Wertheimer & Frère, la plus belle collection française

Élevage / 06.03.2021

Wertheimer & Frère, la plus belle collection française

À la manière des grands chefs, ils ont leurs secrets pour élaborer les champions de demain… Jour de Galop vous propose une immersion dans les cuisines des principaux éleveurs de plat et d’obstacle qui ont bien voulu nous dévoiler leurs plans de monte pour la saison 2021. Pour ce deuxième épisode, rendez-vous avec Pierre-Yves Bureau, manager de l’écurie Wertheimer & Frère.

Par Adrien Cugnasse

Si l’élevage français était une forêt, l’écurie Wertheimer & Frère en serait assurément le plus bel arbre. Celui avec les racines les plus profondes. Un arbre entretenu avec grande attention, dont on coupe tous les ans les branches moins porteuses. Un arbre auquel on greffe des essences de choix. Pour vraiment en mesurer l’ampleur, il faut explorer le fameux "petit livre bleu", qui compte 90 juments européennes, auxquelles il faut ajouter 25 poulinières basées aux États-Unis.  

La réussite de Sea the Stars avec les filles de Monsun. America (Arazi), acquise 2,3 millions sur le ring de Deauville en 1998, s’est révélée très bonne, remportant le Prix de Malleret (Gr2). Au haras, quatre de ses six produits sont black types, dont Américain (Dynaformer), lauréat de la Melbourne Cup (Gr1). Sa fille Australienne (Monsun) a gagné une seule course, sa quatrième sortie, au mois de novembre de ses 3ans, à Agen. Pourtant, au haras, elle a bien fait d’emblée, avec Palomba (Lope de Vega), gagnante du Prix Vulcain (L), et Tasmania (Zoffany), deuxième du Prix Marcel Boussac (Gr1). Pierre-Yves Bureau détaille : « America s’est distinguée dans une bonne génération de 3ans pour la casaque avec Egyptband (Dixieland Band), Sadlers Flag (Sadlers Wells), Gold Round (Caerlon)… Nous avons conservé Australienne, malgré des performances modestes, car c’est une fille de Monsun (Königsstuhl). Et elle produit bien, c’est une famille qui se développe. Australienne doit pouliner en avril de Golden Horn (Cape Cross) et elle va à Sea the Stars (Cape Cross). Bien sûr, dans ce cas, on ne vise pas la grande précocité. Golden Horn lui convenait vraiment bien physiquement. Et Sea the Stars est un étalon que nous aimons énormément. Après avoir donné deux black types sur ses trois premiers foals, la jument mérite un sire de ce niveau. Il convient bien à cette jument assez petite. » Sea the Stars a donné six black types avec les filles de Monsun sur 29 naissances, soit un taux de réussite (21 %) trois fois supérieur à la moyenne de sa production. Ce croisement a bien sûr donné les gagnants de Gr1 Sea the Moon (Derby allemand, Gr1) et Shraaoh (Sydney Cup, Gr1). Sea the Stars réussit bien également avec les descendantes de Sadler’s Wells (Northern Dancer). Il va donc saillir la gagnante d’Arc Solemia (Poliglote) pour la deuxième fois : « Seamia (Sea the Stars), une très belle pouliche, a gagné son maiden. C’est une vraie famille classique, de distance. Sea the Stars convient bien à cette jument très anguleuse. Nous voulons réessayer le croisement. On attend beaucoup des grandes juments. Mais il faut savoir faire preuve de patience. »

Balladeuse sur la montante. L’étalon de Mme Tsui recevra six juments de l’élevage Wertheimer en 2021. Sea the Stars va notamment saillir la bonne Balladeuse (Singpsiel), déjà mère de trois black types, dont la gagnante de Gr1 Left Hand (Dubawi). La rédaction de Jour de Galop a attribué le 2 mars une Rising Star à sa fille Nohand (Dansili), laquelle a signé un très beau passage pour ses premiers pas. Pierre-Yves Bureau explique : « Balladeuse a pouliné d’une femelle de Sea the Stars et retourne à cet étalon. Avec ce sire, la famille nous a donné Starmaniac (Sea the Stars), un bon cheval qui a été pénalisé par une blessure. Balladeuse étant indemne de Danzig (Northern Dancer), on peut facilement aller à un fils de Cape Cross (Green Desert). Nous l’aimons beaucoup et la victoire de Nohand nous conforte encore dans la confiance que nous lui portons. »

