Longchamp sous les bombes, naissance de la STH… les étonnantes anecdotes du haras d’Écajeul

Courses - Élevage / 23.05.2018

Longchamp sous les bombes, naissance de la STH… les étonnantes anecdotes du haras d’Écajeul

Par Christopher Galmiche

Le haras d’Écajeul a fêté ses 70 ans en 2017 et les 90 ans de Jacques Bara qui avait pris la succession de son père, Léopold, avant de transmettre l’exploitation à son fils Jean-Luc, entraîneur, éleveur et débourreur. Ce site historique, voisin d'un de ceux de Son Altesse l'Aga Khan, est au cœur de 1.000 anecdotes !

Il y a quelques semaines, Écajeul a fait l’actualité puisque c’est par ce haras qu’a transité la quatrième mère d’Al Capone II (Italic), tout récent trentenaire. Il s’agit de La Sirène (Astrophel). Malgré son âge de 90 ans, Jacques Bara est toujours actif et il se souvient : « La quatrième mère d’Al Capone, La Sirène (Astrophel), appartenait à monsieur Aubert qui était directeur de Prisunic et du Printemps. Henri Gleizes a conseillé à monsieur Aubert de mettre ses chevaux au haras d’Écajeul, dont La Sirène et l’étalon Orcada. Le croisement de ces deux derniers a donné Encore Une, la troisième mère d’Al Capone. La Sirène a alors donné Puissant Chef (Djefou), futur lauréat du Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1) 1960. »

Même l’aviation américaine n’arrivait pas à arrêter les courses ! La carrière de jockey de Jacques Bara a débuté sous l’occupation. En ce temps-là, difficile de trouver de la nourriture en quantité pour les chevaux. Difficile aussi d’entraîner et d’aller aux courses : « J’ai monté en course pendant la guerre en 1941. J’ai gagné ensuite au Tremblay et monté à Auteuil en plat. Longchamp était fermé pendant la guerre et ils avaient tracé une piste de plat à Auteuil. Il n’y avait des courses que les samedis et dimanches à cette époque-là. J’ai monté à Longchamp le jour du bombardement en 1943. C’était la réouverture de l’hippodrome, le premier dimanche d’avril. Nous avions deux partants dans les dernières courses. Il faisait très beau. Les chevaux de la première course, un réclamer, ont commencé à sortir. D’un coup, nous avons entendu un bruit sourd. Ca ronflait là-haut. C’était une escadrille d’avions américains qui ne venaient pas bombarder Paris. Ils s’en allaient plus loin. La DCA installée à Longchamp s’est mise à tirer sur les avions. Les américains ont fait demi-tour pour finalement bombarder l’hippodrome. Tout le monde est rentré au box... Nous avons attendu que cela passe. Nous nous cramponnions à la porte du box à cause de la violence des bombes. Finalement, ils ont décidé de continuer les courses après un moment de doute. C’est la seule fois où j’ai monté à Longchamp… Nous avions dû changer la distance de ma course car il y avait un trou d’obus au départ des 1.400m… Ce n’était pas facile d’entraîner pendant la guerre. Il y avait des tickets de rationnement pour l'alimentation. Mon père connaissait des cultivateurs, ce qui permettait d’avoir ce dont nous avions besoin. J’allais me promener le soir dans les écuries, à l’écurie Boussac, où j’ai connu Djebel, Ardant, Pharis »

L’obstacle, une vraie passion. Jacques Bara nous a confié : « L’obstacle, c’était ma passion. Nous avions un cheval, Iris d’Écajeul, qui avait conclu troisième du Grand Steeple du Pin-au-Haras à 14ans. Je me serais fait critiquer si j’avais continué à le courir. Mais en Irlande ou en Angleterre, comment font-ils ? Ils commencent les carrières des chevaux plus tard. À 10ans ou 15ans, un cheval est en pleine maturité, à condition de lui laisser du temps lorsqu’il est jeune. Si on commence fort à 3ans, on ne peut pas espérer courir le Grand Steeple à 10ans. » Le parcours de Jacques Bara a commencé par la voie classique, comme apprenti chez son père, Léopold : « J’ai passé 19 ans à Chantilly et 71 ans au haras d’Écajeul. Mon grand-père était entraîneur et éleveur. Mon père était entraîneur. C’est comme cela que je suis tombé dans les courses. Je suis né à Chantilly. J’ai été à l’entraînement tout jeune. J’ai monté en course pendant deux ans, en plat, puis le poids m’a rattrapé. J’ai ensuite voulu monter en obstacle, mais mon père ne voulait pas. Mon grand-père m’a initié à l’élevage et je me suis rabattu vers cette activité. Ça m’a toujours plu, plus que l’entraînement. J’ai pris une autorisation d’entraîner et je me suis occupé des chevaux que j’ai élevés. »

