blanc vitriol servie sur le bar. La vieille était par terre et moi coincé contre le mur. C’est long de voir partir un cheval qu’on n’a pas joué.

Au deuxième passage de cette course devant la buvette, galopait, détaché en tête, un cheval monté d’une casaque rouge, Igon, qui fut le premier vainqueur gravé dans ma mémoire. Je le croyais invincible, et quinze jours plus tard, il a fini cinquième des mêmes chevaux. J’ai compris qu’aux courses, la seule certitude c’est l’incertitude. Il portait la casaque rouge de La Marquise de Moratalla. Je ne savais pas qu’un jour nous passerions une journée de courses ensemble sur l’hippodrome du portail rouillé que je présidais.

Concernant mon avenir dans les courses, le destin m’avait dit presque oui, en la personne de Fernand Quinternet, alors rédacteur en chef du journal nº 1 des courses, Sport Complet.

Avisé de ma passion par une vieille cousine de Montgaillard qui y était sa voisine, il me fixa un rendez-vous chez moi, un jeudi matin après la chasse à la palombe qui lui faisait quitter Paris.

Il pensait me faire étudier dans la capitale, puis me former au journalisme des courses et m’embaucher ; mais il est tombé de la palombière et s’est tué. C’était presque mon destin.

Mon vrai destin est le cheval de course qui a décidé de mes grands rendez-vous, mon métier d’avocat, mes voyages, le Maroc, ma femme, mon fils, la vie, Deauville, la Normandie, Chantilly et mes moitiés de chevaux de courses, courant partout de Toulouse, à Paris, Lyon, Deauville, des souvenirs qui sentent l’air de la corniche à Marseille, et au tournant, l’exceptionnelle bouillabaisse de Chez Michel où après seulement deux visites, les vieux serveurs en galons dorés et livrets blancs me demandaient « si elle est bonne, Monsieur Patrick ».

Il faut dire que mon initiateur à cette sublime bouillabaisse était Jean Claude… Rouget. Et en plus, après le Pouilly fumé nous allions gagner à Borelly.

J’ai aussi compris que le cheval de course c’est de l’ego plus de l’ego plus de l’ego, la possibilité pour un roturier de choisir les couleurs d’un Chevallier, en choisissant sa casaque.

Le même ego fait confondre la qualité du cheval avec celle de son propriétaire, sauf pour un qui a choisi de défiscaliser ses revenus en cumulant les défaites et les pertes. Le "cheval de Trois", un tu cours, un tu perds, un tu es expert en perte, ce qui le rend mûr pour concourir en chanson, à l’Eurovision.

Les courses c’est la vie, en larmes, paillettes et émotion, lâche et de parole, traitre et fidèle, un panthéon de cons dont chacun exclut son nom, une usine à rumeurs, une cuillère pour vider la mer, et toujours Tabor, Tabor, Tabor, qui quand il ne produit pas les gagnants, les achète après la course et que finalement le gagnant c’est un Tabor, sauf que j’avais un cheval gagnant qui s’appelait Tabor et qu’il ne m’a pas acheté.

J’ai compris également qu’aux courses, le foin, c’est le blé et que le blé c’est de l’oseille, et qu’on finit vite sur la paille, sans oseille pour payer le foin.

Tout le monde le sait, mais aux courses on n’est pas tout le monde, ce qu’on mesure réellement, au nombre de ses accompagnants, le jour de son enterrement, si on meurt à moins de cent ans, pas comme le vieux Barthe, qui n’avait plus de copains depuis cent ans.

Les courses c’est l’état du terrain, vous aimez le printemps, il est cette année pluvieux à pourrir un tapis de lilas, vous aimez l’été, votre mort est dans ses yeux, il est noyé au lieu d’être sec, l’automne foudroie les fleurs de son soleil, on sera bientôt sous les lianes. J’attends la pluie pour mouiller mon pain sec. Tout ce que veut votre cheval, il ne sait pas vous le dire : du pré, du pré, du pré…

Les courses c’est pas Chantilly le jour du Diane, partout.

Toutes les marquises ne sont pas exquises, les baronnes girondes, les femmes de médecin, infirmières. Il y a des femmes qui tournent le cheval, la tête de l’entraîneur, la salade du lad. Et tout ce monde fait le rond de présentation.

Tous cherchent des tuyaux à donner comme un sorcier ou un pruneau par une Agenaise qui ne distancerait pas vos allures irrégulières. Un vrai tuyau : jouez l’entraîneur dont la cravate moche reproduit ton sur ton la casaque de son propriétaire, au rond de présentation, c’est qu’il y croit encore plus fort que son banquier pour combler son découvert ou colorer le bonheur de gagner.

Les courses c’est un blues, j‘y mets mes joies, j’y mets mes peines, un jour de pluie, un soleil gagnant, un mistral perdant, le galop d’un cheval bai, les naseaux fumants qui se détachent de trois chevaux.

Ce cheval, je l’ai rêvé tout petit, je l’ai vu gagner, je suis Écart 943, je ne trouve plus Écart Zéro, ce cheval n’a plus ma casaque, mais toutes les casaques que portent tous les chevaux qui courent derrière mon écran Sony, assis dans les tribunes de mon salon, ni rêveur, ni blasé, ni comblé, un peu beaucoup comme la vie. »