
International / 07.05.2018
ARQANA BREEZE UP - À LA RENCONTRE DES CONSIGNATAIRES IRLANDAIS - Dans les coulisses de Grove Stud
Par Adrien Cugnasse
En 2017, dix chevaux vendus par Brendan Holland aux breeze up ont été performants au niveau black type. Installé au cœur du comté de Cork, à Grove Stud, c’est un habitué des ventes françaises où il présente des 2ans chaque année. L’Irlandais nous a dévoilé les coulisses de son ascension.
En atterrissant à Cork, le voyageur est frappé par la présence des courses dès l’aéroport où des affiches annoncent les grandes réunions à venir. Lorsque l’on traverse le sud de l’Irlande, il est difficile d’imaginer la situation économique terrible dans laquelle cette île a été plongée pendant des siècles. Des heures sombres de leur histoire, les Irlandais ont gardé une impressionnante capacité à entreprendre, à oser et à prendre des risques. Avant de cofonder Coolmore et de devenir l’un des plus grands entraîneurs de l’histoire des courses européennes, Vincent O’Brien exportait des lévriers en Angleterre… car il voulait s’en sortir. De la même manière, l’Irlande n’accueille qu’une seule des sept ventes de 2ans montés en Europe. Pourtant, partout en Europe, les Irlandais sont le plus souvent majoritaires dans les rangs des vendeurs.
L’amour du risque. Acheter, préparer et vendre pour les breeze up est une activité difficile. Chaque année, ceux qui exercent cette activité prennent de grands risques financiers. Ils n’ont pas le droit à l’erreur dans leurs achats et dans la préparation des 2ans. Brendan Holland, l’homme de Grove Stud, aurait pu être entraîneur. Ou courtier. Mais il a voulu être son propre patron et travailler pour lui-même : « Je ne suis pas issu du milieu hippique. J’ai appris en travaillant. Après une année en Australie, chez Tommy J. Smith [considéré comme l’un des trois meilleurs entraîneurs de l’histoire de ce pays, ndlr], j’ai œuvré durant huit ans au sein de l’équipe de Mark Johnston. En parallèle, j’ai commencé à faire du pinhooking. Et puis au début des années 2000, mon épouse et moi-même avons décidé de monter notre propre structure. » Pour diluer le risque et occuper le personnel toute l’année, les préparateurs irlandais cumulent souvent plusieurs activités. C’est le cas de Brendan Holland qui nous a dit : « Aujourd’hui, notre travail se scinde en trois parties. Il y a d’une part un peu d’élevage. Mais il est limité à 5 ou 6 juments sur lesquelles je suis associé. Il y a ensuite l’achat de foals qui sont revendus yearlings [comme Trip to Paris, lauréat de l’Ascot Gold Cup]. Et enfin, l’acquisition de yearlings en vue de la préparation pour les ventes breeze up. Les foals et les chevaux d’élevage ne sont pas là pour passer en vente à 2ans car cela représenterait une immobilisation trop longue du capital. »
La preuve par les chiffres. De ses études scientifiques à l’université, Brendan Holland a gardé un réel goût pour les chiffres. Et c’est d’ailleurs en partie sur eux qu’il compte pour faire évoluer les mentalités. C’est le sens de la brochure publiée par l’association des breeze up consignors : 50 % des poulains issus de ces vacations gagnent. C’est mieux que les principales ventes de yearlings. Depuis 2008, les breeze up européennes ont donné 141 gagnants de Groupe, dont 25 au niveau Gr1. Toujours selon cette brochure, il n’y pas de différence significative dans la marge de progression du rating, à 2ans et 3ans, entre les poulains achetés yearlings et ceux acquis aux breeze up.
La vague américaine. Cette année, les catalogues des breeze up européennes ont vu passer un nombre record de chevaux achetés yearlings aux États-Unis. D’ailleurs, en vue des ventes 2018, Brendan Holland a préparé huit 2ans achetés outre-Atlantique : « Il est plus facile d’acheter aux États-Unis dans notre objectif. Premièrement car acheter et vendre dans deux endroits différents est un atout. On a un produit différent à présenter. Le deuxième point à prendre en compte, c’est l’orientation du marché américain. Les Européens qui achètent pour les breeze up ne regardent pas les mêmes chevaux que les locaux. Le sommet du marché, c’est-à-dire les grands étalons de dirt comme Tapit (Pulpit), ne nous intéressent pas. En outre, nous essayons de nous concentrer sur des pages de catalogue qui vont parler aux acheteurs européens, avec éventuellement des étalons qui ont déjà produit des gagnants chez nous. Enfin, les ventes américaines permettent de voir une grande quantité de chevaux dans un laps de temps assez court. »
Des chevaux qui durent. Le premier jour de ma visite en Irlande, Stormy Antarctic (Stormy Atlantic), vendu à la Craven breeze up, prenait part au Prix Edmond Blanc (Gr2). Le midi, alors que nous déjeunions au pub, Brendan Holland et moi-même avons fait le papier de cette course. Et suite à cette brève étude, il a conseillé aux autres clients de l’établissement de jouer ce placé de Gr1 à 2ans. Par bonheur, le hongre de 5ans a décroché le deuxième Groupe de sa carrière dans le terrain très lourd de Saint-Cloud et lorsque nous sommes repassés pour boire un verre dans ce pub, Brendan Holland fut acclamé tel un héros ! Mais Stormy Antarctic n’est pas le seul exemple d’un sujet vendu par notre Irlandais qui s’est montré capable de rester performant au fil des saisons. Le plus célèbre d’entre eux a gagné le Prix