
Magazine / 14.03.2021
Épisode 18, American Pharoah, le Messie
Ras-le-bol de 2020 ! Alors histoire de tourner la page en beauté, Franco Raimondi vous propose un voyage exceptionnel au pays des cracks. Les vrais. Les purs. Les durs. Symboliquement : vingt et un champions en écho à l’année (20)21.
Épisode 18, American Pharoah, le Messie
Le galop américain attendait le Messie depuis trente-sept ans. Treize poulains étaient parvenus aux Belmont Stakes (Gr1) après avoir remporté le Kentucky Derby et les Preakness Stakes, les deux premières étapes de la Triple Couronne. Ils avaient raté le penalty à la dernière minute. Faute des jockeys, manque de tenue, fatigue après des courses dures, accidents et malaises : à chaque fois la catastrophe parfaite tombait sur le grand hippodrome de New York plein à craquer. Le 6 juin 2015, la New York Racing Association avait décidé de limiter à 90.000 le nombre de spectateurs qui ont eu le privilège d’applaudir American Pharoah (Pioneerof the Nile), le premier champion couronné après Affirmed (Exclusive Native) qui, en 1978, monté par un garçon (Steve Cauthen) qui avait 17 ans le jour du Kentucky Derby, avait battu pour la troisième fois en 35 jours Alydar (Raise a Native). Nous avons choisi de vous raconter l’épopée d’American Pharoah, au lendemain des débuts victorieux de son frère Triple Tap (Tapit), à Santa Anita, sous la selle de Flavien Prat…
Une histoire de penalty raté
Quand la Triple Couronne n’est pas en jeu, les Belmont Stakes se disputent en toute discrétion. Quand un poulain court pour l’Histoire, ils deviennent un événement, même dans une ville difficile à conquérir comme New York. Neuf ans avant le rendez-vous avec la gloire d’American Pharoah, 120.139 spectateurs étaient serrés pour voir Smarty Jones (Elusive Quality) être battu à 50m du poteau par Birdstone (Grindstone), alors qu’en 2014, 102.199 personnes ont assisté la défaite de California Chrome (Lucky Pulpit). La pression est énorme et, au contraire de ce qui se passe pendant la semaine du Kentucky Derby, quand tous les entourages partagent le même stress, elle repose sur les épaules de l’entourage d’un seul cheval. Bob Baffert avait raté trois fois la Triple Couronne, tout comme le jockey Victor Espinoza.
Les trois défaites de Baffert sont toutes à classer dans la catégorie "faute des pilotes". En 1997, Gary Stevens, en selle sur Silver Charm (Silver Buck), s’était fait piquer les Belmont par ce diable de Chris McCarron associé à Touch Gold (Deputy Minister). Douze mois auparavant, Kent Desormeaux avait carrément "mangé" une course imperdable avec Real Quiet (Quiet American), battu d’un petit nez par Victory Gallop (Cryptoclearance) monté par… Gary Stevens. Victor Espinoza et Bob Baffert étaient associés dans la Triple Couronne ratée de War Emblem (Our Emblem) en 2002. Le poulain, adepte de la course de tête, avait trébuché à la sortie des boîtes, s’était battu avec son jockey et il avait cédé à la fin. Le pilote mexicain avait eu une autre chance de décrocher la Triple Couronne douze mois auparavant en selle sur California Chrome, le grand alezan au petit pedigree qui s’était promené dans les deux premières étapes. L’entourage du grandissime favori, un peu naïf, était arrivé à New York comme à Disneyland. Victor Espinoza s’était rendu la veille de la course au Yankee Stadium pour le premier lancer d’un match de baseball, un grand honneur. Le point d’interrogation était la tenue de California Chrome. Espinoza a cherché la solution avec un parcours labyrinthique et le cheval n’a pas apprécié. Il a fait illusion avant de plafonner à la quatrième place.
Un américain au top sur 2.400m
Revenons à 2015, et aux 90.000 spectateurs en attente du Messie. American Pharoah était le grand favori mais pas si grand qu’on pouvait le penser. Sa cote était de 0,75/1 et il faut savoir que les joueurs professionnels aux États-Unis ont développé une technique pour les événements comme les Belmont Stakes. L’hippodrome est rempli de néophytes qui misent leurs deux dollars pour avoir le ticket souvenir du gagnant de la Triple Couronne et, de ce fait, la cote des autres est plus haute et attrayante pour des pros. Pour une fois, les experts ont eu tort et les néophytes sont sortis de Belmont Park avec leur précieux ticket souvenir… et gagnant !
