Les cinq vies de Louvain

Magazine / 08.04.2021

Les cinq vies de Louvain

Les cinq vies de Louvain

Elle était jusqu’à présent connue pour avoir donné Flotilla. Mais Big Five vient de faire grande impression et personne ne serait surpris de le voir lui aussi s’imposer au meilleur niveau. Leur mère, Louvain, a changé cinq fois de propriétaire et son odyssée sort des sentiers battus !

Par Adrien Cugnasse

Louvain (Sinndar) a vu le jour en 2002 à Kildaragh Stud en Irlande. Issue de la génération inaugurale de Sinndar (Grand Lodge), elle était par ailleurs le premier produit de Flanders (Common Grounds), une jument très précoce et lauréate de quatre courses entre les mois de mai et juillet de ses 2ans. À 3ans, en bon terrain, elle a été battue du minimum dans les King’s Stand Stakes (alors Gr2, aujourd’hui Gr1), sans parvenir à reproduire cette valeur par la suite. Malgré les performances de sa mère, le papier de Louvain n’était pas très fourni et il fallait (alors) remonter à sa quatrième génération pour retrouver du caractère gras. Petite jument, elle a été rachetée 28.000 Gns sur le ring de Tattersalls. Moins que le prix de saillie !

Deux fois vendue à 2ans ! Ses éleveurs, les Kavanagh, font régulièrement courir en France et Louvain a donc atterri dans la cour de Richard Gibson à Chantilly. Tenant plus de sa mère  que de son père  elle a donc débuté par une troisième place en terrain lourd sur 900m à 2ans. Progressant de course en course, elle s’est classée deuxième du Prix des Jouvenceaux et des Jouvencelles (L) et proche troisième du Critérium de l’Ouest (L). En septembre, Peter Bradley l’achète à l’amiable. Mais à peine quelques semaines plus tard, Louvain se retrouve sur le ring de la vente de l’Arc où Michel Zerolo, agissant pour Edmund Gann, signait le bon à 260.000 €. Le courtier se souvient : « Exportée, Louvain a gagné les Miesque Stakes (Gr3, 1.600m, terrain léger) sous l’entraînement de Bobby Frankel. À 3ans, elle a gagné deux Listeds. Sur mes conseils, après deux produits américains – par Marias’ Mon et Medaglia d’Oro – elle avait été saillie par Mizzen Mast (Cozzene) et nous avons donc décidé de la renvoyer en Europe pour qu’elle y pouline. Mais Edmund Gann est mort peu de temps après et j’ai été désigné comme exécuteur testamentaire. Elle faisait partie des chevaux que je devais vendre. Je l’ai proposée à pas mal de monde. En vain, malgré le fait que nous n’en demandions pas beaucoup d’argent. »

Le croisement de Flotilla. Michel Zerolo poursuit : « Ne trouvant pas d’acheteurs, nous l’avons acquise à trois : Ariane Gravereaux, Eric Puerari et moi. Elle portait en elle Flotilla ! » Concernant le croisement qui a donné la future classique, il explique : « Je n’ai pas grand mérite et il n’est pas le fruit d’une grande réflexion académique. Dans ma jeunesse, j’ai travaillé chez Spendthrift Farm, où je me suis notamment occupé de Caro (Fortino). Je l’adorais ! Le premier bon yearling que j’ai acheté était une fille de Caro : Smuggly a gagné le Prix Saint-Alary (Gr1) avant d’être battue de peu dans le Diane. J’ai toujours aimé cette lignée mâle et j’ai plus tard par exemple acheté une part de Kaldoun (Caro). Et d’une certaine manière, lorsqu’il a sailli Louvain, Mizzen Mast était le "Caro du pauvre". Mais physiquement, il lui convenait vraiment : il avait la carrure pour cette petite et ravissante jument. » Le fruit de ce croisement a donc vu le jour au haras des Capucines en 2010 et au moment de son passage en vente, la page s’était nettement noircie, avec l’apparition de quatre black types supplémentaires, dont Ascot Family (Desert Style), lauréate du Prix des Jouvenceaux et Jouvencelles (L) et Laajooj (Azamour), gagnant des Fairway Stakes (L) sur 2.000m à Newmarket. Sur le ring de Deauville, Flotilla (Mizzen Mast) était une grande yearling, un peu matérielle et oreillarde, avec un modèle à l’américaine. Pour 120.000 €, elle a rejoint l’effectif de Mikel Delzangles sous les couleurs d’Edward Swyer.

Malchanceuse à deux reprises. Michel Zerolo se souvient : « J’avais supplié Alain Jathière de l’acheter, nous avons été sous-enchérisseurs. » Sixième à distance sur 1.100m du Prix de la Reine Blanche, Flotilla est immédiatement rallongée pour gagner avec de la marge son maiden à Clairefontaine sur 1.400m. L’impression est remarquable si bien que Flotilla s’élance en tant que cofavorite du Prix d’Aumale (Gr3). Elle termine cinquième et la presse de l’époque note : « Laisse des regrets, à avoir si bien fini et en revenant de si loin. » Thierry Delègue, alors manager de Son Altesse le cheikh Mohammed bin Khalifa Al Thani, et permis d’entraîner, monte le matin sur les pistes de Chantilly. Et c’est dans ce contexte bien précis qu’il incite le cheikh à acheter Flotilla, comme il nous l’a confié en 2017 : « Quand on est proche d’un cheval au galop de chasse, quand on peut être à côté de lui lorsqu’il marche après ses travaux, c’est très riche d’enseignements. Par exemple, dans le cas de Flotilla, grâce à la bonne entente avec Mikel Delzangles, le fait de la côtoyer le matin à l’entraînement, de suivre de près son évolution, m’a permis de bien la connaître avant de faire une proposition d’achat. » Malheureuse dans le Prix d’Aumale, la pouliche change néanmoins de casaque. Dans le Prix Marcel Boussac (Gr1), elle trouve un terrain lourd peu à sa convenance et se classe quatrième en étant encore une fois très malheureuse durant la phase finale.

