Interview exclusive de Nurlan Bizakov, nouveau propriétaire de Montfort & Préaux

International / 21.11.2019

Interview exclusive de Nurlan Bizakov, nouveau propriétaire de Montfort & Préaux

En exclusivité pour Jour de Galop, Nurlan Bizakov s’est confié au sujet de ses ambitions avec Montfort & Préaux, son deuxième haras en Europe. Ce véritable passionné, actif depuis plus d’une décennie outre-Manche, est aussi un amoureux de la France.

Jour de Galop. – Comment est née votre passion pour les chevaux ?

Nurlan Bizakov. – Comme beaucoup d’habitants du Kazakhstan, j’ai toujours eu des chevaux. Cela fait partie de notre culture. Un membre de ma famille m’a suggéré d’acquérir un cheval pour avoir un partant dans les belles courses de notre pays. Ce sont des épreuves de très longue distance et les jockeys montent à cru. La plus prestigieuse se déroule sur 32 kilomètres par exemple. Le premier pur-sang anglais que j’ai acheté, c’est en Russie que je l’ai trouvé. Et il s’est révélé très bon, remportant deux belles épreuves. Nous avons alors acquis dix chevaux en Russie, mais ils n’étaient pas très bons. À cet instant, je ne connaissais encore rien aux courses anglaises.

Pourquoi avoir choisi d’investir en Angleterre dans un premier temps ?

Au début des années 2000, alors que j’avais déjà plus de 35 ans, j’ai passé une année dans ce pays pour y apprendre la langue. J’habitais près d’Ascot, à Windsor. Un jour, j’ai assisté à cet étrange ballet où tous les gentlemans se mettent à porter d’étranges chapeaux ! Ce fut mon premier contact avec les courses à l’occidentale.

Un peu plus tard, mon beau-frère et moi-même avons décidé de courir dans ces épreuves anglaises que j’avais récemment découvertes. À peu près à la même période, un Jockey Club est né au Kazakhstan, avec son programme classique.

En 2005, j’ai découvert le book 1 de Tattersalls et j’ai pu mesurer l’ampleur de cette filière.

Mon premier achat, Askar Tau (Montjeu), fut très heureux, ayant remporté deux Grs2, un Gr3 et une Listed. Il s’est aussi classé cinquième du Prix du Cadran (Gr1). C’était un "FR" issu d’une mère allemande. Sa réussite m’a incité à continuer à investir, et en 2008, j’ai commencé à élever. Un agent immobilier m’a parlé d’un grand haras de 300 hectares à vendre. C’était Hesmonds Stud, dans le sud de l’Angleterre. L’affaire s’est finalement faite en 2010. L’activité s’est vraiment lancée en 2011, avec l’arrivée du stud manager, Tony Fry. Nous avons reconstruit un élevage presque à partir de zéro. Nous l’avons rénové, nous avons construit trois barns et refait des kilomètres de clôtures.

Quels ont été vos premiers contacts avec la filière française ?

Le niveau du parc étalon français a considérablement évolué en l’espace d’une décennie, avec une nouvelle génération, très ambitieuse, à la tête des haras dans l’Hexagone.

Nous avons régulièrement utilisé des étalons français et même acquis des parts de certains, comme Siyouni ou Le Havre. C’est ainsi que j’ai rencontré, en visitant Montfort & Préaux, Sylvain Vidal et Mathieu Alex. Lorsque j’ai appris que le haras pouvait être acheté, Tony et moi-même sommes allés revoir les lieux. Il est évident que l’équipe en place, en particulier Sylvain Vidal et Mathieu Alex, avait fait du très bon travail. Le marché des étalons est très compétitif et ils ont su tirer leur épingle du jeu. Il n’y a qu’à voir l’évolution du prix de saillie de Le Havre. Une telle progression, ce n’est pas quelque chose de courant. Recruter un étalon, c’est quelque chose de difficile. Mais bien le manager, c’est encore plus difficile. Dès lors, en rachetant Montfort & Préaux, je voulais que Sylvain et Mathieu restent dans le bateau qu’ils ont construit. J’ai un bon contact avec eux. Nous partageons la même passion. Ce haras aurait pu être vendu à d’autres investisseurs. Mais l’affaire s’est faite avec moi car nous nous entendons bien.

Pourquoi choisir la France ?

Je songeais, de longue date, à me lancer dans l’étalonnage. Et je pense que la France et ce haras en particulier représentent une réelle opportunité. Encore une fois, travailler avec une équipe qui a fait ses preuves, et dont la motivation est intacte, c’est un atout considérable.

