LE MAGAZINE - ASSISES DE LA FILIÈRE ÉQUINE - TABLE RONDE NUMÉRO 2 - Prévention, soins, médications : faut-il revoir les règles ?

Courses / 02.11.2016

LE MAGAZINE - ASSISES DE LA FILIÈRE ÉQUINE - TABLE RONDE NUMÉRO 2 - Prévention, soins, médications : faut-il revoir les règles ?

 

 

 

Les troisièmes assises de la filière équine se sont tenues le 27 septembre, à Caen. Lors de cet événement organisé par Ouest France, cinq cents personnes étaient présentes. Trois tables rondes étaient notamment au programme. Nous revenons sur ces dernières avec les principales idées et déclarations, dans le cadre d’une série de comptes rendus, dont voici le troisième épisode.

Vers plus de contrôles hors compétition. La deuxième table ronde a été introduite par un discours d’Hervé Morin, président de la Région Normandie. Il a tenu à rappeler la place et l'ambition de la Normandie dans la filière équine. Les acteurs du débat ont ensuite pris la parole. Dans l’édition du 30 octobre, nous avons retracé les grandes lignes de la deuxième partie de la première table ronde. Pour accéder à ce compte rendu :

http://jourdegalop.com/2016/10/assises-de-filiere-equine-table-ronde-numero-1-loeil-humain-technologique-lavis-entraineurs/

Voici les principaux points de la deuxième table ronde, où se sont exprimés Maud Delacroix, diplômée du mastère spécialisé Mesb (sciences et management de la filière équine), Louis Romanet, président de la Fiah (Fédération internationale des autorités hippiques), Arnaud Duluard, vétérinaire, chef du département élevage et santé animale de LeTrot, Jacques Nardin, vétérinaire, et Yves Bonnaire, directeur du laboratoire des courses hippiques (L.C.H.). Ils étaient entourés de Bertrand Neveu, trésorier de la Ligue de protection du cheval, Jean-Marc Betsch, membre du comité scientifique de l'Avef (Association vétérinaire équine française), Jean-François Bruyas, professeur à l’école nationale vétérinaires de Nantes, et Ben Mayes, vice-président de la Feeva (Fédération des vétérinaires équins d’Europe). L’intégralité de la conférence est disponible sur YouTube.

https://youtu.be/T0q78ezgeZE

Maud Delacroix a ouvert le débat en expliquant la politique et la législation existante dans le monde, en Europe et en France : « Les chiffres sont beaucoup plus élevés dans les courses hippiques que dans les sports équestres, avec environ 30.000 contrôles en France, contre 96 tous sports équestres confondus en 2015. Les chiffres mis en avant ici montrent un nombre important de contrôles effectués aux États-Unis : plus de 300.000. Mais ces chiffres sont des données brutes et il convient de les nuancer. Aux États-Unis, chaque État régit ses courses. Il n’y a pas d’harmonisation en termes de réglementation. » Mais la médication est autorisée les jours de courses dans la plupart des États. Le furosémide est utilisé chez 95 % des partants. Il empêche le saignement des poumons du cheval à l’effort. Dans certains cas, des anti-inflammatoires et anabolisants peuvent être utilisés.

Yves Bonnaire a précisé au sujet des États-Unis : « Les contrôles sont effectués pour chercher une médication autorisée et vérifier la véracité des propos quand on déclare avoir un cheval partant sous Lasix ou autre. »

En France, le système est différent. Il est harmonisé dans les courses où les chiffres regroupent le trot et le galop. Maud Delacroix a ajouté : « La hausse des contrôles est régulière de 2008 à 2013, puis on constate une légère baisse en 2014. Il faut savoir que 99 % des réunions sont contrôlées. » Yves Bonnaire a apporté une explication à cette légère réduction des contrôles : « Cette petite baisse est justifiée par le fait que nous avons voulu étendre la capacité de détection du laboratoire en ayant plus de moyens, de personnes et de matériel. Comme tout cela doit rentrer dans un budget, nous avons été amenés à réduire très légèrement le nombre de compétitions sujettes à des prélèvements. » Maud Delacroix a conclu : « Sur le nombre de prélèvements effectués, seulement 0,20 % de cas sont testés positifs et 80 % d’entre eux sont non intentionnels. »