du Jockey Club et les Irish Champions Stakes. Brendan Holland nous a confié à son sujet : « Lorsqu’il était yearling, The Grey Gatsby (Mastercraftsman) n’était pas très grand. Mais il était très bien fait et athlétique. C’est ça le pinhooking : peser le pour et le contre, avant de donner sa chance à un cheval, trouver celui que les autres n’ont pas forcément repéré. Sa page de catalogue n’était pas exceptionnelle au moment de son passage en vente. Ce sont les raisons qui permettent d’expliquer pourquoi j’ai pu l’acheter 24.000 €. Cela ne l’a pas empêché de devenir black type à 2ans. Et il n’a ensuite jamais cessé de progresser. Stephen Hillen me l’a acheté 120.000 € à la breeze up Arqana. Ce n’était pas très cher pour un cheval qui a ensuite gagné deux Grs1 à 3ans et qui a décroché plus de trois millions d’euros de gains de 2ans à 6ans. The Grey Gatsby, c’est l’exemple parfait du cheval de breeze up qui n’est pas qu’un sujet de vitesse et qui dure dans le temps. Dès qu’il est arrivé chez nous, il nous a montré qu’il avait un super mental. Il a toujours été gentil et sérieux. »
Monter en gamme. L’amélioration de la qualité des chevaux présentés lors des breeze up est indéniable ces dernières années. D’ailleurs, dix-neuf des vingt-huit sujets que Grove Stud a inscrits aux ventes en 2018 sont issus de mères black types ou ayant déjà produit à ce niveau. Brendan Holland nous a dit : « Le succès des chevaux issus des breeze up a permis de réaliser de meilleures ventes. Les pinhookers ont alors réinvesti cet argent en achetant de meilleurs chevaux, ce qui a encore amélioré les résultats des poulains issus de ces vacations. Les breeze up européennes s’inscrivent dans un cercle vertueux au niveau de la qualité et des résultats. À présent, on y trouve des produits de top-étalons avec de très belles familles. »
Concernant le lot qu’il présente cette année à Arqana, Brendan Holland détaille : « J’aime beaucoup la fille de Sea the Stars (Cape Cross) dont la mère est une sœur de Pakistan Star (Shamardal), récent lauréat de l’Audemars Piguet Queen Elizabeth II Cup (Gr1) à Sha Tin. J’ai aussi de très bons More than Ready (Southern Halo) et Scat Daddy (Johannesburg). » Au sujet de l’avenir de son entreprise, il précise : « Je veux améliorer les installations en créant une piscine et une nouvelle piste. De même, je souhaite encore faire progresser la qualité des chevaux que je présente. Mais pas leur nombre. »
Une question de confiance. On parle souvent des belles plus-values réalisées lors des breeze up. Pourtant, face à la difficulté d’une telle activité, beaucoup ont arrêté après seulement quelques années d’activité. Le cheval qui a réellement crédibilisé Grove Stud sur le marché, c’est Rosdhu Queen (Invincible Spirit). Rachetée 75.000 €, yearling, à Arqana, elle fut vendue 65.000 Gns à la Craven breeze up en 2012. La pouliche a gagné deux Groupes, dont les Cheveley Park Stakes (Gr1). Après sa carrière de course, Rosdhu Queen fut revendue 2,1 millions de Guinées à Tattersalls : « On ne peut pas gagner sur tous les lots. Certains futurs bons chevaux ne font pas un bon breeze le jour de la vente. C’est aussi une question de confiance entre le préparateur et celui qui achète. Si les gens voient que les poulains que vous présentez ne confirment pas après les ventes, ils n’achètent plus. Les courtiers nous posent des questions sur les chevaux. Nous savons pertinemment que nous sommes amenés à travailler sur le long terme avec eux. Il y a une dizaine d’années, personne ne venait voir les chevaux avant les ventes. Depuis quatre ou cinq ans, les courtiers se déplacent pour voir les poulains en amont. Cela leur permet de voir comment nous travaillons. Aucun préparateur ne dispose d’une boule de cristal mais il faut essayer de décrypter ce que l’on a pu voir lors de la préparation. »
L’importance de la France. En 2017, pour la sixième année consécutive, un ancien pensionnaire de Grove Stud est monté sur le podium au niveau Gr1. C’est le cas de Big Duke
(Raven’s Pass) en Australie qui prend ainsi la suite d’Astaire (Middle Park Stakes) ou de Tamazirte (deuxième de la Poule d’Essai des Pouliches et du Prix de Diane). Cette dernière, comme The Grey Gatsy, est passée sur le ring d’Arqana. Brendan Holland nous dit : « Le marché français est très important pour moi. La breeze up Arqana a un profil un peu différent des autres. L’accent est clairement mis sur des chevaux qui ont un réel potentiel d’évolution. J’apprécie le professionnalisme de cette agence de vente, que ce soit pendant les sélections, en amont des ventes ou le jour de la vacation. Ils savent ce qu’ils cherchent et ce que leurs clients veulent. Il n’en reste pas moins que nous, les pinhookers, regardons plutôt du côté de la vente v.2 au moment de nous fournir. On peut aussi trouver des yearlings de qualité à la vente d’octobre. » Le matin chez Brendan Holland, les poulains travaillent dans la sérénité, et sa piste circulaire en sable n’incitent pas à la vitesse. Lorsque le temps le permet, ils passent une partie de la journée dans les nombreux paddocks de Grove Stud. Cela ne les empêche pas d’être précoces, si telle est leur nature. Le meilleur exemple n’est autre qu’Alwasmiya (Kyllachy), la meilleure pouliche anglaise de 2ans sur le sprint en 2017.
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