
Courses / 12.10.2020
Francis Teboul : « Le Berry ** est un cheval hors du commun »
Par Christopher Galmiche
Vingt-quatre heures après la démonstration de son champion Le Berry ** (Gemix) dans le Prix Orcada (Gr3), son copropriétaire Francis Teboul nous a accordé de son temps pour revenir sur la belle histoire de son champion, l’équipe soudée qu’il forme avec David Cottin et sur sa passion pour l’élevage et les courses.
Jour de Galop. – Comment avez-vous vécu la victoire de Le Berry dimanche dans le Prix Orcada ?
Francis Teboul. – Nous avons vécu la course avec beaucoup d’émotion, comme nous vivons toutes les courses sur la butte Mortemart. En obstacle, le risque est toujours présent, nous ne sommes pas à l’abri d’une chute, d’une glissade, d’une faute… Vous pouvez avoir le meilleur cheval de 4ans, ce qui est le cas à ce jour avec Le Berry suite à sa victoire dans le Prix Orcada. Mais il ne faut pas se relâcher et l’amener au mieux de sa forme pour l’ultime étape que représente le Prix Maurice Gillois. Bien entendu, durant ce Gr1, la pression sera à son comble. Nous avons confiance en notre cheval, il saute bien, il est très appliqué et déterminé, ce qui fait de lui un compétiteur hors du commun, surtout lorsqu’il est associé à son talentueux partenaire Kevin Nabet. Chaque course est différente avec son lot d’incertitudes. Avant le Prix Orcada, on nous avait présenté deux chevaux qui pouvaient apporter une opposition sérieuse : Galleo Conti ** (Poliglote) et Général en Chef ** (Martaline). Ce sont deux très bons chevaux qui ont réalisé, pour une première sur 4.400m et en terrain pénible, un parcours de qualité. Nous avions également une surcharge de trois kilos sur la majorité des compétiteurs. Nous avons rencontré ce qui se fait de mieux dans la discipline à l’exception de Gardons le Sourire ** (Fame and Glory), qui a déclaré forfait pour cette confrontation.
Le Maurice Gillois se présente bien…
David Cottin va désormais préparer avec soin son poulain pour cette échéance capitale. Si nous parvenons à gagner cette course, cela ferait rentrer Le Berry dans l’histoire. Je ne pense pas qu’un autre 4ans ait déjà réalisé, à ce jour, un tel exploit. Cela serait également l’occasion de mettre en valeur son géniteur, Gemix (Carlotamix), qui, en première production, aurait produit un poulain exceptionnel, invaincu en steeple à 4ans. Le Berry donne l’impression d’être le leader d’une génération extraordinaire de steeple-chasers de 4ans, ce qui réhausse aussi sa valeur… C’est effectivement ce que vous avez écrit ainsi que vos confrères. J’avoue que cette génération de 4ans est assez étonnante. J’en suis bien conscient et quand on voit Le Berry dominer de cette façon, on a du mal à le croire, d’autant qu’il affronte une génération de chevaux d’exception
Comment s’est fait l’achat de Le Berry qui, en plus d’être très doué, est un poulain bien né ?
Comme vous avez déjà pu le constater, derrière un grand cheval, il y a souvent une belle histoire. Louis Le Métayer ayant gagné une saillie de Gemix dans un tirage au sort, il l’a proposée à la comtesse Decazes qui avait une poulinière, Kalberry (Kaldounévées). Il lui a dit : "J’ai gagné une saillie d’un étalon qui a un palmarès exceptionnel. Voulez-vous que Gemix saillisse votre jument ?" S’étant mis d’accord, ils ont fait saillir la poulinière qui a donné Le Berry. Un jour, Amanda, la compagne de David [Cottin, ndlr], est allée le voir, tout comme Alix Vanhaecke. Nous avons fait une proposition et avons acheté le cheval. De là, nous avons créé une sympathique association regroupant Amanda, David, mon fils Benjamin et moi-même. Voilà comment, partis d’une saillie gratuite, nous arrivons aujourd’hui aux portes du bonheur.
