Gérard Larrieu : « Le pur-sang arabe est l’un des meilleurs atouts de la France »

01.10.2020

Gérard Larrieu : « Le pur-sang arabe est l’un des meilleurs atouts de la France »

Personnage haut en couleurs, Gérard Larrieu est l’un des courtiers les plus expérimentés de la scène internationale. Ce fils d’éleveur, né au pied des Pyrénées, a permis à ses clients d’atteindre les sommets de la compétition hippique, en plat, en obstacle, avec les purs et avec les arabes !

L’homme de Chantilly Bloodstock connaît une période faste, avec notamment la championne Lady Princess (General), mais aussi Sacred Life (Listed aux États-Unis), Skyward (Prix de Reux, Gr3), Gold Trip (Prix Greffulhe, Gr2, troisième du Grand Prix de Paris, Gr1), Dream Works (Prix Ridgway, Listed) et plusieurs jeunes chevaux très attendus au niveau black type (Golden Boy, Darkness, Saqr…).

Au mois d’août, entre deux visites dans les haras pour superviser des yearlings vendus chez Arqana début septembre, il a répondu à nos questions.

The French Purebred Arabian. – Master of Reality et Skyward, deux chevaux que vous avez achetés, sont en lice pour la Melbourne Cup (Gr1). Le deuxième appartient à John Messara. Comment avez-vous rencontré ce leader de l’élevage australien ?

Gérard Larrieu. – À la fin des années 1980, John Messara était LA vedette médiatique de la planète hippique. C’est un nom dont on entendait parler, en provenance de la lointaine Australie. Vu de France, c’était un personnage totalement inaccessible. Il s’apprêtait à lancer son élevage sur les marchés boursiers ! Revenant des États-Unis, je n’avais qu’une grosse vingtaine d’années et j’ignorais totalement que la BBA England avait essayé d’acheter le français Kenmare (Kalamoun) pour lui. Kenmare était alors le meilleur étalon tricolore. Il appartenait à un syndicat dont Guy de Rothschild était l’actionnaire majoritaire. Il se trouve que je connaissais le lad de Kenmare et que ce dernier m’avait confié que le baron regrettait d’avoir refusé l’offre de la BBA England.

Je sollicite donc mon unique contact en Australie en lui disant que si John Messara veut vraiment acheter le cheval, je suis le seul qui peut lui permettre d’y arriver. Je lui balance ça sur un coup de tête… comme on jette une bouteille à la mer !

Comment l’affaire s’est-elle faite ?

Quelque temps plus tard, alors que j’avais équipé ma voiture d’un Radiocom 2000, l’ancêtre du téléphone portable, je reçois un appel d’une personne qui se présente comme l’avocat de John Messara. J’ai cru que c’était une blague et j’ai raccroché. Le téléphone sonne à nouveau. Même présentation. Je raccroche une deuxième fois. Troisième appel, je décroche : cette fois, c’est John Messara lui-même qui me parle – et en français !

Ça doit faire un choc ?

Là, j’étais au pied du mur. Donc le jour de la vente de l’Arc, je suis allé me présenter au baron… lequel n’avait absolument aucune idée de qui j’étais. Guy de Rothschild me dit alors que le cheval n’est pas à vendre. Mais au cours de la vente, il présente une fille de Kenmare que j’achète pour l’un de mes clients. Alors le baron revient vers moi et me propose de le suivre chez lui. Avec ma Peugeot 204, je traverse Paris en collant sa voiture avec chauffeur, pour être sûr de ne pas le perdre en route. Nous arrivons à l’hôtel Lambert vers minuit. Ca commence mal : en rentrant dans le salon, je marche sur son petit chien ! Mais la discussion a tout de même lieu et une fois que j’ai épuisé tous mes arguments, nous finissons par appeler l’Australie depuis le salon de l’hôtel particulier. Finalement, John Messara et Guy de Rothschild se sont parlé pendant deux heures au téléphone ! Et à 2 h 30 du matin, l’affaire était faite.

Vous avez aussi vendu Kendor à John Messara ?

