
Courses / 26.09.2019
LA GRANDE INTERVIEW - John Hammond : « Montjeu était supérieur sur 2.400m, mais Suave Dancer aurait pu le battre sur plus court »
Avec l’annonce de sa retraite à la fin de l’année, John Hammond entame un nouveau chapitre de sa vie professionnelle. Pour Jour de Galop, il a accepté de revenir sur son parcours et trois décennies d’intense compétition hippique.
Par Adrien Cugnasse
Jour de Galop. – Comment êtes-vous arrivé en France ?
John Hammond. – J’ai passé une partie de ma jeunesse en Irlande, où le cheval fait vraiment partie de la culture populaire. Cela m’a permis de pratiquer le concours hippique, la chasse à courre… avant de m’intéresser aux courses à l’adolescence. Après mes études, j’ai travaillé à Newmarket et en Californie, mais aussi à l’élevage. J’avais travaillé pendant mes vacances au sein de l’agence de courtage de l’épouse de Lester Piggott. Ce dernier, qui montait beaucoup pour André Fabre, m’a plus tard conseillé d’aller en stage à Chantilly. Il m’a recommandé et j’ai commencé par un stage de trois mois qui fut assez difficile, car je ne maîtrisais pas du tout la langue. Mais j’ai trouvé que partir après cette période, ce n’était pas une attitude très élégante. Alors je suis resté et au final, je suis tombé sous le charme de Chantilly. J’ai vraiment eu beaucoup de chance. Rien n’était prémédité, mais les circonstances de la vie m’ont amené ici, un lieu que j’ai appris à apprécier. André Fabre a été d’une grande générosité envers moi. Au sein de son équipe, très solide, je n’étais pas vraiment son assistant, plus un stagiaire qui a bénéficié de ses conseils. Lors de mon installation, il m’a encore beaucoup aidé. Sans lui, j’aurais eu beaucoup plus de mal.
Peu de chevaux ont autant marqué l’imaginaire collectif que Montjeu. Que représente-t-il pour vous ?
C’était un cheval hors norme… mais pas facile. Sa réussite, c’est aussi celle de mon excellent premier garçon de l’époque, Didier Fulop. Sans lui et sans Cash Asmussen, qui le montait aussi à l’entraînement, il n’est pas certain que les choses auraient tourné aussi bien. Il faut savoir que deux propres frères de Montjeu (Sadler’s Wells) n’étaient pas entraînables. La chance, c’est que le premier fut le bon car la mère – qui était une bonne jument de tenue – ne serait sans doute pas retournée à Sadler’s Wells (Northen Dancer). À mes yeux, le fait que le cheval soit issu d’une belle souche française rajoute du charme à son histoire. J’ai d’ailleurs eu plusieurs bons éléments de cette famille. Et beaucoup de bons souvenirs aussi. Je me souviens avoir appelé Jimmy Goldsmith après la première victoire d’un frère de Montjeu, lequel était alors foal ou yearling. Jimmy Goldsmith a décroché le téléphone mais il n’était pas vraiment attentif à mon discours. Et pour cause, il regardait Montjeu dans un paddock depuis sa fenêtre. Il m’avait expliqué : « J’ai devant les yeux un poulain qui va être exceptionnel. » C’était une véritable personnalité, avec un véritable coup d’œil, pour les chevaux, pour l’architecture ou encore les œuvres artistiques. Trop tôt disparu, il n’a malheureusement pas pu assister aux succès de son élève.
L’aura de Montjeu a un peu éclipsé l’histoire Suave Dancer. Lequel était le meilleur ?
Sur 2.400m, assurément Montjeu. Suave Dancer (Green Dancer) tenait sur sa classe mais c’était un vrai cheval de 2.000m et sur cette distance, il aurait peut-être pu battre Montjeu. Suave Dancer a été desservi par le fait qu’il n’a pas beaucoup sailli en Angleterre. Mais il a donné de bons chevaux, parfois avec une certaine fragilité. Il est mort foudroyé en Australie. Concernant Montjeu, c’était un reproducteur extraordinaire pour celui qui visait les courses de 3ans sur 2.400m. Au-delà de sa tenue, il était capable de faire 400m très vite, avec une accélération foudroyante, ce qui est recherché chez un futur étalon. Ce qu’il a réalisé dans les King Georges, c’est une performance rarement vue dans l’histoire de la distance dite classique.
Vous êtes l’un des rares entraîneurs français à avoir remporté les plus grands sprints anglais, grâce à Polar Falcon (Sprint Cup, Gr1) bien sûr, mais aussi Nuclear Debate (Sprint Cup & Nunthorpe Stakes, Grs1) ou encore Cherokee Rose (Sprint Cup, Gr1).