D’autre part, compte tenu du fait que nous envoyions beaucoup de juments depuis notre base anglaise à la saillie en France et en Irlande, cela fait un moment que j’envisage d’acheter un haras dans ces deux pays, même si au départ, je pensais à des sites moins importants que Montfort & Préaux.

À présent, la situation change et Montfort & Préaux va certainement devenir mon principal haras. Il est assez grand pour cela et il est tout à fait possible d’envoyer des juments à la saillie à l’étranger depuis la France.

J’ai appris l’anglais à l’âge de 36 ans. À présent, âgé de 55ans, je vais tenter de faire la même chose avec le français. C’est mon nouveau challenge. Votre pays me plaît. J’ai séjourné à cinq reprises dans le sud de la France lors de vacances estivales.

Que pensez-vous des courses françaises ?

Le système français est très incitatif. Je veux élever ici et produire des chevaux avec les primes. Si vous avez un très bon sujet, un cheval qui a le niveau des Grs1, il peut courir n’importe où. Et les grandes épreuves françaises sont d’un bon niveau. Mais au quotidien, les allocations sont ici bien meilleures qu’en Angleterre et la compétition moins acérée dans les épreuves black types. J’ai pu le constater lorsque mon représentant Barys (Kodiac) a remporté le Prix de la Californie (L). C’est important pour bâtir un élevage et une écurie. Nous sommes dans une phase de recherche de nos futurs entraîneurs. Dans l’avenir, c’est ici que la majorité de nos chevaux sera entraînée.

À titre de comparaison, mon représentant Askar Tau a gagné cinq courses outre-Manche lors de la saison 2008, prenant part à de bonnes épreuves comme le Cesarewitch. Il s’est classé quatrième de cette épreuve dont il était le favori. Et pourtant, il n’a même pas réussi à rembourser ses frais d’entraînement de l’année.

Quelle aptitude a votre préférence chez les chevaux ?

A titre personnel, je n’ai jamais eu de gagnant sur 1.000m ou 1.200m. Mon cheval le plus "vite" a gagné sur 1.400m et le plus précoce à l’été de ses 2ans. J’essaye d’élever des chevaux de distance intermédiaire, pour gagner à bon niveau sur 2.000m, 2.400m. En tant qu’éleveur, je ne suis pas obnubilé par la précocité.

En ce qui concerne l’élevage, avez-vous un modèle ?

Au départ, je suivais avec attention le travail effectué à Ballymacoll Stud. Avec un nombre de juments raisonnables, ils ont obtenu d’excellents résultats, produisant régulièrement des chevaux de premier plan. Forcément, Godolphin et la galaxie Coolmore dominent notre univers mais ils fonctionnent avec des effectifs et des moyens sans équivalent. Aussi, actuellement, je dirais que je suis vraiment impressionné par Juddmonte. Tous les ans, ils ont des chevaux de Gr1. Sur une période au final assez réduite, ils ont produit des sujets inoubliables comme Frankel (Galileo), Kingman (Invincible Spirit) ou encore Enable (Nathaniel). Des étalons de premier plan aussi. Pour moi, Juddmonte est le meilleur. Là-bas, ils travaillent sur certaines souches depuis quatre ou cinq générations. J’ai d’ailleurs essayé d’acheter Calyx (Kingman). Mais il y avait Coolmore en face !

Quel modèle économique voulez-vous mettre à l’œuvre dans votre nouveau haras ?

Nous essayons de trouver de nouveaux étalons pour les installer à Montfort & Préaux, mais ce n’est bien sûr pas facile de trouver les bons prospects. Par contre, nous ne voulons pas développer une activité de consignation de yearlings sur ce haras pour les années à venir. Beaucoup de gens le font très bien, c’est un autre métier. Pour en revenir à l’exemple de Ballymacoll Stud, ce haras vendait un ou deux yearlings de temps en temps, en faisant appel à des préparateurs reconnus et extérieurs. Et c’était dans chaque cas des sujets d’exception, qui atteignaient souvent de belles sommes sur le ring.

Déjà plus de 20 de nos juments sont installées à Montfort & Préaux. Mais nous voulons aussi accueillir les poulinières de clients sur le long terme.

Les meilleurs représentants de Nurlan Bizakov

Chevaux            Principales victoires

Altyn Orda       Oh So Sharp Stakes (Gr3), 3e Kingdom of Bahrain Sun Chariot Stakes (Gr1)

Askar Tau (*)   Lonsdale Cup & Doncaster Cup (Grs2), Sagaro Stakes (Gr3)

Nausha             Tattersalls Musidora Stakes (Gr3)

Rasima             2e Hoppings Fillies' Stakes (Gr3)

Tomyris            Chartwell Fillies' Stakes (Gr3)

(*) Ce cheval a été acquis yearling. Les autres ont été élevés à Hesmonds Stud.

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