
International / 30.03.2021
Cheltenham 2021 : accident de parcours ou prémices d’une domination de l’élevage irlandais ?
Cette édition 2021 du plus grand meeting d’obstacle au monde a été déconcertante : naufrage de l’entraînement anglais, manque de résultats de certaines grandes casaques… et faible taux de réussite des chevaux élevés en France. Pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, nous sommes allés à la rencontre de trois experts : un Anglais, un Irlandais et un Français.
Bryan Mayoh : « Les Irlandais sont en train de s'inspirer ce qui a fait la réussite des Français »
Cet ancien chercheur de l'Université d'Oxford est aussi le dernier éleveur anglais à avoir gagné la Gold Cup de Cheltenham (Sizing John en 2017). Féru de statistiques, Bryan Mayoh est le directeur de la section "obstacle" au sein de la T.B.A. (l’équivalent anglais de la Fédération des éleveurs).
Par Adrien Cugnasse
Jour de Galop. – Pourquoi la France de l'élevage a-t-elle échoué à Cheltenham 2021 ?
Bryan Mayoh. – En 2021 à Cheltenham, les chevaux français ne se sont pas si mal comportés que cela. Envoi Allen (Muhtathir), un cheval exceptionnel, a chuté. On trouve deux "FR" sur le podium de la Gold Cup. Certains ont été déclarés forfaits alors qu’ils avaient une première chance. Je ne vois pas une faiblesse particulière des "FR" sur ce festival. C'est plus une suite d'événements qui a mené à une réussite moins bonne qu’à l’accoutumée.
D'où vient la réussite des "FR" sur la décennie passée ?
Dans mon étude statistique sur la réussite française, j'ai exploré plusieurs pistes. Notamment le fait que les Français utilisent volontiers des étalons qui ont couru en obstacle.
On remarque par ailleurs qu'en Irlande et en Angleterre, le palmarès des étalons de plat utilisés pour la production de sauteurs est supérieur à celui de ceux stationnés en France. Or, je pense que ceci est un problème pour la France, car sur un grand nombre de chevaux, les statistiques prouvent que les qualités sportives d'un étalon – en plat comme en obstacle – ont une conséquence directe sur ses qualités de reproducteur.
En revanche, les Français utilisent plus souvent des juments ayant couru, en particulier sur les obstacles, et c'est un vrai avantage, comme les statistiques en attestent.
Mais ce type de critères génétiques – que je viens de lister – n’est pas suffisant à lui seul pour expliquer le taux de réussite des "FR" qui est particulièrement élevé. C’est probablement plus un facteur de réussite. J’ai donc exploré d’autres possibilités.
Et je suis arrivé à la conclusion suivante : l'élément le plus déterminant dans la réussite française, c'est le fait de courir plus tôt sur les obstacles. Traditionnellement, bien plus de chevaux ont sauté en course à 3ans et 4ans en France, si l’on compare avec ce qui était le programme de formation habituel en Irlande ou en Angleterre. Cela s’applique tout particulièrement aux très bons "FR" qui ont ensuite brillé au meilleur niveau.
Guillaume Macaire a dit quelque chose de très pertinent à la télévision anglaise : celui qui apprend à skier à l'âge de 6ans sera un meilleur skieur que celui qui débute à l'âge adulte. Je pense que c'est la même chose pour les sauteurs.
Pendant une décennie, j'ai donc étudié avec attention la réussite statistique des produits de l'élevage français sur les obstacles anglais et irlandais. Mais cette année, je constate la réussite des chevaux élevés en Irlande !
Comment expliquer cette montée en puissance ? L'Irlande est-elle en train de reprendre le dessus ?
J'observe une tendance particulièrement intéressante. De plus en plus, les chevaux irlandais qui brillent à Cheltenham et le reste de l'année ont couru à 4ans dans les point-to-points. La raison est simple : ces épreuves de jeunes chevaux sont très populaires car on vend les gagnants de mieux en mieux.
En quelque sorte, ils ont une éducation qui se rapproche toujours plus de celle qui est traditionnellement celle des chevaux français. Les Irlandais sont donc en train de s'approprier ce qui a fait la réussite des "FR".
Il y a 10 ans, les chevaux français débutaient en moyenne 15 mois avant les irlandais. Lors de Cheltenham 2021, la différence n'est plus que de quatre mois.
Tout en sachant qu'ils ont la force du nombre car ils élèvent deux fois plus de sauteurs que les Français.
L'Angleterre est le seul pays à ne pas suivre ce mouvement. Mais j'emploie toute mon énergie pour faire changer les choses.
Que doit faire la France pour conserver sa position ?
Pour cette partie prospective, je tiens à dire que je vais en partie me baser sur mon ressenti, car je n'ai pas toujours des études statistiques pour étayer mes propos à venir.