Refaire Plumatic. La génitrice de Starmaniac, Plumania (Anabaa), est déjà la grand-mère de Solsticia (Le Havre), troisième du Prix Saint Alary (Gr1). Déjà mère de trois black types, la gagnante du Grand Prix de Saint-Cloud (Gr1) est promise à Dubawi (comme l’année dernière) : « Plusieurs juments de cette famille commencent à se distinguer au haras. Plumania elle-même n’a pas eu trop de chance, certains produits ayant eu des petits soucis. Nous plaçons nos espoirs en Castle (Le Havre), que nous espérons voir au niveau Groupe. Lorsque l’on voit l’ampleur de la descendance de Featherhill (Lyphard), c’est absolument magnifique. Plumania a donné Plumatic (Dubawi). Un très bon et très beau cheval, mais qui a eu des problèmes de santé. C’était probablement un sujet capable de bien faire au niveau Gr1. Elle retourne donc à Dubawi… »

Dix juments pour Lope de Vega, dont Polydream. Pour la première fois depuis fort longtemps, l’élevage Wertheimer & Frère n’enverra aucune jument à Galileo (Saddler’s Wells) cette année... Le plus utilisé sera Lope de Vega (10 juments), devant Siyouni (8 juments), Dubawi (7 juments) et Sea the Stars (7 juments). Lope de Vega va notamment saillir la bombe Polydream (Oasis Dream), lauréate du Prix Maurice de Gheest (Gr1) : « Nous essayons de la croiser avec des étalons confirmés et de haut niveau. Frankel comme Lope de Vega ont de la vitesse. Ce dernier fonctionne bien avec Danzig. Nous l’avons utilisé dès le début et sommes porteurs de parts. » Le croisement de Shamardal sur Green Desert a déjà porté bonheur à cet élevage, en particulier avec Shaman (Prix d’Harcourt, Gr2) et Sasparella (Prix Éclipse, Gr3).

Tout le monde sait à quel point il est difficile d’obtenir des saillies de Dubawi. Mais les Wertheimer ont des "armes de persuasion massives". Comme, par exemple, Silasol (Monsun), gagnante des Prix Marcel Boussac et Saint-Alary (Grs1), qui offre par ailleurs l’avantage de permettre un croisement efficace (Dubawi sur Monsun, cinq black types sur 20 partants) : « Avec de très bons étalons, Silasol n’a pas encore produit à la hauteur des attentes, mais plusieurs produits ont eu des problèmes. Néanmoins, son 2ans et son yearling sont très prometteurs. Nous lui maintenons notre confiance en la confiant à Dubawi. »

De l’exotisme pour soutenir Shaman. L’argentine Fiesta Dorada (Jump Start) a gagné un Gr3 sur 1.400m à Palermo. Elle arrive en Europe pour rencontrer Shaman (Shamardal), lequel débute chez Yeomanstown Stud, une grande maison irlandaise en pleine réussite avec ses étalons (Camacho, Dark Angel…). Pierre-Yves Bureau détaille : « Il est intéressant de se diversifier, de trouver du sang neuf. Cette jument de vitesse a été acquise en Argentine, son pedigree autorisant de nombreux croisements avec les étalons européens. Fiesta Dorada est restée dans le créneau de la vitesse pour sa première saillie, avec War Front (Danzig). Et c’est une jument intéressante pour Shaman (Shamardal). L’équipe de Yeomanstown Stud suit le cheval depuis vraiment très longtemps. C’est une très bonne maison. Il va être très soutenu… » Elle aussi venue d’Amérique du Sud, Safari Queen avait gagné deux Grs1 à 2ans sur le sable. On lui doit Queen’s Jewel (Pivotal), lauréate du Prix Saint-Alary (Gr1) dans un temps record, et Royalmania (Elusive Quality), gagnante du Prix Finlande (L). La fille de cette dernière, Hidaka (Deep Impact) avait remporté l’Arqana Prix de la Reboursière sans confirmer ensuite. Pierre-Yves Bureau explique : « Ce n’est pas une grosse jument et Wootton Bassett lui convient donc bien, pour ramener un peu de volume. Wootton Bassett, c’est un très bon étalon, confirmé et donc bien adapté pour le premier produit d’une jeune mère. Pour juger la jument, nous la confions à au moins deux sires confirmés lors de ses premières années de reproduction. » Ce croisement rappelle celui de Wootton Bassett sur les filles d’Elusive City (Elusive Quality), qui a donné trois black types (dont Wooded) pour seulement six partants.

