Winx battue ! Mais c’était il y a quatre ans…

International / 10.04.2019

Winx battue ! Mais c’était il y a quatre ans…

Par Franco Raimondi

C’est le 11 avril 2015, dans les ATC Oaks, qu’elle a vu pour la dernière fois la queue d’une adversaire au passage du poteau. Quatre ans que la grande Winx (Street Cry) n’a pas connu la défaite… Sa série de 32 victoires a commencé le 16 mai 2015 dans les Sun Coast Guineas (Gr3), et depuis 1.536 jours, elle s’est couchée dans son box avec la satisfaction d’avoir gagné. À deux jours de ses adieux, nous vous proposons un voyage entre ses chiffres, ses records et ses adversaires.

Gust of Wind, la dernière qui l’a battue

Douze chevaux ont réussi à devancer Winx au début de sa carrière. First Seal (Fastnet Rock) l’a fait à trois reprises, en remportant les Flight Stakes (Gr1), les Surround Stakes et les Tea Rose Stakes (Grs2). Gust of Wind (Darci Brahma) a gagné sa place dans l’histoire comme la dernière à avoir battu Winx, dans les Australian Oaks (Gr1). Elle tenait 2.400m et a profité d’un parcours en or, alors que Joao Moreira, en selle sur la championne, avait sorti de son chapeau de magicien un rat bien mouillé… Gust of Wind n’a pas gagné d’autre course en dix sorties après cet exploit. Son propriétaire, Sir Owen Glenn, a décidé de la retirer, suite à des problèmes cardiaques, au début de la saison australienne 2016. Elle a un foal par le champion sire Snitzel (Redoute’s Choice) tout comme First Seal.

Fighting Cirrus plus haut dans les ratings

Winx a mérité un Racing Post rating de 120 ou plus treize fois. On sait que les handicapeurs du journal anglais ne sont pas généreux au moment de juger ce qui se passe en dehors de leur île et de celle d’Irlande. En plus, la décharge pour les femelles ne joue pas en faveur d’une jument qui aime finir sur les autres, et donc ne gagne pas d’une ligne droite. Son premier 120 a été acquis dans le Cox Plate (Gr1) 2015 quand elle avait perdu en route – quatre longueurs et demie ! – Criterion (Sebring), lauréat de cinq Grs1. Elle a décroché plus de 120 dans le World’s Best Racehorse Rankings à cinq reprises : 123 en 2015, 132 en 2016, 132 en 2017, 130 en 2018 et elle est à 125 cette année. Le seul cheval qui a franchi le palier de 120 cinq fois est Cirrus de Aigles (Even Top). En revenant au Racing Post rating, qui juge les chevaux de course en course, Fighting Cirrus a fourni à 21 reprises, lors de ses 67 sorties, des valeurs de 120 ou plus et il s’est imposé à 14 reprises quand il a affiché le chiffre magique. Goldikova ** (Anabaa) a décroché 120 à seize reprises et a gagné 12 fois avec cette valeur d’excellence. Frankel (Galileo) a gagné douze de ses quatorze courses avec 120 ou plus et huit fois, les handicapeurs ont été obligés de sortir un 130 et plus pour lui donner un rating correct.

Happy Clapper, la victime préférée

La plus belle déclaration dans le monde sportive au XXe siècle reste celle de Jake La Motta (surnommé Raging Bull, comme le 4ans "FR" par Dark Angel et Rosa Bonheur au départ, vendredi, du Maker’s 46 Mile (Gr1) à Keeneland) après son sixième combat, en neuf ans, face à Sugar Ray Robinson. Ce match est connu dans le milieu de la boxe comme le massacre de la Saint-Valentin... L’Italo-Américain avait dit : « Je me suis battu avec Sugar Ray si fréquemment que je suis devenu diabétique… » Happy Clapper (Teofilo) est devenu le Jake La Motta de Sugar Ray Winx. Ils se sont rencontrés dix fois et, à cinq reprises, ils ont fourni le jumelé gagnant. Toujours dans le même ordre : Winx - Happy Clapper. Winx compte, au cours de sa série de 32 succès, 24 dauphins (ou victimes, comme vous préférez) différents.

Une carrière en grandissime favorite

Winx s’est élancée avec le statut de favorite depuis le premier des ses trente-deux succès consécutifs. À cinq reprises, elle a été proposée par les bookmakers à plus qu’égalité. La championne a rapporté 1,6/1 quand elle a renoué avec le succès dans les Sunshine Coast Guineas (Gr3) après sa défaite dans les Australian Oaks (Gr1). Elle a affiché 1,05/1 dans un handicap de Gr1 à 14 partants (l’Epsom), et 2,4/1 quand elle a remporté les Theo Marks (Gr2) en rendant du poids aux mâles. On était encore en 2015 quand la jeune Winx, qui venait de prendre 4ans, a battu Criterion dans le premier de ses quatre Cox Plates (Gr1) à 2,6/1. C’était le 24 octobre 2015… et la dernière chance pour un parieur de toucher une cote plus haute qu’égalité. Sagement, sans courir après des martingales à bout de souffle, en misant 10.000 € sur Winx gagnante à chaque sortie, un parieur avisé aurait eu un bénéfice total de 154.433 €. D’après les dernières études, cela suffit pour s’offrir, vu la montée en flèche de l’immobilier, un placard à balais dans l’arrondissement le moins coté de Paris.

Elle a couru tout seule ? Ce n’est pas vrai !