American Pharoah était largement le meilleur du lot et il l’avait démontré dans le Kentucky Derby et les Preakness Stakes. Le manque de tenue, qui est à l’origine de plusieurs défaites dans les Belmont Stakes, n’était pas un problème, bien au contraire. Il fallait lui donner un parcours sans encombre et laisser parler la classe. Victor Espinoza a refusé l’invitation des New York Yankees. Pas de parade avant la course ! Bob Baffert a gardé American Pharoah dans sa routine d’entraînement et le poulain, ce qui n’est pas commun, avait atteint son top de forme pour les Belmont, alors que presque tous sont un peu en baisse de régime après trois courses en cinq semaines.
Le compte-rendu est très simple, même trop. Victor Espinoza a poussé en tête American Pharoah qui a imposé un train de course dicté par le métronome. Il avait deux longueurs d’avance sur son rival plus dangereux, Frosted (Tapit), à la fin du dernier tournant et il a passé le poteau en sifflotant avec cinq grandes longueurs d’avance. Non, il n’a pas laissé les autres à trente et une longueurs comme l’avait fait en 1973 Secrétariat (Bold Ruler) mais il avait encore des ressources. Les temps partiels, c’est du jamais vu ! Les derniers 400m d’American Pharoah (24’’32) ont été plus rapides que les avant-derniers (24’’34). Aux États-Unis, sur le dirt, la dernière portion est toujours la plus lente.
La fin de la malédiction
Le Messie était au rendez-vous, la malédiction de la Triple Couronne était enfin rompue. C’était tout ce qu’il fallait. Victor Espinoza s’est rendu au Yankee Stadium pour le premier lancer du match de dimanche en jockey triple couronné. Bob Baffert qui, trois ans auparavant, avait été victime d’un malaise cardiaque alors qu’il se trouvait à Dubaï pour la World Cup, tenait enfin sa place dans l’Histoire. Pour le professeur du Kentucky Derby, c’était un immense soulagement. Depuis War Emblem, en 2002, il avait gagné une seule épreuve de la Triple Couronne, les Preakness en 2010 avec Lookin at Lucky (Smart Strike).
Vingt-huit coups de cravache et une parade à Churchill Downs
Le samedi après les Belmont Stakes, plus de 30.000 spectateurs se sont rendus à Churchill Downs pour une soirée de fête, lors de la parade organisée par l’hippodrome qui voulait rendre hommage au Messie. American Pharoah est parti des écuries, sur la ligne d’en face. Il est passé par le tunnel sous la tribune et il est arrivé au rond, dans la stalle 18, celle où il avait été sellé avant le Kentucky Derby. Il faisait très chaud même à 20 h 15, mais quand son lad lui a enlevé la magnifique couverture, un brin de sueur voilait son poil. Les chevaux ont une mémoire énorme et American Pharoah se souvenait des 28 coups de cravache qu’il avait pris dans les 400 derniers mètres du Kentucky Derby pour battre Firing Line (Line of David). Parmi les 30.000 personnes de Churchill Downs, habillé en chemise hawaïenne, il y avait le diabolique Chris McCarron, qui avait raté la Triple Couronne en 1987 avec Alysheba et avait piqué celle de 1997 à Silver Charm. Avec son téléphone portable, il filmait chaque instant de la parade.
Quand il n’était pas encore couronné
Le Kentucky Derby fut le succès le plus difficile d’American Pharoah. Le mauvais numéro à la corde l’avait obligé à galoper longtemps le nez au vent, en troisième épaisseur dans une course qui avait roulé à un train sélectif. Il fallait un super cheval pour gagner et American Pharoah était un crack, encore à l’état de projet. Les vingt-huit coups de cravache s’expliquent ainsi… C’était la première fois qu’on lui posait des questions sérieuses. Il avait été battu lors de ses débuts, en août à Del Mar. Bob Baffert lui avait mis des œillères et le poulain s’était endormi. Quatre semaines après, il avait ouvert son palmarès directement dans le Del Mar Futurity (Gr1) et ensuite il s’était promené dans les Front Runner (Gr1). Il avait fait l’impasse, suite à des problèmes de pieds, sur la Breeders’ Cup Juvenile et il était arrivé à Churchill Downs avec deux succès à Oaklawn Park dans les Rebel Stakes (Gr2) et l’Arkansas Derby (Gr1). Il avait donc gagné quatre courses, de bout en bout, par un cumul de plus de vingt-deux longueurs sur ses rivaux.