Augmenter le nombre de contrôles. Louis Romanet a pris la parole pour revenir sur un rapport de la Cour des comptes, concernant l’Agence française de lutte contre le dopage : « La conclusion était la suivante : faire des économies, mieux cibler ses prélèvements, les réduire sur les épreuves jeunes, c’est-à-dire aller à l’opposé de la politique des courses. Je pense que nous sommes d’accord avec la F.F.E. (Fédération française d’équitation) aujourd’hui pour dire que c’est insuffisant et qu’il faut augmenter de façon ciblée et significative le nombre de prélèvements et analyses faites. » À ce propos, Yves Bonnaire a ajouté : « Ce sont 96 prélèvements à mettre en face d’un million d’engagements. »

Un combat sans fin. Yves Bonnaire, à la tête du laboratoire de la F.N.C.F. à Verrières-le-Buisson, a détaillé son point de vue : « Il y a un gros manque d’harmonisation entre les laboratoires. Nous sommes en train de mettre en place une certification Fiah ; c’est assez compliqué. » Mais peut-on tout détecter ? « Quasiment tout si la substance injectée est encore présente et si la réglementation est en place. Les substances à courte vie posent beaucoup de problèmes car elles sont actives et disparaissent très vite. Les études en biostatistiques montrent des traces du passage des molécules dans l’organisme. Ce sont des données extrêmement intéressantes. » Yves Bonnaire a insisté sur le fait qu’il est « important de développer des contrôles hors compétition parce qu’il est possible qu’à l’issue de la compétition, certaines molécules disparaissent. »

La lutte contre le dopage, préoccupation majeure de la Fiah. Louis Romanet a ensuite pris la parole : « La lutte contre le dopage a toujours été l’une des préoccupations de la Conférence internationale des autorités hippiques et pour être plus performant, il faut plus d’équipements. » De la tolérance zéro à la mise en place de limites de détection pour les laboratoires, « il faut appliquer des limites de détection à l’ensemble des laboratoires dans le monde. Aujourd’hui, il existe une trentaine de limites de détection en vigueur qui permettent aux entraîneurs de soigner leurs chevaux quand ils en ont besoin. » Il a aussi mis l’accent sur le bien-être du cheval : « Les vétérinaires se retrouvent confrontés au problème des délais de rémanence. Dans le passé, ces délais n’étaient pas publiés parce qu’ils auraient été le guide du parfait dopeur. Les laboratoires ont alors mis en place des "detection times", soit des temps d’élimination, qui sont eux, disponibles pour les vétérinaires. Cela correspond aujourd’hui à notre philosophie qui est de ne pas faire courir un cheval sous l’effet de médication. Il s’agit avant tout du bien-être des chevaux. »

Des certifications spécifiques aux laboratoires. Les recherches contre le dopage sont une science difficile qui nécessite des investissements et des expertises très fortes. Louis Romanet a poursuivi : « La certification Fiah devrait sélectionner les laboratoires les plus performants sur chaque continent afin de tester le plus de substances possible. C’est un investissement très important. Il y a plus de 7 millions d’euros de dépenses annuelles à Verrières-le-Buisson et pas loin de 4 millions pour tout le circuit de prélèvement. En bref, 11 millions d’euros sont consacrés à la recherche anti-dopage. Il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde capables d’y consacrer autant. À chaque fois qu’un nouveau pays envoie des prélèvements, cela nous fait réfléchir, on retrouve parfois trois produits différents dans un même prélèvement. » Des travaux sont en cours avec la FEI : « Nous avons cette volonté de travailler en commun avec la FEI pour créer des certifications de laboratoires similaires. »