Je pense que les Français comprennent mieux que les Irlandais qu'un cheval peut produire à la fois en plat et en obstacle. Par exemple, Poliglote (Sadler's Wells) a été tête de liste dans les deux disciplines, ce qui est inimaginable en Irlande ou en Angleterre.
Sur ce point, l'approche française est plus rationnelle : un bon étalon reste un bon étalon, il ne faut pas le cantonner dans un univers s’il réussit dans les deux. C'est important de maintenir cet état d'esprit et de laisser toutes leurs chances aux étalons de distance intermédiaire.
Je pense par ailleurs qu'il faut que les Français fassent tout leur possible pour conserver les meilleures juments d'obstacle. Les juments qui ont le plus gagné sur les obstacles deviennent statistiquement les meilleures poulinières.
Enfin, il faut faire attention à ne pas croire que le label "FR" est magique : si la France réduit la qualité de ses étalons et de ses juments, les résultats en course vont baisser. Saint des Saints (Cadoudal), Poliglote... c’étaient de vrais chevaux de Gr1. Sauf cas exceptionnel, on obtient le plus souvent des résultats moins bons au haras avec des chevaux qui n'avaient pas ce niveau de qualité sportive. Il y a des exceptions, comme le très bon reproducteur No Risk at All (My Risk) qui a gagné un Gr3. Mais une exception ne fait pas la règle. Et peut-être était-il meilleur que ce que son palmarès ne l’indique.
Henry de Bromhead : « Je n’ai pas encore trouvé le bon système pour acheter en France »
L’Irlandais Henry de Bromhead a dominé Cheltenham 2021, avec six victoires dont la mythique Gold Cup. L’entraîneur en forme outre-Manche a répondu à nos questions.
Par Anne-Louise Echevin
Jour de Galop. – Vous avez quelques chevaux élevés en France dans vos boxes, comme À Plus Tard, mais on y trouve aussi beaucoup de chevaux venant des point-to-points. Vous concentrez-vous sur ce marché en priorité ?
Henry de Bromhead. – Je suis prêt à acheter des chevaux venant de n’importe où s’ils sont bons et vous avez un très bel élevage en France. Mais je n’ai pas forcément eu beaucoup de chance dans mes achats français, même si À Plus Tard (Kapgarde) est un excellent cheval. Je crois que je n’ai pas encore trouvé le bon système pour acheter en France, la bonne personne qui puisse me recommander des chevaux avec le bon potentiel. Donc si vous connaissez quelqu’un ou si vous voyez un cheval intéressant, faites-moi signe ! En ce qui me concerne, je ne me concentre pas sur le pays d’élevage : peu importe que le cheval soit français, irlandais ou anglais, je souhaite qu’il possède des capacités. J’aime beaucoup l’élevage français, la façon dont vous travaillez sur les pedigrees. Je trouve cela assez fascinant.
Le meilleur système pour moi actuellement est celui que nous avons avec nos partenaires dans les point-to-points. Moi-même, je n’entraîne plus de chevaux pour ce circuit. Je le faisais dans le passé, mais j’ai arrêté. Si un jeune cheval a le profil pour les point-to-points, plutôt que pour les bumpers, nous le confions à un entraîneur spécialisé. C’est un bon moyen de lui donner de l’expérience et, après cela, il revient chez nous.
Pourquoi la France de l’élevage est-elle passée à côté de Cheltenham 2021 ?
Si je me souviens bien, l’an dernier, les chevaux français ont très bien réussi lors du Festival. Et il est possible que ce soit simplement une année sans, où la balance a penché en faveur des chevaux irlandais. Horse Racing Ireland fait beaucoup pour la promotion des chevaux irlandais et ils ont de la réussite dans le monde entier. Nous avons aussi la chance d’avoir un fort soutien du gouvernement : les courses sont une des grandes filières de notre pays, qui emploie beaucoup de gens et génère beaucoup de revenus. Qui plus est, il y a aussi un certain nombre de chevaux français qui sont achetés jeunes et qui passent via le système des point-to-points. Donc je ne sais pas si l’on doit tout rattacher à l’élevage… Les chevaux français ont pris un grand nombre de places et la pièce aurait pu retomber en faveur de la France ou de l’Irlande, de même qu’À Plus Tard aurait pu gagner la Gold Cup. Cela se joue à pas grand-chose et, cette année, cela a été en faveur de l’Irlande.
Nicolas Bertran de Balanda : « Désormais, il y a beaucoup de 4ans qui courent les point-to-points »
Ancien entraîneur au galop, notamment du champion Gémix, Nicolas Bertran de Balanda est désormais un courtier à succès. Celui qui collabore avec Tattersalls Ireland possède une vision globale des "FR", de leur qualité et de la concurrence des chevaux irlandais.