Les Preakness sous la pluie
Les Preakness Stakes furent une promenade de santé sous la pluie, dans un terrain détrempé, avec la pression de Mr. Z (Malibu Moon), un poulain qui l’avait agressé quand les deux étaient au pré-entraînement. Il lui avait mangé la queue ! Malgré le piège de l’as à la corde et un train très soutenu, American Pharoah avait triomphé par sept longueurs dans l’étape de Pimlico avec Victor Espinoza qui s’était aussi payé le luxe de poser ses mains aux abords du poteau, quelque chose d’inouï pour un jockey d’école américaine. Il avait gardé un peu de ressources pour la troisième étape…
Saratoga, le cimetière des favoris
Lors de la parade à Churchill Downs, Bob Baffert avait annoncé le programme d’American Pharoah pour la seconde moitié de la saison. Un mini-break et trois courses : le Haskell Invitational (Gr1) à Monmouth Park, les Travers (Gr1) à Saratoga, et pour terminer la Breeders’ Cup Classic (Gr1). Le Haskell, malgré quatre livres de surcharge, n’a pas posé de problèmes. Les Travers sont autre chose et ce n’est pas par hasard que Saratoga est connu par les turfistes américains comme le cimetière des favoris. La liste des champions battus à Saratoga est très longue et il suffit d’en citer un : Secrétariat. Son entourage avait décidé de préparer sur place les Travers avec les Whitney Handicap (Gr2) face aux chevaux d’âge. Il était à 0,10/1 et il affrontait quatre rivaux au départ pour la deuxième place. Allen Jerkens, le killer des favoris, avait aligné au départ un certain Onion (Third Martini), un 4ans qui était à poids égal avec Secrétariat. Résultat des courses : Secrétariat a couru mollement et Onion l’a battu.
Après la course, la nouvelle est tombée : le crack avait eu un petit peu de fièvre et de diarrhée. Secrétariat était K.-O. et il avait dû renoncer aux Travers. L’entourage d’American Pharoah a joué le jeu, le poulain était annoncé au top et comme d’habitude, il a pris la tête. Frosted, son rival le plus dangereux, l’a attaqué vivement en face et les deux ont fait le trou. Ils ont tout donné et beaucoup trop tôt. Frosted a pris l’avantage un instant avant de céder. American Pharoah est revenu sur son adversaire le long de la corde et il a fini par gagner le match par deux grandes longueurs. Mais en pleine piste est arrivé Keen Ice (Curlin) pour ramasser les deux poulains qui ont terminé au trot.
Une Breeders’ Cup au canter
Une fois Saratoga passé, Bob Baffert avait la tâche pas simple de redonner souffle et confiance à American Pharoah pour la Breeders’ Cup Classic. Deux mois entre deux courses, surtout pour les Américains, c’est un intervalle difficile à gérer. C’est trop sans une course de préparation, ou pas assez si on veut donner un trial. Baffert a choisi de travailler à la maison et d’aller directement sur le test face aux chevaux d’âge. Les 2.000m de Keeneland se sont transformés en pure démonstration. American Pharoah a pris la tête et il a imprimé un train soutenu et régulier avec ses longues foulées. Il a usé ses rivaux, l’un après l’autre, et il avait déjà course gagnée à la fin du dernier tournant. C’est par six grandes longueurs qu’il est devenu le premier et unique lauréat de la Triple Couronne à gagner la Breeders’ Cup Classic qui n’existait pas en 1978.
