LE MAGAZINE -  L’excellence comme arme de (re)conquête

Courses / 14.10.2019

LE MAGAZINE - L’excellence comme arme de (re)conquête

"Bien-être animal et perception des courses par le public" : le thème de la Conférence internationale des autorités hippiques ne pouvait pas être plus ancré dans l’actualité hippique. John Gosden, Criquette Head, Yoshitake Hashida (assistant de Misuru Hashida, entraîneur de Deirdre), et Ezequiel Valle du haras Firnamento (Argentine) se sont exprimés sur le sujet. Voici une première partie des débats.

Par Anne-Louise Échevin

Ce panel était animé par le journaliste britannique Rishi Persad. John Gosden n’était pas présent en personne mais des vidéos de l’entraîneur ont été diffusées. Le premier sujet était  "l’impact d’être associé à un cheval connu dans le monde entier". Il peut s’appeler Enable (Nathaniel), Trêve (Motivator), ou Deirdre (Harbinger). Un champion, c’est rare… Et tout le monde doit en profiter quand il est là. Comme le dit John Gosden : « Avoir un tel cheval, c’est une chance extraordinaire. C’est un peu comme les bus, à Londres : vous pouvez parfois en avoir plusieurs qui arrivent en même temps et, après, attendre très longtemps avant d’en avoir un de nouveau [métaphore qui marche aussi avec la RATP, ndlr]. »

Un grand cheval est une grande responsabilité. Dans Spiderman, le premier de Sam Raimi, l’oncle Ben dit à Peter Parker : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » L’idée est bien plus ancienne que Marvel, qui reprend Franklin D. Roosevelt (lequel n’a pas non plus inventé cette idée), et John Gosden la recycle à la sauce hippique : un grand cheval implique de grandes responsabilités.

John Gosden explique : « Je crois que c’est merveilleux d’être autour de champions. Et, bien sûr, avec eux viennent de grandes responsabilités. C’est génial pour nous de recevoir tous les courriers des fans, comme ce fut certainement le cas avec Winx. Les grandes chaînes de télévision viennent à l’écurie. C’est fantastique ! Il faut se demander : pourquoi les gens regardent-ils le tennis ? Parce qu’ils veulent voir un Djokovic, un Federer ou un Nadal. Je regarderais n’importe quel sport, du moment qu’il y a de grands athlètes. Ils me fascinent. Peu importe le sport, peu importe que je m’y connaisse ou non, je veux juste voir du haut niveau. Donc, faire en sorte que nous rendions visibles les grands chevaux, partout dans le monde, est un devoir, voire une obligation pour notre secteur. »

Donner une voix à nos meilleurs ambassadeurs. Un grand cheval est le meilleur ambassadeur pour le sport hippique : on l’a vu avec Winx (Street Cry) en Australie récemment. On l’a vu avec Enable et Trêve avant leur troisième tentative dans l’Arc. On le voit avec Deirdre, qui a certainement encore plus de fans depuis qu’elle a gagné les Nassau Stakes (Gr1). Un grand cheval est une chance pour les courses. Mais un cheval ne parle pas et la responsabilité de son entourage est de le faire briller aussi bien pendant les courses qu’autour des courses. Le cheval fascinera probablement les hommes pour toujours. Mais il faut aussi lui donner une voix, afin de déclencher l’attachement et une attente de le revoir : ce fut le cas pour Winx, Trêve, Enable et Deirdre. On l’avait vu aussi avec American Pharoah (Pioneerof the Nile), superstar aussi car son entourage a permis au public de l’approcher de près.

Traditionnellement, le monde des courses est assez fermé (avec des variations dans le monde) : l’entraînement se fait dans des lieux réservés, les portes des haras ne sont pas des plus ouvertes… Cela change : il y a des journées portes ouvertes du côté des centres d’entraînement comme des haras. Et c’est tant mieux : on a le droit de ne pas aimer notre monde d’ultra-communication, mais il faut s’y adapter ou disparaître comme des dinosaures. En (bientôt) 2020, le public doit se sentir impliqué dans un sport, surtout dans un sport qu’il fait vivre via le pari ! C’est le sentiment de John Gosden : « Le monde est ouvert, tout est mondial, tout va plus vite et on ne peut pas combattre la mondialisation. » À cela, on peut aussi ajouter que, à notre époque, ce qui se fait derrière des portes fermées est suspect : encore une fois, on peut le regretter, mais se battre contre sera aussi efficace que le combat de Don Quichotte face aux moulins.

Criquette Head a commenté : « Avoir un cheval de très haut niveau dans ses boxes est une chance. En tant qu’entraîneur, on reçoit tous types de chevaux et ils sont tous traités de la même manière. Quand on a un cheval comme Trêve, il faut ouvrir son écurie. Il faut le partager avec tout le monde. Les entraîneurs ne sont pas habitués à ouvrir leurs écuries. Mais je crois que cela va arriver de plus en plus dans le futur. Il le faudra. »

Yoshitake Hashida est d’un avis similaire. Il a partagé son expérience anglaise avec Deirdre, qui va au-delà de ses simples performances en course : « Les Japonais se sont passionnés pour toute l’aventure autour de Deirdre. Lorsque nous sommes arrivés à Newmarket, nous ne savions même pas dans quel sens se servir des pistes. Nous avons partagé notre vie en Angleterre. Après Royal Ascot, où cela ne s’est pas bien passé, nous aurions pu rentrer au Japon, mais nous avons senti que les fans voulaient nous voir poursuivre le défi en Europe. Et nous sommes allés à Goodwood ! »