Par Christopher Galmiche
Jour de Galop. – Quelles sont les raisons qui ont fait que les French breds ont été un peu moins performants en termes de victoires à Cheltenham ?
Nicolas Bertran de Balanda. – Je ne crois pas qu’il y ait vraiment une raison particulière, c’est plutôt un concours de circonstances. À Aintree, c’est plus creux, il y a moins d’Irlandais qui viennent qu’à Cheltenham. Certains entraîneurs ont peut-être réservé leurs chevaux pour Aintree parce qu’ils avaient de moins bonnes chances à Cheltenham. Dans la Gold Cup, les chevaux français terminent quand même deuxième et troisième, À Plus Tard (Kapgarde) et Al Boum Photo (Buck’s Boum) ont très bien couru. Celui qui les a battus, Minella Indo (Beat Hollow), est un crack. Et ça se joue à pas grand-chose. Haut en Couleurs ** (Saint des Saints) débutait là-bas dans le Triumph Hurdle (Gr1), il a fini troisième : il va devenir un super cheval. Sire du Berlais (Poliglote) a aussi pris la deuxième place dans le Stayer’s Hurdle (Gr1), en courant très bien. Envoi Allen a fait une erreur et il est tombé. Néanmoins, il est certain qu'il y a un très bon cru de chevaux irlandais Cela va peut-être plus s’équilibrer. Mais vu le nombre de jeunes chevaux achetés en France – très jeunes et en course –, je ne pense pas que les résultats des "FR" vont sombrer demain matin.
Le marché des point-to-points peut-il concurrencer l’attrait pour les chevaux français ?
Les chevaux de point-to-point sont déjà concurrents des chevaux français. C’est devenu un gros circuit de "sélection" en Irlande. Il y a des entraîneurs qui sont de très bons professionnels. Mais le circuit de point-to-points voit aussi passer des chevaux français, il ne faut pas l’oublier. Il y a des chevaux qui sont achetés foals chez nous par des professionnels de point-to-points. Désormais, il y a beaucoup de 4ans qui sortent en compétition là-bas. Alors que cela leur paraissait un âge très jeune il y a encore quelques années. Ce ne sont pas des chevaux pour la saison de juvenile. Celle-ci s’adresse à des chevaux rapides ou précoces, comme ceux performants au printemps en France, ou à ceux venus du plat. Clairement, le circuit des point-to-points est une grosse source de bons chevaux pour la clientèle anglaise et irlandaise. Les dernières années en attestent. Et c’est une filière en progression.
Dans le Racing Post, Tom Malone a déclaré qu’il avait eu du mal à acheter certains chevaux aux ventes face à la concurrence des professionnels du point-to-point, lesquels ont les moyens de s’offrir des sujets de qualité.
C’est exactement cela. C’est le cas d’Envoi Allen et d’autres. C’est devenu un circuit de "sélection" car la qualité du stock et des professionnels a énormément progressé sur les dix dernières années. Les entraîneurs de point-to-points, s’ils étaient entraîneurs publics, seraient largement aussi bons que les autres. Avec la même gamme de chevaux. Il y a de très bons professionnels dans leurs rangs.
Et si nous n’avions pas vendu les meilleurs ?
Si la France exporte toujours autant, on peut se poser la question suivante : les Anglais et les Irlandais nous achètent-ils forcément les meilleurs ? Ou plutôt des chevaux préparés soigneusement pour le commerce dans certains cas, au moment où les principales casaques françaises mettent la main sur un nombre important de poulains de plus en plus tôt (en les élevant notamment) ? Ce sentiment existe chez une partie des acteurs de l’obstacle français et ces derniers avancent notamment le fait que beaucoup ne répètent pas après leur exportation. Enfin, dans leur politique d’achat – qui exclut souvent les chevaux qui ne sont plus novices –, les Anglo-Irlandais se privent de-facto d’une bonne partie des sauteurs les plus prometteurs de notre pays…
La montée en puissance des éleveurs-propriétaires. Au début de l’année 2020, nous avions publié une étude sur l’évolution de l’obstacle français. En voici un extrait :
"Les dix premiers propriétaires français de sauteurs ont fait courir entre 550 et 600 chevaux en 2019 et ils ont élevé un nombre de partants équivalant à environ 40 % de ce nombre. En 1999, ils représentaient moins de 400 chevaux et ils avaient fait naître approximativement 12 % de ces derniers ! Les leaders du classement 2019 (Thierry Cyprès, madame Henri Devin, le haras de Saint-Voir, Jacques Cyprès, Jean-Marc Lucas, le haras de Mirande, François-Marie Cottin, madame Benoît Gabeur, Hamel Stud et Catherine Coiffier) sécurisent une partie très significative des meilleurs pedigrees français. Et parmi ces grandes casaques, la plupart se placent désormais dans l’optique de courir en France sur le long terme. Beaucoup moins de vendre à l’étranger…"
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