Le meilleur américain de ce siècle
American Pharoah avait décroché un rating de 124 lors de son succès dans le Kentucky Derby et il est monté à 128 après les Belmont Stakes. Les handicapeurs lui ont attribué 131 dans le Haskell, sur 1.800m, et il a terminé la saison à 134 dans la Breeders’ Cup Stakes. Il s’agit de l’évolution classique du meilleur cheval américain de ce siècle, même si Arrogate (Unbridled’s Song) avait reçu le même rating. Phil Bull aurait affiché une "P" ou un + car American Pharoah est parti pour Ashford Stud, l’antenne américaine de Coolmore, sans avoir démontré toute l’étendue de son talent. Comme on avait dit à propos de Zarkava (Zamindar) et Sea the Stars (Cape Cross), qui ont terminé leur carrière à 3ans, il aurait même franchi un autre palier à 4ans, comme gagner des grandes courses sur le gazon. Secrétariat l’avait fait mais c’était une autre époque, quand le commerce était un détail.
LE PEDIGREE
Est-il un étalon de gazon ?
American Pharoah a été racheté, yearling, par Ahmed Zayat pour 300.000 $ (251.000 €) à Keeneland. Il avait eu un petit problème avant la vente et son éleveur avait dit qu’il fallait un million pour le laisser partir. Il a vendu la mère, Littleprincessemma (Yankee Gentleman), pour 2,1 millions de dollars (1,75 M€) à Jane Lyons chez Fasig-Tipton November quand American Pharoah avait 2ans, et était gagnant de deux courses de Groupe. Littleprincessemma a donné à Jane Lyons la gagnante de Gr1 Chasing Yesterday (Tapit), le placé de Groupe et étalon St Patrick’s Day (Pioneerof the Nile) et le 3ans Triple Tap (Tapit), qui s’est promené pour ses débuts samedi à Santa Anita. Plus tard, Ahmed Zayat a aussi vendu la propre sœur d’American Pharoah, la placée de Gr1 à 2ans American Cleopatra.
En attendant ses 135 juniors de 2021, American Pharoah a (déjà !) deux générations en piste. Il compte 9 gagnants de Groupe dans l’hémisphère Nord sur 319 produits et il a 27 sujets black types. Deux générations, c’est très peu pour juger un étalon. C’est un très bon reproducteur, c’est certain, mais il nous a offert quelques surprises. Sept de ses gagnants de Groupe ont décroché leur titre sur le gazon. Les deux qui ont connu leur jour de gloire sur le dirt sont la pouliche Merneith, qui a remporté les Santa Monica Stakes (Gr2) à Santa Anita, et Cafe Pharoah, lauréat des February Stakes (Gr1) et meilleur cheval japonais sur cette surface. Les produits d’American Pharoah aiment le gazon et beaucoup ont montré plus de vitesse que de tenue. Il faut attendre un peu. Le seul lauréat de la Triple Couronne qui a, à son tour, donné un gagnant de la Triple Couronne fut Gallant Fox (Sir Gallaha), qui a produit Omaha, issu de sa première génération. Cela remonte à 1935…
EN CHIFFRES
37
Le galop américain a attendu 37 ans pour avoir un douzième lauréat de Triple Couronne. La période la plus longue sans gagnants était de 25 ans, entre le succès de Citation (Bull Lea) en 1948 et celui de Secretariat (Bold Ruler) en 1973.
13
Depuis Affirmed (Exclusive Native), treize poulains ont raté la Triple Couronne dans les Belmont Stakes. Douze se sont alignés au départ alors que I’ll Have Another (Flower Alley) avait été déclaré non partant à quelques jours de la course.
13,5
American Pharoah a gagné le Kentucky Derby par une longueur, les Preakness par sept longueurs et les Belmont Stakes par cinq longueurs et demie. Il a battu trois rivaux différents. Son prédécesseur Affirmed avait devancé dans les trois courses Alydar (Raise a Native) par un total de deux longueurs.
134
American Pharoah a été le meilleur cheval du monde en 2015 avec un rating de 134 affiché dans la Breeders’ Cup Classic. Il était à 124 après le Kentucky Derby et il est monté à 128 dans les Belmont Stakes. Il avait enregistré un rating de 131 dans le Haskell Invitational sur 1.800m.
22,25
Battu lors de ses débuts, American Pharoah a ouvert son palmarès dans le Del Mar Futurity (Gr1) et il a gagné le FrontRunner (Gr1) avant de faire l’impasse sur la Breeders’ Cup Juvenile. Il a suivi le chemin de l’Arkansas pour préparer le Kentucky Derby. Lors de ses quatre succès avant Churchill Downs, il avait toujours gagné de bout en bout avec un cumul de plus de vingt-deux longueurs.
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