
Courses / 21.10.2019
La cravache, ce symbole d’un monde qui change
C’est l’une des premières questions que va vous poser quelqu’un qui ne connaît pas les courses : la cravache fait-elle mal au cheval ? L’image d’un jockey utilisant une cravache est de plus en plus rejetée par la société. Aucun autre instrument utilisé dans le monde du cheval ne déclenche de tels débats. La cravache est-elle condamnée ? Des éléments de réponse ont été fournis à la Conférence internationale des autorités hippiques et la réponse est : oui, à court ou moyen terme.
Par Anne-Louise Échevin
Un débat brûlant au Royaume-Uni. S’il y a un débat qui met le feu aux poudres entre la B.H.A. et les socioprofessionnels, voire entre socioprofessionnels, au Royaume-Uni, c’est celui de la cravache. La B.H.A. est accusée par certains d’avoir une position "anti-course" et de faire le jeu des associations de défense de protection des animaux les plus extrêmes avec ses études sur l’utilisation de la cravache en course. Certains entraîneurs pensent que la cravache est un faux débat, qu’elle fait partie des courses et qu’il faut accepter les courses telles qu’elles sont. « Si vous n’aimez pas les courses, allez regarder Peppa Pig », avait dit l’entraîneur Ted Walsh après qu’un amateur irlandais a, selon les commissaires de Cheltenham, "forcé" son cheval fatigué à finir un steeple.
D’autres estiment que les règles sur l’utilisation de la cravache devraient être beaucoup plus sévères : Charlie Fellowes a eu un gagnant à Royal Ascot cette année et Hayley Turner avait écopé de neuf jours de mise à pied pour utilisation abusive de la cravache. Charlie Fellowes avait estimé que son cheval aurait dû être tout simplement disqualifié, pour une raison simple : entre neuf jours de mise à pied et une victoire à Royal Ascot (ou une grande course), il n’y a guère d’hésitation pour un jockey. La cravache, à son niveau, a le même effet que le Brexit : la capacité à couper un pays en deux et à engendrer moults débats plus ou moins virulents.
Injuste ou pas, le débat doit avoir lieu. Cette attention sur la cravache, décrite comme un instrument de torture, peut paraitre injuste. Parce qu’on répétera qu’une cravache de course dite padded whip a justement été conçue parce que le monde des courses veut protéger le cheval et ne pas lui faire mal, parce qu’il y a des règles quant à son utilisation en compétition… Et parce qu’il y a des débats bien plus urgents en matière de bien-être : le dopage ou l’après-course, par exemple.
Pourtant, pour de nombreuses associations, la cravache est le diable et serait le symbole de toute la cruauté du monde des courses : la Peta et autres parlent de chevaux "cravachés jusqu’à la mort" et Animal Aid avait fait "sensation" au mois d’août, avec ses campagnes anti-cravaches sur les bus de Londres. Nick Rust, directeur général de la B.H.A. qui porte une attention toute particulière au "cas cravache", a commenté : « Nous sommes accusés d’être négatifs à la B.H.A. et d’attirer une attention négative sur notre sport. Mais nous sommes là pour améliorer notre sport et pour le défendre. Dans les années à venir, la pression des médias ne va faire qu’augmenter. »
Difficile d’expliquer l’utilisation de la cravache quand il n’y a pas de règle commune
Vous voulez convaincre le grand public que la cravache n’est pas un problème car des règles sont là pour s’assurer de sa bonne utilisation ? Très bien. Mais posez-vous une question simple : pourquoi y-a-t-il quasiment autant de règles sur l’utilisation de la cravache qu’il y a de pays de course dans le monde ? Nous caricaturons un peu, mais il est compliqué de convaincre des fans sur l’utilité de la cravache, sur le fait que nous proposons des règles parfaites pour qu’elle ne fasse pas mal à l’animal et ne le "traumatise" pas, quand les autorités des courses mondiales ne sont pas capables de s’accorder sur la meilleure manière de la manipuler et de la contrôler.
La cravache choque autant les non-initiés que les accidents. Le Dr Paul-Marie Gadot a ajouté : « Nous sommes la cible des activistes, qui se concentrent sur trois symboles : la cravache, les courses de 2ans, les accidents et blessures et l’abattage. Et même si nous faisons disparaitre ces trois symboles, cela ne sera jamais suffisant car, pour eux, nous exploitons les animaux. » Il n’est en effet pas possible de convaincre les activistes de la Peta et de L214 : c’est impossible. Mais nous ne pouvons pas nous dire : « Puisqu’ils nous détestent quoi que nous fassions, ne faisons rien. » Parce que ce ne sont pas les activistes qu’il faut convaincre : ce sont les gens qui ne sont pas activistes, mais qui peuvent les écouter – volontairement ou involontairement, par le biais de la diffusion de l’information – et se laisser convaincre. C’est ce qu’a dit le Dr Brian Stewart, du Hong Kong Jockey Club : « La cravache revient toujours dans les conversations. Cela, et les accidents mortels. Lorsque nous parlons avec des gens qui ne sont pas connaisseurs des courses mais pas non plus anti-courses, ils vous diront être choqués par ces deux éléments. »
Nous n’empêcherons jamais les accidents. Jean Rochefort disait : « Vivre avec les chevaux, c’est vivre avec la vie mais c’est aussi vivre avec la mort. » Cela s’applique au vivant en général. Mais nous devons évidemment tout faire pour minimiser les risques : en Europe, nous nous y attelons, notamment en obstacle. Dans ce cas, pourquoi ne pas "minimiser" la cravache ?