Trois gagnants de Jockey Club et un vainqueur d’Arc. Le haras d’Écajeul est un site historique et exceptionnel. Il a vu grandir de très grands chevaux. « Nous avons élevé Herbager qui a gagné le Prix du Jockey Club (Gr1). C’était un très beau cheval, très élégant. Un jour, lorsqu’il était ici, il avait sauté la clôture parce qu’il galopait devant ses camarades dans le pré, en les regardant, puis, au dernier moment, il avait vu la haie. Il l’avait sautée et s’était retrouvé sur la route… Nous avions vendu sa sœur à madame Del Duca, la propriétaire d’Herbager. Elle avait fait le record des ventes de Deauville à l’époque. Nous avons aussi élevé deux autres vainqueurs du Jockey Club, Chamant (1953) et Amber (1957) et le vainqueur de l’Arc Puissant Chef. En obstacle, beaucoup plus récemment, nous avons eu Fils d’Ecajeul. Sans être un crack, il faisait toujours l’arrivée et tout le monde le reconnaissait. Il est mort au haras, de sa belle mort. Nous avions reçu à l’époque un club de supporters du sud de la France. »

La grande famille de Nuit d’Écajeul. Honnête jument de course, Nuit d’Écajeul (Matahawk) a été élevée par l’association Donguy & Bara. Elle a gagné une course, un handicap sur 3.000m, à Évry. Vendue à Guillaume Macaire et Francis Picoulet, elle a donné le champion Voy Por Ustedes (Villez), vainqueur de l’Arkle Chase et du Queen Mother Champion Chase (Grs1), et En La Cruz (Robin des Champs), deuxième des Prix du Président de la République (Gr3), des Drags, Congress (Grs2) et lauréate du Prix Général Donnio (L). C’est également de Nuit d’Écajeul que descend Un Temps pour Tout (Robin des Champs), lauréat de la Grande Course de Haies d’Auteuil (Gr1). « Les femelles de cette famille étaient moins dures. Les mâles étaient bons, mais les femelles étaient plus fragiles. Nous nous partagions les poulains, une année pour ma sœur, une autre pour moi. Ma sœur a revendu les produits et il y avait Nuit d’Écajeul dans le lot. »

La STH, made in Bara. La période des deux guerres mondiales a été riche en inventions, dont une, majeure pour les courses : la Société du Transport Hippique. C’est en effet à la famille Bara que l’on doit ce moyen de transport, innovant à l’époque, pour les chevaux. « C’est mon grand-père qui a créé la STH. Il était entraîneur à Chantilly, il avait aussi un haras. À ce moment-là, les chevaux allaient aux courses en train. Mais il fallait faire toute une expédition pour les emmener. Après la guerre de 14-18, mon grand-père a acheté un vieux tracteur qu’il a accroché à une remorque, et il mettait le cheval dans la remorque pour l’emmener aux courses. Il avait un gros avantage : il ne prenait pas le train. Au bout d’un certain temps, ses collègues lui ont demandé s’il ne pouvait pas leur emmener leurs chevaux. Ensuite, il n’y avait pas assez d’un van, il en a fallu plusieurs. C’est ainsi que la STH a été créée. Nous descendions aussi à Cannes et Nice pour courir l’hiver : il fallait voir l’expédition ! Par la suite, la société a été vendue. »

