Qatar Prix de l'Arc de Triomphe : la si belle aventure de Deirdre

Courses / 03.10.2020

Qatar Prix de l'Arc de Triomphe : la si belle aventure de Deirdre

En 2019, l’entourage de la japonaise Deirdre a fait un choix surprenant : laisser la jument en Europe après sa tentative à Royal Ascot ! Un pari un peu fou mais d’ores et déjà réussi pour plusieurs raisons : elle est devenue le premier cheval japonais à gagner un Gr1 en Grande-Bretagne et toute son aventure a été suivie de près par les fans japonais. Dimanche, après une année 2020 difficile, elle tente sa chance au départ de l’Arc.

Par Anne-Louise Échevin

Une forme en question. Deirdre (Harbinger) n’a pas couru le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1) en 2019 : elle n’avait pas été engagée dans la course et son entourage a préféré aller sur les Champion Stakes (Gr1) plutôt que de la supplémenter. Elle aurait certainement eu une chance, au moins pour une place, suite à sa victoire dans les Qatar Nassau Stakes et sa performance dans les Irish Champion Stakes (Grs1), où elle a pris la quatrième place en finissant vite après avoir été longtemps bloquée.

Elle a ensuite pris une bonne troisième place dans les Champion Stakes et son entourage a décidé de faire de l’Arc 2020 son objectif. Le problème est que, en 2020, nous n’avons pas vu la même jument. Deirdre est-elle passée de forme à 6ans ? Son entourage pense en tout cas avoir trouvé les clés pour lui permettre de retrouver son meilleur niveau.

Yoshitake Hashida, assistant de son père, Mitsuru Hashida, nous a dit : « Deirdre va très bien. Nous avons essayé de comprendre pourquoi elle avait mal couru en dernier lieu [septième et dernière des Qatar Nassau Stakes (Gr1), ndlr]. Nous avons tenté de trouver des solutions et avons un peu changé son alimentation, par exemple, ainsi que l’entraînement pour qu’elle reprenne de la fraîcheur, mentalement comme physiquement. Cela a l’air de bien marcher. J’ai le sentiment qu’elle revient dans une condition assez similaire à celle de l’an dernier. Je pense qu’elle est capable de fournir une belle performance dimanche. Évidemment, nous parlons de l’Arc : l’Arc, c’est l’Arc, la meilleure course du monde. Nous sommes outsiders : nous arrivons avec modestie, pas en criant que nous pouvons gagner. C’est une course tellement prestigieuse. Mais nous croyons Deirdre capable de fournir une belle performance et nous comptons saisir notre chance. Je ne sais pas si l’Arc sera sa dernière sortie. Mais elle rentrera au haras l’année prochaine. »

Les 2.400m en terrain lourd, un vrai point d’interrogation. Deirdre est japonaise. Elle est par Harbinger qui, en bon fils de Dansili, a réalisé ses meilleures performances en terrain rapide. Sur le papier, voilà deux éléments pour complètement la rayer en terrain lourd ! Pourtant, Deirdre a réalisé d’excellentes performances en terrain bien assoupli : elle a remporté son seul Gr1 au Japon, le Shuka Sho (3e étape de la Triple Tiara) sur une piste détrempée et n’a pas démérité dans les Champion Stakes 2019. Cependant, ces deux épreuves étaient sur 2.000m, la distance sur laquelle Deirdre a été la plus performante tout au long de sa carrière. Les 2.400m en terrain lourd constituent une vraie inconnue.

Yoshitake Hasida nous a dit : « Évidemment, il y a une inquiétude de ce côté-là. Elle avait tenté sa chance sur 2.400m à Hongkong l’an passé [quatrième du Longines Hong Kong Vase (Gr1), ndlr]. Sa performance était encourageante : elle était devancée par le meilleur cheval de Hongkong sur la distance et deux chevaux japonais. Elle peut faire les 2.400m mais il est vrai qu’elle ne l’a jamais fait en terrain assoupli en Europe. Au Japon, elle a gagné le Shuka Sho en terrain assoupli et cela fait peut-être d’elle le meilleur cheval du Japon en terrain souple. Mais c’est différent en Europe, où vous avez beaucoup de très bons chevaux sur ce type de terrain. Cette année a été très difficile pour tout le monde, avec le Covid. Cela a changé pas mal de choses. Nous voulions la courir au mois d’avril et venir à ParisLongchamp pour le Ganay. Mais cela n’a pas été possible. Tout a été un peu difficile mais nous sommes bien là, nous sommes tous en bonne santé et nous pouvons aller vers l’Arc. Nous sommes prêts, nous avons un bon jockey. Nous avons conscience de la difficulté de la tâche et nous espérons que la chance soit avec nous. »

Du Japon à l’Angleterre. Les Japonais cherchent la recette pour remporter l’Arc : faut-il préparer à la maison et arriver au dernier moment ? Faut-il courir au moins une préparatoire en Europe ? Ou faut-il la jouer à la El Condor Pasa et s’installer sur le long terme en Europe ? Deirdre a commencé sa carrière au Japon, a donc été entraînée à la japonaise (pistes en copeaux de bois, breezes chronométrés…) avant de se retrouver propulsée à Newmarket pour un entraînement "à l’européenne" bien différent.