Retrouver les familles perdues. Autre acquisition, Heuristique (Shamardal) a fait tomber le marteau à 675.000 Gns. Au sujet de cette placée de la Poule d’Essai des Pouliches (Gr1), Pierre-Yves Bureau a expliqué : « C’est le retour d’une souche qui avait disparu de l’élevage, comme celle de Bellarida (Bellypha). Dans les deux cas, nous avons racheté des femelles par la suite, pour réintégrer ces familles. Heuristique provient d’une souche qui fut présente dans l’élevage Wertheimer et Frère pendant des décennies [à partir d’Aziru, née en 1956, ndlr]. Très bonne pouliche de course, c’est une fille du très bon Shamardal (Giant’s Causeway), lequel s’affirme comme père de mères [déjà quatre gagnants de Gr1, ndlr]. Encore une fois, Heuristique présente un pedigree relativement original et qui lui offre une large possibilité de croisements. Après Sea the Stars, elle va à Siyouni. » L’élevage a ceci de merveilleux qu’à l’intérieur d’un pays la réussite ou les investissements des uns bénéficient (aussi) aux autres. Ainsi, l’aïeule d’Heuristique, Sea Ring (Bering), a donné trois bons chevaux dont la lauréate classique Torrestrella (Orpen) pour le compte de Francis Montauban. Et c’est la même chose avec les étalons. Lundi à Auteuil, les trois premiers du Prix Robert de Clermont-Tonnerre (Gr3) portraient le sang de Poliglote (Sadler’s Wells), un pur produit de l’élevage Wertheimer et Frère, tout comme Galiway (Galileo). L’étalon du haras de Colleville a été sacré tête de liste des étalons français de deuxième production en 2020… Il va d’ailleurs saillir la bonne Armoricaine (Grand Critérium de Bordeaux, Listed), pour reproduire un croisement prometteur (Galiway sur une fille de Kendargent, deux black types sur 10 partants).

Elles vont à des étalons américains. Ce fut courant par le passé, mais c’est devenu rare. Les frères Wertheimer font partie des quelques éleveurs qui envoient encore des juments européennes aux États-Unis. C’est le cas d’Houleuse (Dynaformer), petite-fille de Featherhill (Lyphard) et mère de Fuse (Teofilo), deuxième du Prix de Malleret (Gr2). Pierre-Yves Bureau détaille : « C’est la souche qui est la plus représentée dans l’élevage Wertheimer et Frère. Avec Houleuse, on peut donc tenter autre chose. Certes, elle provient d’une famille très européenne. Mais elle est par Dynaformer (Roberto) avec une mère par Seattle Slew (Bold Reasoning). Elle va donc rencontrer Ghostzapper (Awesome Again), un vrai étalon d’éleveur, avec de bonnes statistiques. Nous avons une part de ce sire et le produit va certainement rester à l’entraînement aux États-Unis. » Hallucinante (Dubawi) vient d’une belle souche américaine qui a fait l’objet d’une tentative d’acclimatation en Europe : « Nous avions acheté sa mère, Buster’s Ready (More than Ready), mais cette dernière a vraiment produit dans un type très américain. Après l’avoir croisée avec Intello (Galileo) et Gleneagles (Galileo), elle est donc repartie aux États-Unis pour rencontrer Kitten’s Joy (El Prado). Ce dernier est capable de produire aussi bien sur le dirt que sur le turf. Et la jument par Dubawi, lui aussi capable de donner des chevaux sur les deux surfaces. »

