RAIMONDISSIMO - Stayers, tenir… à cœur

Courses / 20.10.2016

RAIMONDISSIMO - Stayers, tenir… à cœur

 

Les cinq grandes courses pour stayers (St Leger, Prix Royal Oak, Irish St Leger, Gold Cup et Prix du Cadran) se sont disputées 155 fois durant la période 1984-2014 et elles ont donné 121 gagnants différents. La liste est longue. On y trouve des légendes comme Yeats (Sadler’s Wells), Vinnie Roe (Definite Article) et Vintage Crop (Rousillon), des champions de la taille de Westerner (Danehill), des spécialistes qui ont dansé un jour et des vétérans forgés par les batailles, grandes origines et pedigrees obscurs.

1984, avant et après. Parmi les 121 gagnants, 73 sont des mâles, 27 des hongres et 21 des femelles. Concernant les mâles, on sait qu'après une carrière de stayer, et ce même pour les meilleurs, toute carrière d'étalon n'est axée que sur l'obstacle. Ce n’est donc pas une surprise qu’aucun de nos 73 gagnants n’aient produit un lauréat des cinq grandes courses. Plusieurs ont réussi une belle carrière comme étalons d’obstacle ou sont encore à juger dans ce métier, d’autres ont trouvé leur coin de paradis ailleurs, comme Nedawi (Rainbow Quest), devenu un reproducteur haut de gamme au Brésil.

On peut parfois trouver, au palmarès des cinq grandes courses, des fils issus de stayers gagnants des cinq top-marathons courus avant 1984. C’est le cas de Niniski (Nijinsky), lauréat du Royal Oak et de l’Irish St Leger en 1979, qui a donné Hernando, le gagnant du Jockey Club 1993 ou encore le champion allemand Lomitas, mais aussi de lauréats de Gr1 de tenue comme Assessor (Royal Oak et Cadran), Minister Son (St Leger), San Sebastian (Cadran). Bustino (Busted), gagnant du St Leger 1993, a donné Paean (Gold Cup 1987) ; Matahawk (Sea-Hawk) s’était imposé dans le Grand Prix de Paris, sur 3.000 mètres, avant de produire Neustrien (Cadran 1984). Le champion argentin Forli (Aristophanes) n’était pas considéré comme un cheval de fond ni comme un étalon de tenue, mais il avait gagné le Carlos Pellegrini sur 3.000m et a produit Sadeem, double lauréat du Gold Cup en 1988 et 1989.

Sur le marché des étalons, un cheval ayant gagné sur plus de 2.400m est pénalisé. Au niveau commercial, le marché de l’obstacle offre des bons retours, mais à long terme, le risque est de gaspiller des ressources, en passant à côté d’étalons qui auraient mérité plus d’opportunités.

Et chez les femelles? Parmi les 21 femelles qui ont réussi au niveau Gr1, Be Fabulous (Samum), Estimate (Monsun), Molly Malone (Lomitas) et Voleuse de Coeurs (Teofilo) sont encore trop jeunes pour être jugées. La première avait ouvert son palmarès au mois d’avril de ses 4ans – en 2011 – dans une course pour amateurs à Lisieux, avant d’afficher une progression spectaculaire pour gagner le Royal Oak six mois après. Elle a une pouliche de 2ans par Shamardal nommée Glamour Queen et à l’entraînement chez André Fabre. Molly Malone, placée de Listed à 3ans, a gravi les échelons à 4ans sous la férule de Mikel Delzangles. Son première produit, une pouliche de 2ans, fut acheté foal par Godolphin (350.000 euros) à Arqana, le deuxième est un mâle yearling par Exceed and Excel acheté en août à Deauville pour 160.000 euros par Pascal Bary et le troisième est une autre femelle, par Makfi. Estimate, l’héroïne du Gold Cup 2013, a produit en février son premier foal pour Sa Majesté la reine d’Angleterre, un mâle par Dubawi. Voleuse de Coeurs, quant a elle, après son succès dans l’Irish St Leger 2013, n’a pas vraiment réussi en Australie et a effectué son retour en Irlande en février 2015 où elle a rendu visite à Sea the Stars.