Le choix de David Cottin comme entraîneur tombait donc sous le sens…
Ayant créé l’association avec David, le choix de l’entraîneur ne se posait pas. David a une place toute particulière dans nos cœurs. Il a été notre jockey sur Gemix, avec lequel il a gagné deux Grandes Courses de Haies pour notre casaque et près d’un million d’euros. Si nous avons remporté la première Grande Course de Haies, c’est vraiment à lui que je le dois. J’étais glacé à l’idée de la courir, trouvant que Gemix n'était pas suffisamment endurci pour une telle épreuve. À l’époque, j’ai dit à David : "Je pense qu’il faudrait attendre un an de plus pour la courir car Gemix est un peu trop jeune." Il m’a fait cette réponse dont on rit encore aujourd’hui : "Êtes-vous sûr de l’avoir encore l’année prochaine ?" J’avais juste oublié un détail, c’est que nous étions en obstacle et que tout pouvait arriver. Nous avons donc couru et bien nous en a pris car nous avons gagné cette année-là et la suivante.
Vous avez donc été un témoin privilégié de l’évolution de David Cottin de jockey à entraîneur…
Effectivement, David a réalisé la prouesse de changer de casquette, ce qui n’a pas dû être facile compte tenu de son jeune âge. Il a dû ranger ses bottes et sa cravache de jockey pour endosser la responsabilité d’entraîneur. Compte tenu de son héritage paternel, l’apprentissage était bien avancé. Quand on voit notamment ses résultats, à Pau, où il a été tête de liste des entraîneurs ces deux dernières années du meeting, c’est exceptionnel. Il s’est fait, il s’est forgé une réputation. J’apprécie chez lui le côté passionné. Il y met tout son cœur, il est respectueux de ses propriétaires. Quelque peu timide et réservé, il ne se met que trop rarement en valeur, c’est un garçon pour qui j’ai beaucoup d’affection.
D’ailleurs, quasiment tous vos sauteurs sont chez David Cottin ?
Oui, à l’exception de deux poulains que j’ai en association chez François Nicolle. C’est à l’occasion d’une vente publique que François Nicolle m’a demandé de rentrer sur un fils de Gemix qu’il venait d’acquérir et j’ai répondu favorablement. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour la carrière de cet entraîneur.
Comme en plat, vous vous êtes diversifié pour le choix de vos entraîneurs ?
Je suis un homme de contact et j’ai besoin de partager avec mes différents entraîneurs sur la gestion de notre écurie. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de travailler avec Francis-Henri Graffard, Yann Barberot et Édouard Monfort. On se parle, on suit l’évolution des chevaux, notamment des engagements et du choix des jockeys. C’est aussi la même chose dans l’élevage. Nous travaillons avec Thierry de La Héronnière et nous prenons du plaisir à réfléchir et échanger sur le choix des croisements. Il faut que ce soit du plaisir ! Quand vous avez une écurie importante et une activité professionnelle qui vous prend beaucoup de temps, il faut la gérer, pouvoir s’appuyer sur des professionnels avec lesquels travailler dans un climat de totale confiance.
D’ailleurs, l’un des traits de votre réussite, c’est la fidélité, que ce soit avec vos chevaux, comme Gemix, ou avec vos entraîneurs…
C’est vrai. À l’époque, Gemix, c’est Nicolas Bertran de Balanda qui en a fait un cheval d’obstacle. C’est quelqu’un que j’ai connu tout jeune chez son père. Lorsqu’il s’est installé comme entraîneur, à Lyon, nous lui avons envoyé un camion avec quelques chevaux. Quelques années après, nous avons acheté Gemix, qui, à l’époque, était un cheval de plat. Il n’était pas facile, mais il a décidé de le dresser sur l’obstacle. Il a ensuite créé ce tandem Gemix & David Cottin avec les résultats que l’on connaît.
Pourrait-on aussi comparer votre réussite à celle d’un Jean-Luc Lagardère qui a cru en Linamix, d’un Guy Pariente qui a soutenu Kendargent et qui, tous deux, ont réussi leur pari ?