Le sommet de sa carrière. Logiquement, quand elle s’envole pour Churchill Downs, l’enthousiasme est très limité. Seuls Thierry Delègue et l’entraîneur ont fait le déplacement. Mais en bon terrain, Flotilla transperce le peloton pour s’imposer brillamment dans la Breeders' Cup Juvenile Fillies Turf (Gr1) ! Michel Zerolo se souvient : « Ce fut une après-midi inoubliable. Zagora (Green Tune), autre produit du haras des Capucines, avait de son côté remporté la Breeders' Cup Filly & Mare Turf (Gr1). » À 3ans, Flotilla a fait sa rentrée directement dans la Poule d’Essai des Pouliches (Gr1). Une édition avec deux lièvres où le record de l’épreuve saute. Flotilla y décroche la victoire grâce une fin de course impressionnante, face à une pouliche de la trempe d’Ésotérique (Danehill Dancer), triple lauréate de Gr1 par la suite. Comme souvent, lorsque le chronomètre explose – surtout pour une rentrée – les organismes en subissent les conséquences et Flotilla n’a jamais reproduit sa meilleure valeur par la suite.

Big Five, un top stayer en devenir. Suite aux victoires de Flotilla, les trois associés ont reçu une offre impossible à refuser. Et Louvain a rejoint sa fille chez le Son Altesse le cheikh Mohammed bin Khalifa Al Thani. Après Flotilla, la jument a donné sept produits en âge de courir. Certains malchanceux car accidentés. D’autres décevants. Le sixième, Big Five (Frankel) a hérité de la tenue que transmet son père. Tardif, ce modèle imposant a débuté au moins de juin de ses 3ans. Peu impressionnant lors de ses débuts, il s’est affirmé au fil des courses jusqu’à remporter le 5 avril le Prix Right Royal (L) de toute une classe. Comme il a été invaincu en cinq sorties, sa performance n’est pas passée inaperçue et les bookmakers le proposent à 22/1 dans la Gold Cup (Gr1). La route est longue et il est peu probable de le voir dans l’édition 2021 de ce combat si difficile. Mais à l’avenir, qui sait… En tout cas, il est devenu le troisième black type de Louvain (en première génération) et le cinquième si on compte les produits de deuxième génération. La jument est passée en vente au mois de janvier, à l’âge de 19ans. Al Shahania Stud a conservé plusieurs de ses filles, dont Flotilla.

De retour aux Capucines. Sur le ring de Keeneland, au mois de janvier, le marteau est tombé à 35.000 $. C’est la cinquième fois que Louvain change de propriété. Elle a repris la direction du haras des Capucines, pleine de Mizzen Mast, mais ne sera pas saillie en 2021. Michel Zerolo poursuit : « Elle est dans un état magnifique, absolument superbe. On dirait une jument de 12ans. Je l’ai acquise pour Paul Shanahan et ses associés. Avec un peu de chance, elle leur donnera encore quelques poulains avant de partir à la retraite. » Les associés des Capucines ont un certain nombre de juments de cette famille, comme Ascot Family, pleine de Goken (Kendargent). À titre individuel – ou avec d’autres associés –, Michel Zerolo possède Winter Count (la mère de Jack and Noak) et sa fille Snowy Plains (Camelot).

Une famille en plein développement. Le premier produit de Louvain, Louvakhova (Maria's Mon) a gagné sa liste de cinq longueurs aux États-Unis. On lui doit Crossfirehurricane (Kitten's Joy), lauréat d’une préparatoire classique au Curragh mais qui n’a pas trouvé en Europe les pistes fermes pour s’exprimer, My Generation (Speightstown), lauréate de Listed par cinq longueurs le 5 mars en Irlande et espoir classique chez Joseph O’Brien. Mais Louvakhova est aussi la deuxième mère de Jack and Noah (Bated Breath), un triple lauréat de Listed qui est passé à 35 centièmes du record des 1.200m de Belmont Park. Michel Zerolo a fait saillir la sœur de ce dernier, Snowy Plains (Camelot), par No Nay Never (Scat Daddy) pour : « Remettre de la vitesse… sur cette souche de vitesse. » Depuis 2010, la page de catalogue de cette famille a été enrichie par Family One (Prix Robert Papin, Gr2, deuxième du Prix Morny, Gr1) ou encore Lethal Force (Diamond Jubilee Stakes & July Cup, Grs1). Il est vraiment stupéfiant de constater le développement de cette famille – qui semblait morte pendant une longue période – à partir d’une jument qui avait montré de la qualité en course. Dans le cas du sujet de cet article, la souche s’est fabriquée autour de Louvain. Michel Zerolo conclut : « Avec le temps, j’ai un peu changé ma manière de choisir les juments. Comme beaucoup de gens, j’ai grandi dans le culte des grandes souches. Avec le temps, l’expérience a affiné mon point de vue. Quand on n’a pas des moyens illimités, il faut faire un arbitrage. Désormais, je donne la priorité aux performances, à égalité avec le physique… car il est très long d’améliorer le modèle dans une lignée. Bien sûr, on ne peut pas élever qu’à partir de juments de Groupe, mais dans la mesure du possible, il faut choisir des juments qui galopent. À l’inverse, je pense qu’il est compliqué d’élever avec des juments en 20 de valeur, même avec de grands pedigrees. »

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