Kendor (Kenmare) était monté en course par Maurice Philipperon… avec un collier de chasse. Il était totalement caractériel et son jockey se faisait embarquer à chaque fois ! Kendor était bon… car il faisait absolument ce qu’il voulait. Après sa victoire dans la Poule d’Essai des Poulains (Gr1), John Messara me demande s’il peut l’acheter. Je me mets d’accord avec son propriétaire Adolphe Bader. John Messara, en compagnie de son avocat, saute dans un avion. À peine débarqué en France, nous nous rendons tous ensemble chez l’entraîneur de Kendor, Raymond Touflan, à Maisons-Laffitte. Une fois sur place, le cheval se montre très difficile. On peut à peine l’approcher. Il saute sur le personnel de l’écurie. Le fils de Raymond Touflan, un colosse, était le seul à pouvoir vraiment le seller. Nous allons voir le cheval en piste et il se révèle ne pas être très souple – plus tard, on allait réaliser qu’il avait un bout d’os qui se baladait dans le genou… Il n’a d’ailleurs plus jamais couru après la Poule. Bref, avec toutes ses péripéties, je voyais déjà la vente s’envoler. Mais je n’étais pourtant pas au bout de mes peines. Sur le trajet du retour, entre la piste et l’écurie Touflan, nous empruntons une avenue de Maisons-Laffitte. Alors que je roulais à 50km/h, j’aperçois un cheval gris dans le rétroviseur… sans cavalier et sur la route ! John Messara, assis à côté de moi, voit alors Kendor, qu’il voulait acheter, dépasser la voiture à pleine vitesse sur le macadam. Le cheval poursuit sa route et rentre comme une balle dans la cour d’entraînement, à tel point qu’il termine dans le poulailler au milieu des volailles de la famille Touflan. Je revois encore la tête de John Messara, consterné, après trente heures de voyage, face à Kendor, son futur étalon, avec une poule sur le dos. Pourtant, l’affaire s’est faite ! Malheureusement, le cheval n’a pas réussi au haras en Australie. Je l’ai alors racheté et il est devenu le grand étalon que l’on sait en France.

Kendor n’avait pas un grand pedigree. Est-il possible de trouver un bon pur-sang arabe parmi ceux qui n’ont pas de grandes origines ?

L’exemple même, c’est Arawak d’Aroco (Manganate), avec une mère par Fawzan (Tuhotmos). Du côté maternel, ce sont des chevaux d’endurance. La famille a pris de l’ampleur avec le temps, mais au départ ce n’était pas grand-chose. Arawak d’Aroco fut le premier bon de cette souche. Je l’ai acheté le jour de ses débuts. Il s’était échappé… c’était un sujet assez difficile. Malgré son absence de pedigree maternel, il est devenu un champion. Arawak d’Aroco est né en 1992, l’année où je me suis rendu au Qatar pour la première fois. J’étais invité par Son Altesse le cheikh Mohamed Al Thani. Et quelques années plus tard, je lui ai vendu le cheval.

Pour cette casaque, vous avez aussi acheté Djainka des Forges, lauréate de la Qatar Arabian World Cup (Gr1 PA).

Au départ, j’ai acheté Djamour des Forges (Tidjani), suitée de Djainka des Forges (Kerbella), pour mon propre compte. Le cheikh Mohammed Al Thani m’a alors demandé de lui trouver des filles de Tidjani (Flipper). J’ai donc proposé Djamour des Forges en précisant qu’il fallait attendre le sevrage… ou acheter les deux. J’ai appuyé en faveur de la deuxième option et je lui ai vendu le lot, c’est-à-dire mère et fille. Djainka des Forges a été élevée à Saint-Faust lorsqu’elle était foal. Par la suite, elle l’a été en Angleterre chez le frère de son propriétaire.