Jean-Luc Bara, héritier de la passion familiale. Descendant d’entraîneurs et d’éleveurs, Jean-Luc Bara, fils de Jean, n’a pu éviter la passion du cheval et des courses dès son jeune âge. « J’ai commencé comme gentleman-rider à 19 ans. J’avais envie de goûter aux émotions que procurent les courses. J’ai remporté huit courses et pris vingt-trois places, j’étais un coup sur deux à l’arrivée, mais c’était à un petit niveau. Ensuite, je suis devenu permis d’entraîner, puis entraîneur public. J’ai été à Deauville pendant six ans, puis nous sommes revenus à Écajeul, où nous avons utilisé la piste d’entraînement qui a été faite en 1988. J’ai pris trois places de Listed et j’ai parcouru la France durant ma carrière d’entraîneur. Je n’ai jamais eu plus d’une dizaine de chevaux à l’entraînement. Au début, nous n’avions pas la piste d’entraînement dont nous disposons maintenant et que nous louons. Nous entraînions alors dans les champs. Mais avec succès. Depuis, le niveau a énormément monté. Comme nous avions toutes les installations, nous nous sommes lancés dans la reproduction pour des clients. Nous avons tout mené de front. J’ai eu le plaisir d’avoir plusieurs bons chevaux. Ensuite, avec de moins bons chevaux, la motivation retombe. J’ai pris du plaisir à entraîner, activité que j'ai commencée en 1979. J’ai encore ma licence. Tout a évolué car, auparavant, chacun était polyvalent. Depuis, tout a été segmenté. Nous avons eu des clients espagnols, tchèques, brésiliens… »

Le haras s’ouvre sur l’extérieur. Le haras d’Écajeul fait découvrir le monde de l’élevage et des courses depuis plus de vingt ans au travers de visites du site, d’excursions à Deauville et de la création d’un gîte. Un exemple à suivre pour démocratiser le monde des courses et de l’élevage. « Il y a vingt ans, le Conseil général a organisé les Equi’Days en octobre. Il y avait de l’attelage, des sports équestres, des ventes et des courses. Nous avons reçu un fascicule pour savoir si nous voulions ouvrir les portes du haras. Nous étions d’accord et nous avons ouvert tous les jours, vendredi, samedi et dimanche. Dès le vendredi midi, un nombre de gens assez impressionnant est arrivé. Nous avons eu 400 personnes du vendredi midi au dimanche. À l’époque, nous avions notre bon cheval en retraite, Fils d’Écajeul, et tout le monde voulait le voir. Quelques années après, nous sommes allés voir l’office de tourisme de Lisieux pour ouvrir notre haras sur l’extérieur.  Les personnes de l'office nous ont dit que l’idée était bonne. Encore aujourd'hui, nous accueillons les visiteurs, sur rendez-vous. Tous les jours, de Pâques à la Toussaint, il y a des gens qui viennent, entre 2 et 50 personnes par visite. C’est un échange très sympathique qui ne nuit pas au travail. Cela fait maintenant une quinzaine d’années que nous ouvrons le haras. Dans la foulée, nous avons fait la même chose à Deauville avec la visite de l’hippodrome et du centre d’entraînement durant une douzaine d'années. Les gens étaient demandeurs pour que nous les guidions sur l’hippodrome et pour visiter les coulisses. »

Écajeul en 2018. En 2018, le haras d’Écajeul accueille des chevaux à vocation plat et obstacle pour des clients. « Nous avons entre trois et cinq juments de clients. En obstacle, nous avons suivi Diamond Boy, ce qui n’était sûrement pas un mauvais choix puisqu’il est parti à l’étranger. Il me reste deux Diamond Boy et une Kingsalsa. J’ai un foal, un yearling et un 2ans. » Jean-Luc Bara est également un adepte de la méthode des chuchoteurs pour le débourrage des chevaux. « J’ai commencé en lisant le livre de Monty Roberts et j’ai essayé sa méthode. En cinquante minutes, on peut monter les chevaux. J’ai aussi pratiqué cette méthode sur des chevaux de sport. Avec, en plus, l’arrivée des éthologues, ces méthodes ont amené un confort et une sécurité accrue pour la profession. »