Un geste fort. Paul-Marie Gadot a raison de parler du symbole sur la cravache. Une réaction revient régulièrement chez les professionnels et les passionnés des courses : pourquoi tant de haine du grand public envers la cravache ? Et presque si peu contre les éperons au dressage, contre les embouchures très dures en CSO ?
La réponse est simple : si vous n’êtes pas spécialistes du dressage, vous verrez à peine les éperons et tout a l’air si fluide, si simple, si gracieux… Parce que le plus dur dans le dressage, c’est la préparation, pas la compétition. Si vous n’êtes pas spécialiste du CSO, vous ne ferez pas attention aux embouchures et vous admirez l’osmose du couple… Et le plus dur dans le CSO, c’est la préparation, pas la compétition. En course, les chevaux sont moins sollicités dans la préparation que les chevaux de dressage et de CSO. En revanche, on demande un effort "violent", soudain… Et on tape le cheval avec la cravache. Le geste de lever le bras et de taper est, en 2019, inexplicable et inexcusable pour une bonne partie du public, connaisseur ou non du cheval. En équitation de loisir ou de sport, la cravache – qui n’est pas celle de course, mais qui fera la différence ? – est avant tout un outil de remise aux ordres voire de punition.
Vous pouvez difficilement justifier le geste de taper à répétition un cheval dans un monde où donner une fessée à un enfant est puni par la loi – peu importe que vous soyez d’accord avec cela ou non. Vous me direz qu’un enfant n’est pas un animal. Mais nous parlons à un public de plus en plus citadin, qui place le cheval sur le même plan que le chien et le chat : un compagnon, considéré comme un membre de la famille. Et en 2019, on ne tape pas un membre de sa famille pour exprimer son autorité. C’est d’ailleurs la rhétorique sous-jacente de la campagne de l’association Animal Aid sur les bus de Londres cet été : « Vous ne frapperiez pas un chien, alors pourquoi les jockeys sont autorisés à cravacher les chevaux ? » Oui, c’est profondément démagogique. Mais il nous faut répondre à cette démagogie par des faits et, si nécessaire, des actions.
Perception et réalité. Le Dr. Paul-Marie Gadot a analysé : « La cravache n’est pas un problème de bien-être. C’est un problème de perception et son effet est désastreux. » Même ceux qui connaissent et aiment les courses peuvent être choqués par les coups de cravache à répétition. Personnellement, je trouve les courses américaines difficiles à regarder pour plusieurs raisons : je n’aime pas le dirt (la surface et la manière dont les courses se disputent dessus) et je n’aime pas voir des chevaux roués de coups de cravache dans la ligne droite, si ce n’est depuis la ligne d’en face. Le Kentucky Derby d’American Pharoah (plus ou moins 30 coups) me donne des hauts le cœur. Alors la cravache ne fait peut-être pas mal, mais la perception que je ressens en voyant le "pauvre" American Pharoah roué de coups est celle de la douleur, d’un rejet, de l’insupportable. Et je peux comprendre que, pour un public non averti, il est tout aussi insupportable de voir un cheval prenant cinq coups de cravache dans une ligne droite.
Vous pourrez mettre toutes les preuves scientifiques que vous désirez sous les yeux des gens, le savoir scientifique a de toute façon besoin de croyance personnelle pour être accepté – surtout en 2019 où la science, parfois, et l’institution, souvent, sont tout de même remis en question. Quand on vous tape avec un instrument et avec de la vitesse, vous avez mal. Plus ou moins mal, mais mal. Et il est difficile d’expliquer qu’un cheval, qui tressaille lorsqu’une mouche le chatouille, n’ait pas mal sous l’effet de la cravache.