Jument                      Père            Produit 2014     Produit 2015               Produit 2016

Montare                    Montjeu      -                         F. Mastercraftsman     M. Oasis Dream

Allegretto                 Galileo        -                         F. Dansili                    M. Mastercraftsman

Be Fabulous             Samum       f. Shamardal      F. Dubawi                   M. Shamardal

Molly Malone           Lomitas      f. Shamardal      M. Exceed and Excel F. Makfi

Estimate                   Monsun      -                         -                                  M. Dubawi

Voleuse de Cœurs    Teofilo        -                         -                                  (Sea the Stars)

Des jolies surprises… Il nous reste 17 femelles ayant gagné une des cinq courses de référence et ayant au moins trois produits en âge de courir. Les détracteurs de la tenue seront étonnés de découvrir que quatre d’entre elles ont donné un gagnant de Gr1, quatre autres un lauréat de Groupe ou placé de Gr1, et enfin trois dernières ont brillé avec leur production au niveau Stakes.

Ebadiyla (Sadler’s Wells), lauréate du Royal Oak 1997, a produit Eyshal (Green Desert) gagnant de Gr3 à Hongkong, mais aussi Ebaziyan (Daylami), qui s’est imposé dans le Supreme Novices Hurdle (Gr1) à Cheltenham. La doyenne de notre quartet est Oh so Sharp (Kris). C’est vrai… Elle n’était pas une jument de tenue mais une championne, la dernière capable de remporter trois classiques en Angleterre. C’était en 1985, une grande année des pouliches. Ses victimes furent Al Bahathri (Blushing Groom) dans les 1.000 Guinées et Triptych (Riverman), laissée à six longueurs dans les Oaks. Oh So Sharp fut envoyée sur le St. Leger après avoir trouvé sur son chemin Petoski (Niniski) dans les King George VI and Queen Elizabeth Stakes, et Commanche Run (Run the Gantlet) dans le Benson & Hedges Gold Cup. Elle n’avait pas grand chose à battre et elle l’a finalement fait avec courage, devançant Phardante (Pharly) et Lanfranco (Relko), qui avait assuré à la course un train sélectif. C’était la victoire d’une championne arrivée "cuite" en fin de saison, pas celle d’une jument de classe mais un peu juste en termes de tenue.

Un petit-fils et le St Leger. Oh so Sharp a donné une gagnante de Gr1 avec son troisième produit, la pouliche Rosefinch (Blushing Groom), lauréate du Saint-Alary. Elle n’était pas une autre Oh so Sharp, mais elle a bien produit et quatre de ses filles ont donné aux moins un cheval de Stakes. Shaima (Shareef Dancer), le deuxième produit d’Oh So Sharp, a gagné le Long Island Handicap, un Gr2 avec un palmarès de Gr1. Son premier poulain, Shantou (Alleged), a pris la troisième place dans le Derby onze jours après avoir remporté son maiden et, en septembre, il a gagné le St Leger. Un cheval de tenue ? Oui, dans le sens positif : il a gagné sur 2.400m le Gran Premio di Milano et le Gran Premio del Jockey Club et il a produit une gagnante du Prix Vermeille (Sweet Stream). Oh So Sharp a passé un peu de sa classe et de sa tenue.

Les filles du Cadran… Mercalle (Kaldoun) a ouvert son palmarès un 1er août, à 2ans, dans un maiden sur 1.200m à Durtal. Elle a découvert la région parisienne un an après, prenant la troisième place dans le Prix Minerve (Gr3) à Évry. C’était une pouliche "diesel" et elle l’a démontré avec un canter dans le Prix du Cadran, alors disputé en mai. La tenue était déjà démodée en 1990 et Mercalle a terminé sa carrière pour la casaque de Raymond Le Poder deux ans après, en se classant quatrième à Landivisau.

C’était la retraite et tout de suite, à l’issue d’une saillie un mois et demi après sa dernière sortie, Mercalle a donné une pouliche grise par Fabulous Dancer. Patrick Barbe l’a achetée à Deauville pour Teruya Yoshida. Au Japon, elle a gagné coup sur coup ses trois premières courses, y compris le New Zealand Trophy (Gr2) sur 1.400m. Son objectif classique était le NHK Cup (Gr1) sur 1.600m mais, favorite, elle a terminé nulle part. Son entourage a alors décidé de la rallonger sur 2.000m et Fabulous la Fouine – tel est son nom – a gagné le Shuka Sho – 3e étape de la Triple couronne des pouliches (Gr1) avant de s’incliner pour le plus petit des nez face à Singspiel (In the Wings) et un Lanfranco Dettori endiablé dans le Japan Cup.