Les 32 courses de la série magique de Winx ont réuni 312 partants, c’est-à-dire une moyenne de 9,75. Il est faux d’affirmer qu’elle s’est toujours promenée face à des lots squelettiques. À onze reprises, elle a devancé dix rivaux ou plus. Dans le Doncaster Mile (Gr1) 2016, elle en avait battu 14, dont le pauvre Happy Clapper qui recevait six kilos, et dans son premier Cox Plate, elle était opposée à 13 adversaires. C’est vrai qu’au cours des deux dernières saisons, Winx a remporté quatre courses avec 10 partants ou plus et 11 avec 9 ou moins, ce qui est bien logique. Même si les allocations pour les places sont très bonnes, courir en sachant que celle pour le gagnant est déjà prise n’est pas trop amusant.

Son record sur 600m : 31’’98

Frank Sinatra avait repris le légendaire Comme d’Habitude de Claude François sous le titre de My Way. Ce que l’on peut traduire par "à ma façon". Winx, sa façon à elle, c’est d’attendre, de prendre les extérieurs sans s’inquiéter de parcourir quelques mètres de plus, et de placer sa pointe de vitesse. Lors de ses 32 victoires, elle a évolué sur tous les indices pénétrométriques, du 3 australien qui est un léger chez nous jusqu’au 10, quand il faut appeler la surveillance côtière pour ramener à bon port les chevaux. Les chronos partiels qui coupent le souffle sont toujours enregistrés en bon terrain, mais elle a aussi fait des coups de magie quand le terrain n’était pas propice. En parcourant les résultats australiens, il ne faut pas se tromper. Comme chez nous, le chronomètre démarre quand le cheval en tête passe la cellule des derniers 600m et s’arrête quand le gagnant, la gagnante dans le cas de Winx, arrive sur le fil. C’est donc le temps partiel de la tête de la course, pas d’un cheval en particulier. Winx, à 600m du poteau, se trouve généralement en quatrième ou cinquième épaisseur et à cinq longueurs ou plus de l’animateur. Heureusement, chaque cheval est suivi mètre par mètre et dans les résultats détaillés, on peut trouver les chronos partiels individualisés. Elle a terminé quatre fois son parcours avec des derniers 600m en moins de 33’’. Son record sur les 600m lancés est de 31’’98 dans les Warwick Stakes (Gr2) 2017, quand elle fut obligée d’enclencher la septième vitesse pour gagner d’une tête sur Foxplay (Foxwedge). Elle a atteint une vitesse de pointe de 69,48 km/h.

Deux succès à la photo

J’ai pris l’habitude de boire mon café du samedi matin un brin inquiet. Sans regarder l’écran de mon ordinateur, pour ne pas découvrir à l’avance l’arrivée et la possible mauvaise nouvelle. Tout au fil de sa carrière, j’ai compris que la WonderMare arriverait toujours à s’en sortir. On qualifie même une victoire de "Winx style" pour expliquer une course qui semblait perdue à 300m du poteau et qui a été gagnée. J’ai eu le privilège de tomber amoureux de Winx quand Joao Moreira a volé 100 € de ma poche avec cette fameuse monte horrible du 11 avril 2015. C’était il y a quatre ans. D’une attentiste, qui calque son parcours sur les autres, on s’attend à des victoires avec des petites marges. Les juges ont fait appel à la photo deux fois en 32 courses, lors des Warwick Stakes 2017, quand elle avait pris une tête à Foxplay, et dans les Theo Marks Stakes (Gr2) 2015, la troisième victoire de la série, décrochée dans la toute dernière foulée sur Son of John (Oratorio), quand tout semblait perdu à l’issue d’un parcours cauchemardesque (quatorzième sur quatorze à 400m du poteau). Un mauvais parcours, un jour sans, une monte mal inspirée. En 32 courses, un champion n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise et pourtant, les chiffres nous aident une fois de plus. Le cumul des marges à l’arrivée de la série est de 87,8 longueurs, soit en moyenne deux longueurs trois quarts. Et en raisonnant d’après les indicateurs des ventes, la médiane est de deux longueurs. La distance des courses – dans la fourchette 1.400m, 2.040m – donne encore plus d’envergure à la dimension des succès : on sait bien que plus on rallonge, plus les chevaux s’éparpillent sur la piste…

Quand Winx s’appelait Une de Mai…

J’ai peut-être un peu exagéré avec les chiffres. C’est le moment de sortir une belle histoire pour terminer. Le trot français avait sorti sa Winx à la fin des années soixante. Son nom ? Une de Mai (Kerjacques), une merveille sur les pistes plates qui n’aimait pas trop la vieille montée de Vincennes et l’hiver, même si elle a gagné presque tout, sauf l’Amérique. Partout en Europe et aux États-Unis, elle était une héroïne. Elle voyageait beaucoup, avec mon ami Roger Nataf dans le rôle de manager et attaché de presse. Une de Mai était descendue à Naples pour le Premio Freccia d’Europa, la Loterie d’Automne, avec Jean-René Gougeon, et, comme d’habitude, elle avait gagné. C’est le moment de passer la balle à Roger Nataf : « Écoute ça…  On était à la remise des trophées et une femme napolitaine, grosse, mal habillée, nous approche avec un gamin de 5 ou 6 ans handicapé au niveau des bras. Elle nous demande si son fils peut caresser la jument. J’espère qu’Une de Mai pourra lui donner sa force pour vaincre sa maladie. » On ne sait pas si Une de Mai a fait ce miracle mais elle a gagné 74 courses, dont une bonne trentaine qui sont maintenant des Grs1.