On dit que vous êtes puriste…

Jean-Marc de Watrigant est un vrai puriste. On lui doit beaucoup dans la réussite du pur-sang arabe français de course. Même quand les chevaux arabes ne valaient rien et qu’il n’y avait donc aucun retour financier, il les élevait avec le même soin que les meilleurs pur-sang anglais. Il n’a jamais mégoté. Il a toujours fait de la sélection, avec passion. Et comme par hasard, savez-vous avec qui il a fait son service militaire ? Avec François Boutin ! Ça ne s’invente pas. Deux hommes profondément tournés vers la sélection ; deux hommes voulant le meilleur. Ce ne sont pas des maquignons. Et je me reconnais dans leur motivation pour la qualité. Si les courses en France ne devenaient que des handicaps de deuxième épreuve… j’élèverais des oies. La seule raison pour laquelle j’arrive à Deauville assez tôt durant le meeting, c’est pour voir le Prix de Tancarville et les autres bonnes courses de 2ans.

Comment est née votre vocation ?

Mes parents élevaient. À l’âge de 14 ans, le premier cheval que j’ai acheté était une jument arabe. Elle s’appelait Medica (Ourour) et on la retrouve encore dans le pedigree de certains bons gagnants. Cette histoire familiale se poursuit en association avec mes frères au haras de Saint-Faust. Avec les chevaux arabes, on peut être en compétition avec les meilleurs. Et nous avons beaucoup développé notre effectif dans ce sens. Aujourd’hui, nous avons une vingtaine de poulinières arabes. Nous avons aussi des juments pur-sang anglais pour l’obstacle. Dans ces deux disciplines, il n’est pas statistiquement impossible d’obtenir un crack. C’est plus difficile en plat avec un pur-sang anglais. Même si cela m’est déjà arrivé d’en fabriquer un : j’ai vendu Morning Light (Law Society) alors qu’elle était pleine du double gagnant classique Brametot !

J’ai touché à de nombreux aspects de notre filière, de l’entraînement au poulinage, en passant par les saillies… Mais mon passeport, celui qui m’a ouvert toutes les portes, c’est le cheval arabe. Sans lui, je n’aurais pas pu évoluer professionnellement. J’aurais certainement fait un autre métier dans la filière cheval. Face aux Français, les Anglais ont souvent un sentiment de supériorité sur le plan hippique. Mais il faut faire valoir nos atouts… et le cheval arabe en est un ! 

La France est-elle un bon pays pour se lancer dans l’élevage ?

Dans notre pays, on voit beaucoup de jeunes éleveurs qui partent de rien et s’en sortent. Je ne crois pas qu’il y en ait autant outre-Manche. Même si c’est dur en France, cela reste tout de même plus facile qu’en Angleterre. Nos têtes de liste des éleveurs sont actuellement messieurs Pariente (haras de Colleville) et Waugh (Jedburgh Stud)… et les deux ne sont pas des milliardaires. Je ne vous parle même pas du métier d’entraîneur. En Angleterre, c’est encore pire pour les jeunes. Pour ceux installés dans le Sud-Ouest, le pur-sang arabe est une opportunité exceptionnelle. Je pense à Charles Gourdain ou encore à Élisabeth Bernard. Olivier Trigodet tire aussi son épingle du jeu grâce aux chevaux arabes.

Vous connaissez aussi une belle réussite en obstacle, avec Burning Victory (Triumph Hurdle, Gr1) ou encore Messagère (Prix Sagan, Gr3).

L’obstacle est un sport magnifique. C’est d’ailleurs dans cette discipline que j’ai commencé. Avant d’aller chez François Boutin, j’ai travaillé trois ans chez Jean Couétil. C’était alors une grande maison de l’obstacle. Dans son antenne de Maisons-Laffitte, je faisais tourner la boutique. C’est une discipline très difficile, exigeante et formatrice. Jean-Claude Rouget, Aidan O’Brien et André Fabre, avant de passer au plat, étaient des entraîneurs d’obstacle. Chez François Boutin, j’ai pris goût aux très bons chevaux, à la grande qualité. Les gens qui l’entouraient étaient les meilleurs, le top du top. La sélection de la sélection. Et moi… je voulais m’installer entraîneur !

Mais pourtant, vous êtes devenu courtier ?