Les sires français à l’honneur. Une grosse vingtaine de juments du "livre bleu" vont à des étalons français. En attendant son premier partant, Left Hand (Dubawi), gagnante du Prix Vermeille (Gr1), ne fera d’ailleurs que 30 minutes de route pour être saillie : « Siyouni a passé un cap. C’est un très bon étalon. Left Hand est une jument de tenue et nous voulions ramener un peu de vitesse. La famille fonctionne bien avec Danzig et Pivotal. Nous plaçons beaucoup d’espoirs en Left Hand. » Le Havre (Noverre) recevra lui pas moins de cinq juments : « Son pedigree le rend facile à utiliser et il nous a bien réussi avec Platane et Soliticia. C’est un étalon très régulier, qui sort beaucoup de chevaux de Groupe. Nous avons une part et nous y croyons. Nous lui avons confié une fille de Goldikova (Anabaa). La perte de cette championne, ce fut un grand coup porté à l’élevage. Heureusement nous avons ses sœurs et ses filles. Nous espérons qu’elles sauront porter le flambeau de cette famille qui nous tient vraiment beaucoup à cœur. » La fille de Goldikova en question n’est autre qu’Alikova (Galileo), ce qui reproduit le croisement de La Cressonnière (Le Havre). Désormais, le sire du haras de Montfort & Préaux a beaucoup de filles au haras (dont la mère de Pyledriver, double lauréat de Gr2) et il est intéressant de voir comment Wertheimer et Frère croise la bonne Platane (Le Havre), placée de Gr1, qui a gagné le Prix Vanteaux (Gr3). Pierre-Yves Bureau explique : « Le Havre est l’un des rares vecteurs du sang de Blushing Groom (Red God), une lignée qui nous a beaucoup réussi. Les filles de Le Havre offrent beaucoup d’opportunités de croisement. Très bonne en course, Platane méritait des sires de premier plan : d’où Dubawi en 2020 et Frankel en 2021. Dubawi semble bien fonctionner avec cette souche. Frankel est un étalon très performant sur toutes les distances et nous préférons l’utiliser avec des juments qui ne génèrent pas d’inbreeding proches sur Danzig ou Sadler’s Wells. C’est loin d’être facile à trouver… »

Fort soutien pour Intello. Stationné au haras du Quesnay, l’étalon maison Intello (Galileo) va recevoir cinq juments. Proposé à 10.000 €, il a des statistiques solides (10 % de black types par partant) et Pierre-Yves Bureau poursuit : « J’aime beaucoup cet étalon : il fait des chevaux de course et c’est le plus important. J’attends beaucoup de sa génération de 3ans avec Noble Heidi, Bobbymurphy… Nous lui confions tous les ans des juments et sommes très heureux qu’il soit stationné au Quesnay. Nous utilisons aussi Attendu (Acclamation), lequel est très populaire. » La mère d’Intello, Impressionnante (Danehill), va rencontrer la jeune vedette de Darley : « Elle a donné Intello avec Galileo, le père de mère de Night of Thunder (Dubawi). Nous voulions essayer autre chose. L’étalon est vraiment très prometteur, ses statistiques sont impressionnantes. »

Les principaux croisements cités dans cet article                    

  • Alikova (Galileo) 

2021 : Le Havre 

  • Australienne (Monsun) 

2020 : Golden Horn 

2021 : Sea the Stars 

  • Armoricaine (Kendargent) 

2020 : Intello 

2021 : Galiway 

  • Balladeuse (Singpsiel) 

2020 : Golden Horn 

2021 : Sea the Stars 

  • Fiesta Dorada (Jump Start) 

2020 : War Front 

2021 : Shaman 

  • Hallucinante (Dubawi) 

2020 : Gleneagles 

2021 : Kitten’s Joy 

  • Heuristique (Shamardal) 

2020 : Sea the Stars 

2021 : Siyouni 

  • Hidaka (Deep Impact) 

2021 : Wootton Bassett 

  • Houleuse (Dynaformer) 

2020 : Anodin 

2021 : Ghostzapper 

  • Impressionnante (Danehill) 

2020 : Dubawi 

2021 : Night of Thunder 

  • Left Hand (Dubawi) 

2020 : Kingman 

2021 : Siyouni 

  • Platane (Le Havre) 

2020 : Dubawi 

2021 : Frankel 

  • Polydeam (Oasis Dream) 

2020 : Frankel 

2021 : Lope de Vega 

  • Plumania (Anabaa) 

2020 : Dubawi 

2021 : Dubawi 

  • Silasol (Monsun) 

2020 : Sea the Stars 

2021 : Dubawi 

  • Solemia (Poliglote) 

2020 : Sea the Stars 

2021 : Sea the Stars