L’apparition de nouvelles substances pour améliorer la performance. Les vétérinaires Arnaud Duluard et Jacques Nardin ont ensuite pris la parole. Arnaud Duluard a exposé les différents moyens d’augmenter la masse musculaire d’un cheval et par conséquent améliorer ses performances sportives : « Les anabolisants sont des molécules très anciennes. Plus récemment, on a vu apparaître les "designer drugs", qui sont des molécules de synthèse. Elles produisent le même effet que les anabolisants et baissent les effets secondaires. On peut aussi être amené à utiliser des hormones de croissance, pour augmenter la masse musculaire et diminuer la masse grasse. Elles agissent sur les facteurs de croissance, établissent des modifications métaboliques et agissent sur l’erythropoïèse. » Arnaud Duluard pense qu’« il faut effectuer de plus en plus de contrôles hors compétition » puisqu’il existe des substances à courte durée de vie, comme l’indiquait Yves Bonnaire plus tôt. Quant au dopage génétique, plusieurs voies sont utilisées : « Il s’agit de prendre du matériel cellulaire chez un individu pour le mettre en contact avec un virus qui va servir de vecteur. Il faut savoir que ce type de pratique est extrêmement dangereux pour la santé, car il est très facile de développer une tumeur avec ce type d’intervention. »

À la question : « Le cobalt est-il la nouvelle drogue à la mode ? », Yves Bonnaire a expliqué : « Il y a eu des abus en Australie et aux États-Unis. Mais pour être efficace, le cobalt doit être utilisé à très forte concentration. C’est un élément naturel qui est présent dans la vitamine B12 mais aussi dans d’autres produits. Il a fallu fixer des limites tolérables et non tolérables. On a alors fait passer des seuils validés au niveau international. Ces seuils ont ensuite été repris tardivement dans les réglementations françaises. »

Arnaud Duluard a insisté sur les contrôles hors compétition. En diminuant le nombre de chevaux contrôlés, « on pourra développer la ligne peptides et se focaliser sur les molécules à courte durée de vie. Si l’on ne contrôle qu’en compétition, on passe à côté de ces peptides. » Le vétérinaire est revenu sur le suivi longitudinal au trot : « Au trot, le suivi longitudinal s’apparente au passeport médical chez l’humain. Il permet de chercher les traces du passage d’une molécule. On a alors mis en place des temps de détection à plusieurs semaines et les analyses rétrospectives permettent de stocker des prélèvements pendant dix ans pour être utilisés dans le futur. »

La question du bien-être. Pour Jacques Nardin, « la lutte contre le dopage c’est d’abord protéger la santé et le bien-être du cheval et ne pas mettre en danger le couple cavalier-cheval. Tout cheval qui court doit être indemne de toute substance. En termes d’équité, on ne joue pas à armes égales. Les faux-négatifs sont des médications non mises en évidence. Quant aux faux-positifs, ils sont dramatiques pour l’entraîneur qui ne comprend pas forcément la situation. » Les intervenants n'étaient pas d'accord sur ce point, ce qui a créé quelques remous autour de la table. Jacques Nardin a poursuivi : « Des solutions existent et des préconisations sont envisageables. L’audit est un outil incontournable dans la démarche qualité, on peut également se baser sur un renforcement de l’éducation et un projet de recherche en sociologie. Lorsqu’on fait une inspection, la situation est plus complexe et ça part souvent dans tous les sens. »

Une menace pour les vétérinaires ? Jean-Marc Betsch a présenté les résultats d’un sondage effectué auprès de 242 vétérinaires français sur la question de la lutte antidopage. Quarante-deux pour cent des vétérinaires disent être significativement impactés par le contrôle des médications dans leur pratique quotidienne, 21 % pensent que ce contrôle renforce le bien-être du cheval et 60 % trouvent que les analyses de dépistage sont utiles mais très peu la pratiquent (seulement 8 %).

À la question : « Le vétérinaire passe-t-il à travers les gouttes d’une éventuelle sanction ? », Jean-François Bruyas a répondu : « Les vétérinaires peuvent être incriminés puisque ayant administré des soins. Les propriétaires et instances sportives peuvent se retourner contre les confrères au niveau du Conseil de l’ordre des vétérinaires. On peut aussi assigner au tribunal correctionnel puisqu’il y a des lois de lutte contre le dopage. »

Bertrand Neveux, qui rappelle que 90 % des procédures concernent des particuliers plus que des professionnels, a précisé : « Ce qui nous pose le plus problème c’est la perte de confort. En endurance particulièrement, il est normal que cela casse suite à une performance et cela discrédite totalement la discipline. » Ce à quoi Yves Bonnaire a rajouté pour conclure la table ronde : « Beaucoup de molécules sont utilisées à des fins qui ne sont pas forcément bonnes, mais leur efficacité reste à prouver. »