
Courses / 20.10.2019
TRIBUNE LIBRE - La crise du personnel, grande oubliée de la campagne électorale
Par Alban Chevalier du Fau, membre du Bureau de Génération Courses, en charge de l’image des courses
« Petites et grandes, parisiennes et provinciales, toutes les écuries d’entraînement ou de préentraînement ont un point commun : leur difficulté croissante à recruter du personnel qualifié. Pour un(e) jeune entraîneur, il sera bientôt plus aisé de convaincre des propriétaires de lui envoyer des chevaux que de trouver des cavaliers pour les monter… Et une fois embauchés, il lui faudra composer tous les matins avec les retards, l’absentéisme et autres manquements professionnels, voire la rude concurrence entre professionnels pour les meilleurs éléments, tant la pénurie est grave et généralisée.
Bien que moins aigüe pour le moment, la crise pointe également dans les entreprises d’élevage, face à des Maisons familiales rurales qui peinent à recruter et à une myriade de formations agricoles souvent inadaptées aux besoins spécifiques du secteur hippique.
Ce sujet, qui concerne directement ou indirectement la totalité des acteurs de la filière, est le grand absent de la campagne électorale alors qu’il s’agit d’un pilier de notre secteur dont notre compétitivité dépend. La pénurie de personnel nous ronge de l’intérieur.
Plusieurs facteurs sont sans doute à l’œuvre pour expliquer cette situation – qui, soit dit en passant, dépasse largement les frontières françaises.
La raréfaction de la "taille jockey" ne peut être seule responsable. L’écrasante majorité des élèves de l’Afasec n'ont pas vocation à devenir jockey, mais ce qui est nouveau, c’est que nous n’arrivons plus non plus à les fidéliser à l’un des nombreux postes que proposent nos entreprises d’entraînement ou d’élevage. Pourtant, ces métiers présentent de réelles perspectives de carrière, alors que le chômage des jeunes stagne à un plus haut niveau historique.
La féminisation grandissante joue également un rôle non négligeable : le taux d’abandon des jeunes femmes est énorme, sans doute en raison des difficultés à concilier les contraintes d’un emploi dans une écurie avec une vie de famille. Selon le dernier Observatoire social de l’Afasec, dans les écuries de galop, les femmes sont plus nombreuses que les hommes parmi les moins de 25 ans…mais cette proportion tombe à 24 % au-delà de 30 ans.
Autant d’abandons, si vite après l’entrée dans le métier, prouve surtout que nous n’attirons pas les bons profils dans nos formations. À notre sens, nous faisons fausse route dans la communication autour de nos métiers. Les plaquettes de l’Afasec regorgent de jeunes filles qui caressent un cheval et auxquelles on fait miroiter la possibilité de monter en course, alors que le parcours qui les attend est plus proche de l’entraînement militaire, qui nécessite une énergie hors du commun, un tempérament bien trempé, une condition physique digne d’un athlète de haut niveau, et un goût du risque prononcé !
Davantage que l’amour du cheval – qui n’induit pas nécessairement la capacité à se lever aux aurores 6 jours sur 7, à se faire sa place dans un monde d’adultes, à soulever du fumier au réveil et à canaliser une boule de muscles de 500 kilos – vantons l’engagement dans une filière de plein emploi, qui propose des carrières fortement évolutives, un quotidien "qui déménage", où les hyperactifs trouveront à employer leur énergie, la perspective d’une gratification morale et financière par le biais de l’intéressement aux résultats de l’écurie, l’intégration dans une équipe soudée par les conditions parfois difficiles et la collaboration vers un objectif commun. Recrutons sur les terres de l’armée !
Le format des formations est sans doute à revoir également. Le désintérêt dont souffrent les métiers du cheval est partagé par toutes les filières "manuelles", dont les diplômes (CAP, bac pro) ont été totalement dévalorisés au profit du sacro-saint baccalauréat général, que la plupart des parents imaginent être un prérequis pour trouver un emploi.
Il nous faut sans doute imaginer davantage de diplômes post-bac et de formations parallèles à celles qui existent aujourd’hui. Hervé Morin, président de la région Normandie, avait avancé l’idée d’une université du cheval domiciliée au haras du Pin, qui formerait à l’ensemble des métiers nécessaires à la filière, à tous niveaux de responsabilité, et proposerait également des formations professionnelles intensives à destination du personnel d’encadrement.
Car l’autre problème sous-jacent à la crise du personnel est l’absence de formation au management dans nos écuries et nos élevages. Dans beaucoup d’entreprises hippiques, les apprentis sont relativement "livrés à eux-mêmes", dans un environnement peu préparé à accueillir des adolescents. Parfois, ils sont vus avant toute chose comme de la main-d’œuvre peu coûteuse et non comme des élèves en cours de formation. Dès lors, comment s’étonner du fort taux d’abandon ou déplorer la baisse du niveau général d’équitation et de connaissance du cheval. "Apprendre à apprendre", encadrer des jeunes, cela s’apprend.
Notre filière se trouve face à un vaste chantier, qui nécessite la mobilisation de l’ensemble des professionnels mais surtout, comme tant d’autres sujets, la collaboration des deux sociétés-mères car les enjeux sont largement communs. Notre avenir en dépend. »
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