Gagner un sprint de haut niveau à Royal Ascot, York ou Haydock, c’est toujours quelque chose de particulier. Nuclear Debate (Geiger Counter) était assurément le meilleur sur 1.000m. Mais Polar Falcon avait vraiment marqué les esprits dans la Ladbrokes Sprint Cup (Gr1) à Haydock. Il était encore dernier à 300m du poteau et avait gagné en étant presque arrêté, établissant au passage le nouveau record de la piste. Polar Falcon devançait alors Sheikh Albadou (Breeders’ Cup Sprint, Nunthorpe Stakes et Haydock Park Sprint Cup, Grs1), Shadayid (1.000 Guinées et Prix Marcel Boussac, Grs1), Mystiko (2.000 Guinées, Gr1)… Ce fut une très grande performance. Surtout pour un cheval capable de gagner sur le mile une épreuve comme les Juddmonte Lockinge Stakes (Gr1aujourd’hui). Son premier foal à être tombé dans la paille, Pivotal (Polar Falcon), lui a ouvert les portes de la postérité.
Selon-vous, pourquoi les Anglais dominent encore plus qu’avant les courses de vitesse et précocité ?
Il y a une question d’élevage bien sûr, mais aussi une tradition plus que vivace d’entraîneurs et propriétaires qui aiment cette spécialité. Le programme est aussi beaucoup plus riche sur le sprint. En France, certaines semaines, vous n’avez qu’une course sur 1.200m contre six ou sept sur la même période en Angleterre. Il y a aussi une véritable culture du 2ans outre-Manche, avec beaucoup de gens qui achètent avec le rêve de courir les épreuves de prestige à Ascot, Goodwood ou York. Ces échéances n’ont pas vraiment d’équivalent en France, en dehors du Prix Morny. André Fabre l’a gagné cette année et cela faisait longtemps qu’un Français ne s’était pas imposé. Enfin, je pense que pour préparer un 2ans qui va courir sur 1.200m, il est préférable d’avoir une piste en copeaux de bois, plutôt qu’une piste en sable. Ceci étant dit, je ne suis peut-être pas la personne la plus appropriée pour m’exprimer sur la question des 2ans.
Votre tandem avec Cash Asmussen est devenu mythique…
Quand je suis arrivé en France, je ne parlais pas très bien français. Or il était américain et cela a facilité notre rencontre. Il a fait évoluer la monte en France, notamment en ce qui concerne la manière de chausser ses étriers, sur la pointe des pieds. Cash Asmussen a donc fait école et peu de gens peuvent se prévaloir de cela. C’était une personnalité flamboyante, dont le charisme apportait de la couleur aux courses française, même s’il ne faisait pas l’unanimité. Nous avions parfois des engueulades spectaculaires mais sans lui, Montjeu et Suave Dancer ne seraient pas devenus les champions que l’on connaît. Et ce d’autant plus que c’est son père qui acheté Suave Dancer alors qu’il était yearling et que c’est Cash qui m’a présenté Henri Chalhoub. La réussite française de Cash Asmussen est d’autant plus remarquable que le niveau des jockeys est depuis longtemps très relevé ici. On voit d’ailleurs que les Français s’adaptent mieux aux États-Unis ou à Hongkong que bien des Anglais. Il est difficile d’expliquer pourquoi. Mais peut-être que la nécessité de savoir détendre les chevaux dans un parcours est un élément précieux dans la formation d’un pilote ?
Malgré des sollicitations pour exercer à l’étranger, vous êtes toujours resté fidèle à Chantilly. Pourquoi ?
J’aime cet endroit. Et j’apprécie la vie ici. Enfin, c’est un lieu idéal pour élever des enfants, ce qui a toujours été très important à mes yeux. Mes trois enfants font ou on fait de bonnes études. Ils voyagent. C’est important qu’ils puissent choisir leur avenir. Le premier suit les courses mais il n’en fera pas son métier. Les deux autres sont plus jeunes et toutes les options leur sont ouvertes.
Qu’est-ce qui a changé en trois décennies dans les courses françaises ?
Le programme a un peu évolué. Mais le véritable changement, c’est la décentralisation et ses conséquences. Dans le contexte de l’époque, c’était tout à fait justifiable. Mais en 2019, vu le prix du gasoil, les contraintes que cela représente pour le personnel et les questions environnementales… On peut se demander s’il est toujours aussi intéressant de faire voyager les chevaux en permanence à travers la France. Je trouve que la solution irlandaise est très intéressante, avec beaucoup de mini-meetings d’une semaine. Surtout que cela crée à chaque fois un événement à l’endroit où le meeting a lieu. Mais d’une manière générale, je pense que la politique des courses est une chose très complexe, que l’on soit en France, en Angleterre ou en Australie. Tout le monde a ses idées et c’est bien. Mais lorsque l’on se retrouve aux commandes, on mesure vraiment la difficulté de l’exercice. Il n’est jamais évident, même pour nous professionnels, d’avoir une vision précise des contraintes, notamment financières, qui accompagnent l’exercice d’un mandat.
Il y a un siècle, 75 % du personnel et des entraîneurs à Chantilly était anglais. Vous êtes l’un des derniers en activité. Comment expliquez-vous cette évolution ?