De l’importance des grands meetings internationaux. Deirdre a offert au Japon un premier succès de Gr1 en Angleterre, lors du meeting de Glorious Goodwood. Ces grands meetings internationaux ont pris une place de plus en plus prépondérante dans le calendrier hippique, tant il est devenu facile de voyager : le premier, c’est Dubaï, même si la journée de la Pegasus World Cup et maintenant la Saudi Cup s’intercalent auparavant. Il y a Royal Ascot, le plus international des meetings britanniques, l’Irish Champion Weekend, le week-end du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe, puis la Breeders’ Cup et Hongkong… Autant de chances de faire briller les chevaux dans le monde entier… Un peu comme un tournoi ATP, même s’il est impossible de tout tenter en une même année. Ezequiel Valle analyse : « Tous ces festivals sont très positifs. Pour nous, en tant qu’éleveurs, c’est un rêve que de pouvoir un jour aller gagner dans un de ces rendez-vous. Je crois que c’est une grande chance que d’avoir un calendrier de courses international, avec des courses pour tous les chevaux, qu’ils soient de dirt ou de gazon. Nous voulons voir les meilleurs chevaux du monde. » Yoshitake Hashida a ajouté : « Avec Deirdre à Royal Ascot, les fans japonais ont pu suivre et parier sur les Prince of Wales’s Stakes, dans lesquels il y avait aussi Waldgeist. Et ils l’ont vu gagner le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1). Pour nous, c’est aussi un élément positif créé par notre choix de rester en Europe : cela permet d’écrire une histoire et je crois que c’est le plus grand bénéfice de notre séjour. »

Les grands festivals, oui, mais en faisant attention « à ce qu’ils ne se télescopent pas », précise John Gosden. Mais l’entraîneur ajoute : « Plus nos courses sont internationales, plus elles permettent au monde de se rapprocher. (…) Si cela permet au public d’avoir une plus grande perception des courses, alors oui, je suis pour. Et on le voit avec les réseaux sociaux : je ne suis jamais allé sur un réseau social de toute ma vie mais ma fille les utilise et me montre comment cela se passe. On voit des gens qui, un peu partout dans le monde, suivent les différentes courses internationales, donc c’est définitivement positif. »

Faire venir les jeunes aux courses. Les courses ont deux clients : les parieurs et les propriétaires, sachant que l’un n’empêche pas l’autre. Et les courses doivent trouver de nouveaux parieurs et de nouveaux propriétaires. Cela veut dire séduire la nouvelle génération et c’est loin d’être gagné. Criquette Head a été claire sur son sentiment : « En France, les jeunes ont autre chose à faire le dimanche que d’aller aux courses. » C’est cruel et dur à accepter pour nous qui aimons les courses, mais c’est vrai : on a bien vu avec les JeuXdis que les jeunes urbains viennent aux courses… à condition d’avoir autre chose autour ! En France, les courses sont sorties de l’imaginaire du public. Les jeunes citadins ont des centaines d’autres choses à faire que de se rendre sur un hippodrome le week-end. Or, pour apprécier un sport, il faut déjà le découvrir. Peu importe que ce soit en marge d’un autre événement comme un concert : il faut être présent sur un hippodrome pour apprendre à aimer les courses. Et c’est la même chose en Angleterre, comme le dit John Gosden : « Il faut se souvenir que les courses hippiques appartiennent à l’industrie du divertissement. Elles doivent donc être divertissantes, intéressantes et funs, dans une certaine mesure. Elles sont aussi un business sérieux mais si vous perdez de vue le divertissement, vous perdez de vue le but de tout cela. (…) Je sais que plein de jeunes sont intéressés mais il faut les amener d’abord aux courses. Et vous ne pouvez pas partir du principe que tout le monde va comprendre dès le départ tout le jargon et toutes les implications. (…) En Angleterre, nous avons beaucoup de jeunes gens de 20 ou 30 ans qui aiment venir aux courses car il s’agit d’un événement social : et c’est ce qu’elles doivent être ! Les courses sont belles, esthétiques. Les gens doivent venir les voir, et trouver sur les hippodromes de la bonne nourriture, un endroit accueillant, doivent apprécier de placer un pari en sachant qu’ils vont peut-être perdre. Les hippodromes font beaucoup d’efforts pour cela, par exemple via des concerts. Nous ne sommes pas dans la position heureuse du Japon ou de Hongkong, où le public vient aux courses pour les courses. »

Mais, comme l’a souligné Yoshitake Hashida, la J.R.A. ne dort pas sur le sujet des jeunes aux courses : « Attirer les jeunes aux courses est notre défi et nous travaillons déjà dessus. Les jeunes ont d’autres hobbies que les courses. Nous essayons de les faire venir à Paris pour l’Arc par exemple : au Japon, les gens travaillent dur et ne vont prendre qu'une dizaine de jours de vacances dans l’année. Nous essayons d'organiser un voyage pour l’Arc, leur grand voyage de l’année » Ezequiel Valle a souligné que les courses devaient repenser leur modèle pour (enfin) entrer dans la modernité : « Il nous faut aussi repenser nos habitudes, utiliser les réseaux sociaux. Et s’inspirer de l’Australie, où la promotion des courses passent par l’arrivée de nouveaux propriétaires via les écuries de groupe. » Et l’Australie est un bon exemple, avec des grandes réunions étant aussi bien un rendez-vous sportif qu’un rendez-vous de pur divertissement… Avec ou sans Taylor Swift.