Il a fallu tout changer, comme nous l’explique Yoshitake Hashida : « Elle vit à l’anglaise ! Nous avons adapté toute son alimentation, on peut dire qu’elle fait tous les matins un petit-déjeuner à l’anglaise ! Je crois qu’elle a appris tout au long de sa présence en Grande-Bretagne. Deirdre, comme Enable, a 6ans et continue d’apprendre : elle a toujours cette envie. Nous sommes désolés pour elle des difficultés qu’elle a rencontrées ces derniers temps mais l’envie est toujours là. L’an dernier, nous avons beaucoup appris lors de notre séjour en Europe, tout comme la jument. Ce fut un vrai challenge : nous avons eu la chance de recevoir beaucoup de soutien des acteurs des courses britanniques. Ils ont été très accueillants envers nous, tout comme le sont les Français quand les chevaux japonais arrivent à Chantilly. Il nous a fallu beaucoup travailler pour nous adapter à Newmarket : nous sommes plutôt au point maintenant mais il faut imaginer que, lorsque nous sommes arrivés, nous n’avions aucune idée du sens pour travailler la jument, nous prenions les mauvaises directions ! Nous avons créé un nouveau réseau, découvert plein de choses et c’est pourquoi nous avons choisi de rester en Grande-Bretagne en 2020. Nous essayons : et si vous n’essayez pas, vous ne pouvez pas gagner ! »

Le choix de Jamie Spencer

Dans l’Arc, Deirdre ne sera pas montée par Oisin Murphy, son partenaire habituel, mais par Jamie Spencer. Les problématiques posées par le Covid sont responsables de ce changement : « Nous avions parlé avec Oisin Murphy la semaine dernière et il a dit qu’il pourrait avoir des difficultés à faire le déplacement, à cause de la quarantaine qui était en place à ce moment une fois de retour en Angleterre. Cela a été réglé depuis mais nous avions cherché une autre option et approché Jamie Spencer. Lorsque nous avons demandé à Jamie Spencer s’il était disponible, il a dit qu’il était prêt à y aller, quarantaine ou non ! Il était vraiment enthousiaste et nous avons été convaincu par sa passion, sa volonté d’aller monter l’Arc pour nous peu importe les conditions. C’est pourquoi il est en selle : la décision a été prise avant les nouvelles données concernant la quarantaine. Oisin Murphy a parfaitement compris, il sait que c’est une année particulière. Jamie Spencer est un excellent jockey, dont le style est compatible avec une jument comme Deirdre, et je crois qu’il a envie de regagner au plus haut niveau. Nous aussi ! Cela pourrait être une belle histoire, pour lui et nous. »

Une aventure positive pour les courses japonaises… Et européennes. Financièrement parlant, cela n’a pas de sens pour un propriétaire japonais d’envoyer un cheval en Europe. Les millions sont à la maison. Yoshitake Hashida nous explique la démarche autour du défi de Deirdre : « Les propriétaires de Deirdre veulent avant tout vibrer aux courses. L’aspect financier n’est pas la raison pour laquelle ils veulent avoir des chevaux de course, même si c’est évidemment important : vous pourriez dire qu’ils sont en quelque sorte des romantiques, ils aiment la beauté des courses. »

Pour Yoshitake Hashida, au côté de Deirdre depuis le début de l’aventure européenne, cette expérience est positive pour tout le monde, Japonais comme Européens : « Deirdre a permis aux Japonais de découvrir la beauté des courses européennes. Nous avons personnellement appris beaucoup de choses lors de cette aventure avec elle, mais les Japonais aussi. Ils ont pu voir les meilleurs chevaux européens en action, parier sur des grandes courses européennes. Je crois que Deirdre a beaucoup apporté aux courses japonaises. Elle est devenue le premier cheval japonais à remporter un Gr1 en Grande-Bretagne : je crois que c’est une grande victoire, pour les courses japonaises mais aussi pour les courses britanniques. Nous avons aussi gagné grâce au soutien des acteurs des courses en Grande-Bretagne : nous sommes une petite équipe et nous n’aurions pas pu y arriver sans aide. En contrepartie, nous avons permis aux Japonais de suivre les courses européennes en suivant Deirdre. Bien sûr, ils connaissent déjà bien l’Arc et Longchamp. Mais nous avons été heureux de leur montrer à quel point Goodwood est beau, pareil pour Leopardstown, Ascot… Je crois que l’aventure de Deirdre est positive pour la culture hippique au Japon, que de jeunes passionnés des courses vont s’intéresser encore plus aux courses internationales. La victoire de Deirdre dans les Nassau Stakes l’an dernier est sa seule victoire de Gr1 en Europe mais a eu un vrai impact pour les courses. Et même si Deirdre a aussi perdu en Europe, je crois que tout le monde y a malgré tout beaucoup gagné : elle a fait découvrir des choses, a créé des souvenirs chez les Japonais et ils ont pu parier sur les courses européennes, ce qui est positif. » La Japan Racing Association n’organise des paris sur les courses étrangères que s’il y a un représentant japonais au départ. Et cet apport est non négligeable : les parieurs japonais ont joué 35 millions d’euros (masse séparée) sur l’Arc 2019. C’est plus que les enjeux enregistrés par le PMU (online et offline) sur l’ensemble de la journée de l’Arc 2019 (plus de 30 millions).