La réussite est arrivée avec Gemix avec le concours de circonstances que nous avons évoqué. Je ne peux pas parler de monsieur Lagardère que je n’ai pas connu directement, mais Dieu sait que j’avais une admiration sans bornes pour lui, en revanche, j’ai des contacts avec Guy Pariente. J’ai la plus grande estime pour lui. Pour Gemix, ç'a été pour moi une très grande douleur de le voir décrié de la sorte. On lui a trouvé tous les défauts de la terre. Il était alezan, il avait des balzanes, il n’était pas suffisamment grand, il n’avait pas de papier maternel... Par contre, il a gagné un million d’euros en course. Si l’on regarde le parc étalon, vous allez avoir du mal à trouver l’équivalent. Malgré cela, les éleveurs l’ont boudé alors qu’ils nous incitaient à ne pas vendre Gemix, afin qu’il produise en France. Nous avons fait un petit prix de saillie mais il a fait seulement une vingtaine de saillies la première année et un peu plus la deuxième. On peut dire qu’avec mon associé, nous nous sommes beaucoup battus sans jamais nous décourager. Le courage, c’est un juste milieu entre la peur et l’audace.
Ce que j’admire chez Guy Pariente, c’est ce courage. Il a lancé Kendargent contre vents et marées et quand on voit ce succès, on ne peut être qu’admiratif. C’est exceptionnel. J’aime les gens qui ont du caractère, qui sont tenaces, se donnent des objectifs et les atteignent.
Vous avez beaucoup communiqué dans les médias pour appuyer Gemix. Pensez-vous que cela soit une des clés pour faire réussir un étalon ?
Nous avons connu Alix Vanhaecke qui s’est occupée de notre communication et quand nous avons discuté ensemble, nous avons compris que c’était une jeune femme passionnée. Elle a été un élément incontestable de notre réussite. Elle nous a fait nos plans médias, a visité des éleveurs, elle est allée dans tous les shows, toutes les ventes… Elle a fait preuve d’un investissement permanent à nos côtés, elle a été un élément prépondérant de la réussite de Gemix. Elle a toujours tenu bon, j’ai beaucoup d’estime pour elle.
Quel bilan tirez-vous des premières années de Gemix au haras ?
François [Thomas, ndlr] est assez content car nous avons fait quatre-vingt saillies cette année, pour sa première saison au haras du Lion. Nous avons plusieurs propriétaires de renom qui nous ont fait confiance, comme monsieur Papot, que je remercie. Gemix a reçu des poulinières bien meilleures et je pense que ce sera encore mieux l’année prochaine. Je suis persuadé que la qualité des poulinières va sérieusement évoluer en 2021. Preuve en est qu’avec une poulinière comme Kalberry, nous avons réussi à avoir un produit de la qualité de Le Berry.
Actuellement, vous avez de la réussite en obstacle, mais vous en avez également en plat. Comment vivez-vous les deux disciplines ?
Je suis passionné par la compétition, je suis un amoureux du plat et de l’obstacle. Mais c’est vrai que lorsque vous allez à Auteuil, vous avez de très grandes craintes. En plat, nous sommes plus dans la compétition. Pour un propriétaire de mon niveau, gagner un Gr1 en obstacle, c’est quelque chose de réalisable. Nous l’avons déjà fait. Mais gagner un Gr1 en plat, compte tenu du niveau de la concurrence, notamment internationale, c’est quasiment mission impossible. Pour l’instant, nous avons gagné un Gr3 en France grâce à My Sister Nat ** (Acclamation) qui est placée de Gr1 aux États-Unis samedi. J’espère que nous monterons et que nous arriverons à regagner un Groupe. Car la porte du Graal est toujours ouverte ; on voit des chevaux gagner des Grs1 qui n’étaient pas forcément prédestinés à le faire.
Combien avez-vous de poulinières ?
Entre huit et dix poulinières. Nous en avons plus en plat qu’en obstacle. Mais nous ne nous interdisons pas de trouver des poulinières d’obstacle de qualité dans les prochains mois.
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