Nous manquons de preuves scientifiques et de cohérence. Nous parlions de science plus haut et c’est aussi là que le bas blesse. Il n’y a aucune preuve scientifique sur le fait que la cravache, même la padded whip, ne fasse pas mal à un cheval. Certaines études l’affirment, d’autres disent le contraire et d’autres disent qu’il n’y a pas de réponse absolue à cette question, selon l’endroit où le cheval est tapé et la manière dont il est tapé, la manière dont la cravache vient au contact du cheval…
Il y a aussi une incohérence dans le discours "la cravache ne fait pas mal". Dans ce cas, pourquoi un entraîneur va parfois dire à son jockey de ne pas être "dur" avec un 2ans qui débute en compétition, de ne pas utiliser le bâton ? Pareil avec un cheval faisant une rentrée et n’étant pas à 100 % ? Pourquoi, si la cravache ne fait mal ni physiquement… ni mentalement ?
Quelques documentations
- La chaîne ABC Science a réalisé un documentaire d’une vingtaine de minutes sur la cravache et son ressenti. Sans partis pris, avec des personnalités du monde des courses aussi bien que des scientifiques. À voir ici (https://youtu.be/WE6MikeGYsQ )
- Le journaliste du Guardian Greg Wood a voulu savoir si la cravache faisant mal et a donc fait un test avec Jim Crowley. Pour lui, contrairement à la journaliste d’ABC, pas de bobo ! À lire ici. (lien à insérer https://www.theguardian.com/sport/2011/oct/18/jockeys-whip-didnt-hurt )
- Une étude australienne publiée par Plos sur l’efficacité – ou la non-efficacité – de la cravache en course. A lire ici. (https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0015622 )
Quelques idées. Nous ne parlons pas ici d’interdire totalement la cravache : elle est certainement un outil qu’il faut garder pour guider un cheval et a un aspect sécuritaire. Mais il faut réfléchir à l’utilisation que nous en faisons. C’est un sujet sur lequel nous n’aurons guère d’autres choix que d’évoluer dans le futur : à ce stade, en France, nous avons encore notre destin en main. Voici quelques idées :
- Sanctionner beaucoup plus durement l’utilisation abusive de la cravache en rétrogradant le cheval. C’est ce que demande Charlie Fellowes ou qu’avait demandé Alain de Royer Dupré dans nos colonnes en 2012. Mais est-ce juste pour le propriétaire et le parieur ? C’est un débat à avoir.
- Réduire encore le nombre de coups autorisé : un, deux, trois ? De nombreuses études scientifiques montrent que la cravache à répétition n’a aucun effet sur l’accélération des chevaux, voire même qu’elle peut avoir des effets contraires à ceux espérés.
- Oui à la cravache… mais interdiction de tenir les rênes à une seule main.
- Faire comme la Norvège : zéro cravache comme outil de sollicitation.
- Interdiction progressive de la cravache : interdiction de l’utiliser sur les 2ans, par exemple ?
Nous pouvons éviter la situation des États-Unis
Ce débat sur la cravache est mondial. Aux États-Unis, l’instrument est aussi sous le feu des critiques, au point que le Jockey Club américain, lors de sa table ronde d’août 2019, a recommandé « la fin de l’utilisation de la cravache de course comme instrument de sollicitation. » Comme sur la médication, les courses américaines ont poussé leur modèle jusqu’au bout et sont face à des critiques extrêmement virulentes. La situation de début d’année à Santa Anita et la décision du groupe Stronach d’interdire la cravache sur l’hippodrome – après négociations avec la Peta, disent certains – a mis tout le monde dos au mur.
Une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Le Dr Rick Arthur, directeur vétérinaire du California Horse Racing Board (C.H.R.B.) – et sévèrement épinglé par le New York Times pour sa gestion de "l’affaire Justify" –, a indiqué : « Les attitudes sociales et les considérations morales ont beaucoup évolué. En Californie, il y a un risque que les courses prennent fin. Le statut quo n’est donc pas bon. Qu’est-ce que la société n’aime pas dans les courses ? Les blessures, ainsi que la cravache. (…) Il y a très peu de blessures dues à la cravache. Avec les coussinets, il y a peu d’éraflures. Mais le public estime qu’un coup de cravache est inadmissible et il a donc été décidé que la cravache ne serait utilisée que comme outil de contrôle et de sécurité. La cravache en elle-même ne tue pas… Mais nous estimons qu’elle a exacerbé certains incidents. »
Entendre les États-Unis donner des conseils sur le sujet du bien-être et de la cravache peut faire sourire… Rappelons la doctrine de la cravache en Californie depuis juillet 2015 : les jockeys ne peuvent pas donner plus de trois coups d’affilée. Ils doivent faire une pause pour donner une chance au cheval de répondre à la sollicitation avant de pouvoir réutiliser la cravache. À part le moment nécessaire de pause, c’est open bar sur le nombre de coups. Mais ce n’est pas ce qu’il faut retenir. Il faut retenir que les États-Unis doivent passer du quasi tout au quasi rien sous pression des activistes, de l’opinion et des politiques. N’attendons pas d’être dans la même situation car, à partir de ce moment-là, nous n’aurons plus jamais le contrôle de notre avenir.
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