
Courses / 13.12.2019
Quand les dames font durer le plaisir
Alors qu’elles auront 6ans l’an prochain, la meilleure jument d’Europe et son homologue américaine vont jouer les prolongations. Après la décision du prince Abdullah de maintenir la grande Enable (Nathaniel) chez John Gosden, c’est au tour de Peter Brant d’annoncer le retour en piste de Sistercharlie (Myboycharlie) en 2020. Celles qui à elles deux cumulent 17 victoires de Gr1 entameront leur saison 2020 avec le même nombre de courses au compteur (15).
Par Franco Raimondi
Dahlia, un onzième Gr1 à 6ans. En 1976, j’allais aux courses, mais je n’étais pas encore dans la profession. Personne ne m’avait donc demandé d’écrire un papier au sujet de la décision de Nelson Bunker Hunt de conserver à l’entraînement, à 6ans, sa championne Dahlia (Vaguely Noble). Sous la férule de Maurice Zilber, elle avait remporté dix Grs1, comme Enable (Nathaniel), mais aucun Prix de l’Arc de Triomphe, car elle détestait Longchamp au plus haut point. Au mois de juin de ses 5ans, elle était venue à San Siro et j’avais pu l’admirer dans le Gran Premio di Milano (Gr1). Mais ce fut l’ombre d’elle-même. Elle se classa sixième, bien battue dans une course gagnée par le futur lauréat de l’Arc de Triomphe Star Appeal (Appiani). « Elle est cuite, c’est fini ! » Voilà ce que j’avais pu entendre ce jour-là. Deux mois plus tard, elle prenait sa revanche sur Star Appeal dans la Benson & Hedges Gold Cup (Gr1), devenue depuis Juddmonte International. Elle avait quitté Chantilly pour la Californie et, sous l’entraînement de Charlie Whittingham, elle a couru treize fois en ajoutant à son palmarès la Hollywood Turf Cup (Gr1).
Zenyatta, une grande saison sans happy end. Bien des années après, en 2010, avec certaines années d’expérience au compteur, on m’a demandé d’écrire un article sur la décision de garder à l’entraînement, à 6ans, Zenyatta (Street Cry), qui venait de battre les mâles dans la Breeders’ Cup Classic. Pour les enfants de chœur, cela avait des allures de sacrilège. Pourtant, elle a réussi une saison presque parfaite, mais sans le happy end espéré, une deuxième Breeders’ Cup Classic. C’est Blame (Arch) qui hérita du rôle du méchant. Il s’agissait de la vingtième sortie de la jument. Jerry et Ann Moss, propriétaires et éleveurs de la championne, avaient un compte à régler avec l’autre star américaine, Rachel Alexandra (Medaglia d’Oro), laquelle avait chipé à Zenyatta la couronne de Horse of the Year. Tous les turfistes rêvaient d’un tel duel, mais leurs chemins ne se sont jamais croisés.
Quand Goldikova défia l’histoire. C’est le goût du défi qui avait poussé les frères Wertheimer à conserver Goldikova (Anabaa) pour la saison de ses 6ans. Il fallait gagner une quatrième Breeders’ Cup Mile (Gr1). Cela n’a pas marché car elle a trouvé face elle Dream Ahead (Diktat). Non, le champion de la vitesse ne s’était pas rendu à Churchill Downs, mais, dans une édition d’anthologie du Prix de la Forêt (Gr1), notre "Goldi" avait laissé des plumes face à lui, ce qui lui a probablement coûté la victoire au Kentucky. Elle avait tout de même réussi un coup de quatre dans un Gr1, le Prix Rothschild.
Black Caviar et Winx, deux légendes. Le monde des courses a changé. Après Zenyatta et Goldikova, deux autres stars ont joué les prolongations. Restée invaincue et grâce à son fameux succès à Royal Ascot, Black Caviar (Bel Esprit) avait remplacé une légende telle que Phar Lap dans l’imaginaire collectif des Australiens, avant d’être à son tour surpassée par Winx (Street Cry). Pour des raisons économiques, un tel choix est plus facile à faire avec des juments. Une championne peut briller comme poulinière, mais elle ne peut donner qu’un produit par an, une pièce unique d’accord, mais le business n’est pas le même que pour un étalon.
Le goût du challenge. Le plaisir et le goût du challenge n’ont pas de prix. Les cas de Zenyatta, Black Caviar et Winx sont similaires car leurs propriétaires ont "touché" avec elles le cheval d’une vie, et ils ont voulu faire durer le plaisir. Le choix des Wertheimer, lui, est très "sport". Malgré une opération d’élevage, ils n’ont pas l’objectif économique de produire des étalons à même d’engendrer du profit. Quand on touche une Goldikova, il est difficile de s’en séparer en attendant ses produits.
Le prince s’est fait un cadeau. Pour le prince Abdullah et Peter Brant, c’est le sport qui l’a également emporté. Pourtant, la situation des deux hommes n’est pas la même. L’élevage Juddmonte a atteint son zénith. En neuf petites années, il a eu le super-crack Frankel (Galileo) et Enable, sans changer d’un iota son approche de sélection, et il a développé deux étalons haut de gamme (l’autre est Kingman). Juddmonte est une machine bien huilée, qui peut durer des décennies et voler en pilotage automatique. La saison 2020 d’Enable est un cadeau que le prince a décidé de s’offrir. Une façon de se dire : « Bravo, tu as bien mérité ça… »
Peter Brant, le choix du cœur. Peter Brant démarre sa deuxième vie dans les courses et l’élevage. Il a beaucoup investi sur tous les marchés, pour se faire plaisir et sans jeter l’argent par les fenêtres. Il a eu tout de suite sa championne et Sistercharlie est devenue au fil de ses courses plus qu’une future poulinière de très grand niveau. C’est sa jument de cœur, celle qui lui donne l’envie d’aller aux courses, d’acheter des pouliches qui un jour pourront en produire une aussi bonne qu’elle.
Enable et Sistercharlie ne se rencontreront jamais sur les pistes. Le prince Abdullah espère entrer dans l’histoire avec un troisième Prix de l’Arc de Triomphe et toute la campagne de la jument sera axée sur cet objectif. Peter Brant, quant à lui, a déjà son cheval pour le premier dimanche d’octobre. Il s’agit du petit frère de Sistercharlie, Sottsass (Siyouni). Chad Brown pourra donc gérer avec sa prudence légendaire une saison que l’on espère parfaite.
Le plaisir n’a pas de prix. Il est difficile de pronostiquer l’année 2020 des deux grandes dames du galop. Seront-elles capables d’évoluer encore au top ? L’un des enfants de chœur dont je parlais m’avait dit, après l’annonce du prince Abdullah, que garder Enable à l’entraînement était un crime. J’avais tout simplement répondu : « Facile, mon ami, fais une offre au prince pour acheter Enable. Comme ça, tu pourras l’envoyer dans un paddock en attendant de lui trouver un étalon à ton goût. » Heureusement, elle n’a pas de prix, comme le plaisir de la voir galoper…
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