Je suis arrivé dans les années 1980 et depuis cette époque, il y a toujours eu deux ou trois entraîneurs anglais ici. Mais nous vivons dans un monde en pleine évolution. Aujourd’hui les entraîneurs viennent d’Italie, d’Allemagne ou de Belgique, soit autant de pays où les courses sont en difficulté. Dieu merci, malgré les difficultés, les courses françaises tiennent encore le coup.
Qui va occuper votre structure ?
C’est le jeune Hiroo Shimizu. Il a déjà travaillé ici par le passé. C’est une personne intelligente, avec la passion nécessaire pour ce métier. Il a débuté avec peu de chevaux mais les statistiques parlent pour lui. Et son effectif a déjà pris de l’ampleur. Lors de mes débuts, j’ai eu la chance d'être aidé. À mon tour, je suis heureux d’aider Hiroo Shimizu. Chantilly est un endroit unique, universellement reconnu. De tout temps, les propriétaires et entraîneurs étrangers ont été attirés par ce lieu d’exception. Je suis arrivé ici un peu par hasard et j’ai eu la chance d’y faire carrière, avec une foule de souvenirs formidables.
En Australie, Haky va porter les couleurs d’Oti Racing, une entreprise de syndication de chevaux de course qui connaît une belle réussite en Australie. Ils ont d’ailleurs officiellement annoncé que vous êtes leur représentant en Europe.
Le système australien fonctionne vraiment bien. La population aime jouer et les allocations sont très élevées. Le concept d’Oti Racing est le suivant : vous pouvez acheter 10 yearlings en signant un bon à 300.000 € pour chacun, sans forcément avoir un cheval au départ d’un Groupe ou d’une Listed deux ans plus tard. Si vous achetez tout ou partie de 10 chevaux à l’entraînement avec la même enveloppe, la probabilité de réussite est plus élevée. Ce n’est, bien sûr, pas évident, car tout le monde veut acheter des chevaux à l’entraînement avec un peu de tenue. La force d’Oti Racing, c’est également de laisser leurs acquisitions pour une période plus ou moins longue chez leurs entraîneur avant de les envoyer en Australie. C’est une structure qui jouit d’une solide réputation d’intégrité. L’entreprise est très bien gérée et elle investit fortement dans la communication à destination de ses clients. Les propriétaires sont abondamment informés avant et après les courses. Il est important de savoir qu’en Australie, les gens apprécient le fait de s’associer à plusieurs sur des chevaux de qualité pour avoir des partants dans les belles courses. Et les allocations locales permettent, lorsque cela se passe bien, de rembourser lesdits chevaux. S’associer, c’est une manière d’étendre son réseau social et de partager de bons moments. L’ambiance est bonne entre les partenaires. Et le fait que leurs chevaux restent un certain temps en Europe leur donne l’occasion de venir aux courses en France ou en Angleterre, tout en faisant du tourisme.
À l’inverse, peu d’Européens font pour l’instant courir en Australie…
En effet. Mais cela pourrait tout à fait se développer. Avoir un cheval capable de courir là-bas, c’est l’occasion de prendre part à des épreuves de grande qualité, au soleil, au moment où il fait gris en Europe. Toutes les personnes qui ont vécu l’ambiance des courses australiennes savent que c’est quelque chose d’inoubliable. La Melbourne Cup est l’un des six plus grands événements hippiques internationaux. La ferveur autour de cette course est assez exceptionnelle et il y a beaucoup d’autres bonnes courses dans le programme australien… Pour les passionnés des courses hippiques, c’est vraiment une aventure palpitante. Et les allocations sont attractives. Un Gr3 peut offrir 150.000 dollars australiens [plus de deux fois son équivalent en France, ndlr].
Oti Racing a d’ailleurs basé une partie de sa réussite sur ses achats en France. Comment expliquez-vous la réussite des chevaux français en Australie et aux États-Unis ?
J’ai le sentiment que ce taux de réussite est supérieur à celui des chevaux achetés en Angleterre, par exemple. Il n’est jamais évident d’expliquer ce type de phénomène mais plusieurs éléments me semblent intéressants à noter. En France, le train modéré fait que ceux qui tirent ne peuvent pas gagner. Et aller moins vite, tout en étant détendu dans le parcours, permet de préserver les organismes. En Angleterre, un cheval peut tirer durant la course et tout de même gagner. Si vous ajoutez cela à des courses très sélectives, vous avez des animaux qui prennent parfois plus dur. Par ailleurs, en France, nous n’avons pas vraiment d’objectifs de mi-saison comme Royal Ascot avec les 2ans. Les échéances arrivent plus tard, surtout à l’automne, même s’il y a Deauville. Cela participe aussi à préserver les chevaux pour l’avenir. Quand un cheval français s’envole en fin de saison pour l’Amérique, il lui reste souvent encore pas mal de "jus".
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