Fabulous la Fouine a aussi laissé son empreinte au haras, en produisant Gustave Cry (Heart’s Cry), qui a profité d’un jour de folie d’Orfèvre (Stay Gold) pour s’imposer dans le Hanshin Daishoten (Gr2) sur 3.000m. Douze ans et quelques déceptions plus tard, Mercalle a mis a bas une grise par Fasliyev, nommée Lady Deauville. Achetée pour 90.000 € à Arqana, elle a beaucoup couru (huit sorties à 2ans et treize à 3ans), gagnant son Gr3 en Allemagne et cinq Listeds. Heureusement, Katsumi Yoshida a acheté Lady Deauville, elle qui n’avait tout simplement plus envie de courir à 4ans. Lady Deauville a déjà donné le bien nommé Les Planches (Deep Impact), un 3ans placé de Gr3 en début de saison, et son 2ans Port Vendres (Daiwa Major) vient de débuter avec une deuxième place prometteuse.

Marathonienne et mère d’un "Derby winner". En 1991, le Prix du Cadran a trouvé sa place lors du weekend du Prix de l’Arc de Triomphe et Victoire Bleue (Legend of France) y a marqué un deuxième succès consécutif pour les femelles. Son fils Vertical Speed (Bering) a fini deuxième dans le St Leger 1997, avant de prendre le chemin du haras, alors que sa petite-fille Volume (Mount Nelson) a pris la troisième place des Oaks de Taghrooda (Sea the Stars).

La série des pouliches dans le Cadran a continué en 1992 avec Sought Out (Rainbow Quest). Lauréate du Prix de Lutèce (Gr3) pour Sir Michael Stoute, elle a progressé à 4ans après son passage chez John Hammond. Elle a battu à deux reprises Drum Taps, qui avait gagné en juin la première de ses deux Gold Cups. Sought Out, c’était la tenue dure et pure : elle usait ses adversaires au train. Bien logiquement, Ballymacoll Stud a cherché à "pomper" la vitesse dans ce pedigree de longues distances. Un essai avec Machiavellian a donné Cover Up, lauréat de Gr3 à deux reprises sur 3.200m, à 8 et 9ans. La distance était trop courte pour lui qui, dans ses plus beaux jours, avait gagné à deux reprises les Queen Alexandra Stakes sur 4.400m à Royal Ascot. À la recherche de "speed", Sought Out a rencontré Danehill pour la première fois en 1998 : le résultat fut Researched, cheval de 2.400m mais de niveau gros handicap/Gr3. Deux ans après, le même croisement a produit North Light. Il ne fut pas un gagnant de Derby inoubliable et a raté d’assez peu le doublé au Curragh, avant d’entamer un chemin assez spécial comme étalon. Il fut acheté par Frank Stronach, qui voulait un étalon de tenue à proposer en Amérique. Le marché a pénalisé North Light, qui a tout de même produit un gagnant de St Leger, Arctic Cosmos. Stronach a même essayé de donner une autre chance à North Light après la victoire d’Arctic Cosmos à Doncaster. North Light fut intégré pour une saison chez Lanwades Stud, mais il n’a sailli que treize poulinières.

Molesnes (Alleged) a offert en 1995 un quatrième Cadran en cinq ans aux femelles. Elle fut tout de suite exportée en Arabie Saoudite, où elle a produit plusieurs gagnants, dont le meilleur est Hafaaf (Frequent), quatrième dans The Custodian of the Two Holy Mosques Cup, un Gr1 local que l’on peut considérer comme le Derby. Après Molesnes, les femelles ont gagné des Grs1 marathon avec Red Roses Story (Pink), Ebadiyla (Sadler’s Wells) et Kastoria (Selkirk), mais il faut arriver au Royal Oak 2006 pour trouver Montare (Montjeu), une lauréate de Gr1 et mère d’un gagnant de Gr1. Samedi à Ascot, dans les British Champions Fillies & Mares Stakes, Journey (Dubawi) a perdu en route Speedy Boarding (Shamardal) en affichant une valeur RPR de 121. La pouliche, élevée par George Strawbridge, n’est pas facile, tout comme sa mère, Montare, qui était pétrie de classe mais avait aussi un vaste répertoire de bêtises ayant beaucoup fait cogiter son entraîneur, Jonathan Pease. Et, cela dit, Montare a gagné sept fois, avec autant de deuxièmes places en 23 sorties, alors que sa fille affiche six victoires et trois deuxièmes places en 13 courses.

Les grandes courses de tenue ne sont plus à la mode mais, même dans un élevage qui cherche le "fast and furious" et est prêt à payer le speed six fois plus que sa valeur, une jument capable de passer les 2.400m au meilleur niveau vaut son poids en or. Chers amis, je payerai de ma poche pour voir, un jour, une pouliche issue d’un croisement hypothétique de deux gagnants de Gold Cup – Yeats et Estimate -– gagner le Derby. Et pourtant, je suis assez sûr d’une chose : mon rêve se réalisera bien avant la victoire à Epsom d’un fils de deux sprinters.

Tableau : les stayeuses et leur production

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