Avant de m’installer, je me suis dit qu’il fallait que je découvre les États-Unis. François Boutin m’a parlé d’un de ses amis à New York. Je suis donc parti en stage chez Mack Miller. Lui aussi n’était intéressé que par la crème de la crème.

Chez lui, j’ai rencontré un premier client, qui m’a confié un million de dollars pour acheter des chevaux en France. J’ai ainsi importé Sifounas (Secretariat), Negundo (Tyrant) et Interco (Intrepid Hero). Trois chevaux que j’ai évidemment trouvés chez François Boutin et que je connaissais par cœur ! Interco s’est révélé être un crack aux États-Unis, notamment vainqueur de quatre Grs1 à 4ans. Grâce à lui, j’ai pu acheter une multitude de chevaux à l’entraînement, mais aussi des pouliches bien nées par Lyphard (Northern Dancer) et Riverman (Never Bend) car elles étaient beaucoup moins chères ici. De fil en aiguille, je suis devenu courtier, et non pas entraîneur.

Que dites-vous à une personne qui vient vous voir pour acheter ?

La première erreur serait de lui présenter cela comme un investissement. Surtout s’il ne connaît pas les courses. Quand quelqu’un achète un yacht, on ne lui dit pas que c’est un investissement. Il faut faire pour son client ce que l’on aurait fait pour soi-même. Jean-Louis Bouchard, par exemple, connaît parfaitement les courses. Il a un pied chez différents entraîneurs et il voit les différentes manières de procéder. Je ne peux rien lui apprendre, il était sur la pelouse de ParisLongchamp avant moi. Mais grâce à lui, et à ses moyens financiers, je fais ce que j’aurais aimé faire pour moi-même. Bien entendu, c’est à lui que reviennent les décisions. Pour être courtier, il faut de l’expérience. Cela compte beaucoup. Connaître l’animal est important, bien sûr, mais il faut surtout connaître les pedigrees, les familles et se souvenir des courses.

Parmi vos très bons achats, il y a bien sûr Trêve…

L’année d’avant, j’avais vendu Rjwa (Muhtathir) à Saeed Nasser Al Romaithi sous les couleurs duquel elle s’est classée deuxième du Prix Saint-Alary (Gr1). Dans la foulée, Son Excellence le cheikh Joaan Al Thani l’achète par mon intermédiaire et elle se classe troisième du Prix de Diane (Gr1). Il me demande alors de lui trouver un cheval d’Arc. Je lui réponds que c’est une mission quasi-impossible. C’était l’année où tout le monde parlait d’Intello (Galileo). C’était le cheval du moment. Sur le parcours du Prix du Jockey Club et dans les mêmes conditions, Trêve (Motivator) était allée cinq secondes plus vite que lui. Dès lors, Trêve s’imposait comme une candidate à l’Arc évidente. C’est ainsi que le cheikh Joaan Al Thani a acheté une future double gagnante de la grande épreuve… et la semaine suivant la grande course, il a fondé Al Shaqab Racing avec sa famille !

Vous avez aussi acheté Hadi de Carrère, qui est actuellement le meilleur pur-sang arabe de 3ans en France. Qu’est-ce qui vous a plu chez lui ?

Bien que battu pour ses débuts, il était physiquement beaucoup plus puissant que les autres, et était présenté par un entraîneur, Éric Dell’Ova, qui laisse de la marge aux jeunes chevaux. Le gagnant était très estimé par Thomas Fourcy. Un bon cheval de l’un de mes clients était aussi dans la course. À partir du moment où l’on voit un poulain immature qui arrive à faire galoper le meilleur Fourcy, on peut y aller les yeux fermés. C’est aussi ce qui s’est passé pour Lady Princess (General), laquelle avait une action hors normes. Manark (Mahabb) m’a été recommandé par Damien de Watrigant. Après ses débuts victorieux, il est passé sous les couleurs d’Hamdan Al Maktoum. Ses premiers produits sont exceptionnels. Cela fait près de quatre décennies que je travaille pour cette casaque. Presque autant que pour Jean-Louis Bouchard ou Sheail bin Khalifa Al Kuwari !