Mendelssohn n’est pas John Wayne

Courses - International / 07.05.2018

Mendelssohn n’est pas John Wayne

Par Franco Raimondi

L’aventure du Kentucky Derby s’est terminée comme on pouvait le craindre. Le voyage de Mendelssohn (Scat Daddy) au pays des merveilles s’est transformé en cauchemar pour le pauvre 3ans, avec un retour aux écuries mouillé et tabassé, et la tête pleine de mauvais souvenirs. Le résultat, vingtième sur vingt, ne résume pas l’expérience du 3ans de Coolmore qui était parti troisième favori (à 6,8/1). Les mises sur sa victoire se montaient à 4.117.927 dollars, soit 10,45 % des enjeux à la gagne. Les footnotes, connues dans la presse hippique française comme les itals, disent : « A reçu un coup au départ et a été forcé de se ranger sur sa gauche. Encore bousculé dans le trafic, a gagné des rangs dans le premier tournant. Est resté au contact mais était déjà sollicité dans le dernier tournant où il a lâché prise. Repris par son jockey aux abords du poteau. » À la liste de ses mésaventures ne manquait que : « Un gamin lui a tâché la chemise avec une glace chocolat-pistache et un chien a fait pipi sur le pantalon de son jockey… »

Une course pas comme les autres. Aidan O’Brien a avoué dans une interview au Racing Post qu’il n’avait jamais vécu une expérience comme celle du Kentucky Derby. L’entraîneur irlandais, quand il ne veut pas se moquer de tout le monde avec ses déclarations du genre : « Paddy est très content de son cheval », même si, favori à 4/7, il a franchi le poteau après la fermeture de l’hippodrome, nous offre toujours des bons sujets de réflexion. Le court résumé est le suivant : « Je n’avais jamais vu cela : 160.000 spectateurs pour une course, c’est deux fois le public d’une finale de Coupe au même endroit. Mendelssohn était déjà sous le choc avant la course. Les courses sur le dirt aux États-Unis sont très agressives, mais quand le terrain devient lourd, l’agressivité se transforme en sauvagerie. Nous n’étions pas préparés pour ce niveau d’intensité. Et c’est le cheval et le jockey qui ont payé le prix fort. »

Le vent et la pluie : les mêmes pour tous. Nous avions souligné avant la course que les vrais adversaires de Mendelssohn n’étaient pas ses dix-neuf rivaux mais les 160.000 spectateurs et l’ambiance du Derby. La pluie record a fait le reste et, quand les chevaux sont entrés dans le rond de présentation, Mendelssohn faisait figure de poussin mouillé entouré par des coqs de combat. Au rugby, on dit que l’arbitre, comme le vent et la pluie, c’est le même pour tous. Bon, parfois on peut tomber sur un arbitre partial, mais cela arrive surtout dans le football.

Un sport différent. Les conditions extrêmes et les 66 millimètres de pluie tombés sur Churchill Downs ont changé beaucoup de choses mais, même en terrain rapide et régulier, le Kentucky Derby, c’est un sport bien différent que celui des courses au galop sur le gazon et en Europe. Chez nous, même en Angleterre et en Irlande, le train va en progression et les chevaux gardent leur accélération pour la phase finale.

Le cas du Kentucky Derby 2018 est exagéré : les premiers 800m ont été parcourus en 45’’77 et les derniers en 53’’19, c’est-à-dire dans une réduction kilométrique de 1’06’’5, comme l’aurait fait Bold Eagle. American Pharoah (Pioneerof the Nile) avait fait, en bon terrain, 47’’34 et 51’’73. En 2016, toujours sur le fast, Nyquist (Uncle Mo) avait couru les premiers 800m en 45’’72 et terminé en 50’’91.

Revenir de derrière, c’est possible. Une étude des positions du gagnant dans le parcours nous offre quelques révélations. Les cinq derniers gagnants ont tous couru près de la tête et, après 1.200m, ils étaient à deux longueurs ou moins du leader. On ne compte que trois vrais attentistes, et parmi eux, deux se sont imposés sur une piste jugée sloppy. Orb (Malibu Moon) était dix-septième à 14 longueurs et demie de l’animateur, Palace Malice (Curlin), en 2013, quand le peloton a franchi le poteau des derniers 800m. Il a pris les grands boulevards en sixième épaisseur et a gagné. Le chrono avait enregistré les premiers 800m en 45’’33. Quatre ans plus tôt, Mine that Bird (Birdstone) était avant-dernier à 14 longueurs. Comme d’habitude, Calvin Borel a refait le peloton à la corde pour s’imposer de presque 7 longueurs à 50/1. Le train fut sage (47’’23 lors des premiers 800m) et le Kentucky Derby 2009 est devenu le sujet d’un très bon film.

L’agressivité et les All Blacks. Il est évident qu’une bonne position dans le parcours est plus favorable qu’une mauvaise mais, même sous la pluie, on peut refaire du terrain. C’est donc un autre problème qui empêche les chevaux entraînés à l’est de Long Island, comme disent nos amis américains, de gagner le Kentucky Derby. Aidan O’Brien en a souligné un : l’agressivité des courses américaines. Les 3ans européens ne connaissent pas ce genre de sport, qui nécessite de savoir frapper et encaisser les coups. C’est le même problème qu’ont les équipes de rugby du Vieux Continent quand elles jouent face aux All Blacks…

Un mois d’avance. On peut souligner un deuxième problème, celui du timing. Le Kentucky Derby est programmé le premier samedi de mai. Les américains y arrivent avec trois courses de préparation et passent leur hiver au chaud. Ils sont au top avec un mois d’avance par rapport aux européens et ont déjà des vrais combats dans leur C.V. L'European Road to the Kentucky Derby offre des courses pas assez compétitives et l’UAE Derby n’est pas un vrai trial, avec en plus le problème du double déplacement. D’après le Racing Post rating, le Mendelssohn de Meydan (122, un peu bas) pouvait faire galoper Justify (123). Mais il aurait fallu lui apprendre un nouveau sport. Les courses américaines, comme aiment à le dire les cowboys, ce n’est pas un sport for sissies, ou pas pour les petites princesses si vous voulez… Il faut rentrer dans le saloon et se battre comme le faisait John Wayne !