
Courses / 19.04.2021
Les courses sans train, un mal français ?
C’est un phénomène tellement connu qu’il a débouché sur une expression : "les courses à la française". Comprenez une course sans train, qui se conclut sur un sprint de 400m. Le Prix de la Grotte, disputé dimanche à ParisLongchamp, en est un bon exemple. Quelles sont les conséquences de ce "mal" a priori bien français, et comment l’expliquer ? Nous avons posé la question à plusieurs entraîneurs et jockeys – issus de toutes nos régions, et possédant une expérience différente : Henri-Alex Pantall, Alain de Royer Dupré, Nicolas Clément, Christophe Ferland, Alexis Badel, Stéphane Pasquier, Mickaël Barzalona, Jean-Bernard Eyquem et Cristian Demuro.
Cela vient-il des ordres des entraîneurs ou du comportement des jockeys ?
Tous les turfistes le savent : il y a des maisons où l’on n’hésite pas aller devant, d’autres où l’on va toujours courir de façon cachée, d’autres encore où l’on s’adapte… (Portrait Pantall) Pour Henri-Alex Pantall, « c’est difficile à dire, mais il semblerait que cela vienne plus des entraîneurs que des jockeys, qui respectent les ordres. C’est un mal bien français qui décrédibilise la qualité de nos courses. À mon avis, cela dépend principalement de la façon de donner les ordres, avec des entraîneurs qui hésitent à aller devant et préfèrent voir leurs chevaux cachés pour venir finir. C’est toujours embêtant, quand nous rentrons, de mettre des chevaux de train pour faire le rythme pour les autres. Nous sommes un peu frileux sur ce côté-là. Personnellement, cela ne me dérange pas de voir mes chevaux devant. Quand un cheval est un peu tendu, je veux qu’on le cache, mais quand celui-ci a un peu d’action, et qu'il est assez détendu dans sa façon de courir, pourquoi pas ne pas aller devant ? »
La question des leaders, Jean-Bernard Eyquem la soulève aussi : « Pour les courses de sélection, si nous voulons vraiment voir la vérité, il faudrait que les bonnes écuries, ou certains propriétaires qui possèdent de bons chevaux, mettent des leaders. C’est impératif. »
Alain de Royer Dupré fait partie de ces entraîneurs capables de mettre des leaders : « Le fait qu’il y ait moins de rythme dans les courses françaises vient des ordres donnés par les entraîneurs, mais les grands jockeys sont capables de les interpréter à leur façon. Les courses sans train donnent un avantage aux chevaux très bien dressés, qui sont capables de galoper nez au vent, d’attendre, de tout faire en quelque sorte. Ceux qui ne peuvent pas être montés autrement que cachés peuvent subir une fausse course. Pour ceux qui n’ont pas d’accélération, ce n’est pas à leur avantage, mais ne pas être capable de passer la vitesse supérieure n’est pas un grand signe de qualité pour un cheval. Nous avons utilisé pas mal de leaders et cela s’est souvent bien passé. Parfois, il y a eu des surprises comme lorsque Rajsaman avait servi de leader à Siyouni dans le Prix de Fontainebleau (Gr3) et qu’il l’avait battu. Mais, au final, Rajsaman n’a jamais gagné de Gr1 au contraire de Siyouni. »
Jockeys, adaptez-vous ! Pour Stéphane Pasquier, le mot d’ordre est l’adaptation : « Cela ne vient pas forcément des ordres des entraîneurs, c’est un ensemble de paramètres. C’est étroitement lié au fait que nous avons généralement des chevaux moins forts, qui ont besoin de plus de temps pour venir à maturité. Les Anglais ont une sélection plus poussée à l’entraînement qui fait que les chevaux sont vite écartés lorsque leurs entraîneurs pensent que cela n’ira pas. L’entraîneur à suivre en France est André Fabre. Lorsqu’il sent qu’il a un élément qui sort du lot, il n’hésite pas à se rendre à l’étranger. Il s’est toujours adapté à toutes les façons de courir et a su modifier sa méthode d’entraînement. Personnellement, en tant que jockey, cela me désole de voir des courses sans rythme bien évidemment, mais nous sommes obligés de nous adapter à ce que l’on nous demande de faire. Il faut s’adapter aux animaux que l’on monte, en fonction de leur capacité à changer de rythme ou à accélérer. L’adaptation à sa monture est l’essence même du métier de jockey. L’ADN des courses françaises est d’avoir un cheval détendu qui garde son influx pour ensuite pouvoir sprinter. »
Le regard de Cristian Demuro est également intéressant, puisqu’il a dû s’adapter à la spécificité des épreuves tricolores : « Les courses françaises ont presque toujours un déroulement très tactique et je pense que cela dépend beaucoup des ordres des entraîneurs. Dans une course à onze partants, les jockeys ont tous les mêmes ordres : "Prends un bon départ, cache-le derrière l’animateur et attends sans le faire trop tirer". Il y a une seule place derrière l’animateur et onze jockeys qui cherchent à s’y installer ! Celui qui se trouve devant casse le train et on va au galop de chasse. Tout se joue sur un démarrage. Ce n’est pas toujours le meilleur qui gagne car presque tous les chevaux sont capables de faire 400m vite. La position dans le parcours est décisive. Je me suis adapté assez vite à ce scénario. Il faut faire avec, même si ces courses sont difficiles à interpréter pour tout le monde, y compris pour les parieurs. »
La sélection est-elle faussée ?
Le but des courses dites de sélection est de… sélectionner les meilleurs éléments pour la reproduction. Si, en raison d’une course sans train, ce n’est pas le meilleur cheval qui passe le poteau en tête dans une Listed ou un Groupe, cela pose un problème au niveau de l’élevage. Henri-Alex Pantall détaille : « Cela peut effectivement cacher un peu la qualité de certains chevaux. Nous l’avons vu dimanche : toutes nos préparatoires se sont terminées avec cinq chevaux en moins de trois longueurs. Depuis le début de l’année, nous ne voyons que des arrivées où les premiers terminent dans la même foulée, chez les mâles comme chez les femelles. C’est un peu embêtant car nous avons du mal à nous faire une idée dans ce contexte. Ces dernières semaines, seule Sibila Spain ** a gagné avec de l’avance, en montrant un éclair de génie. »
Pour Mickaël Barzalona, « ce n’est pas mon métier, mais avec mon œil extérieur de jockey, il est certain que certains chevaux décrochent du black type sans le mériter. Certains sont juste pratiques ; du coup, on peut les monter de l’avant et imprimer un faux train, avant d’accélérer sèchement : en bon terrain, c’est difficile de revenir dans un tel scénario. Donc oui, je pense que cela peut affecter l’élevage et le commerce de rendre black types des chevaux qui ne le méritent pas forcément. De ce fait, on ne connaît pas les réelles valeurs de nos chevaux en arrivant sur les belles épreuves. Dans une course comme la Grotte, où cinq pouliches ont terminé de front, on ne peut pas savoir où l’on met les pieds, car un tel scénario n’est pas toujours bon signe. Il est certain que le fait d’avoir des courses plus régulières nous permettrait d’y voir plus clair. »
La réponse est moins évidente pour Alain de Royer Dupré : « À mon avis, notre très bonne sélection n’est pas entravée par ce manque de rythme. Beaucoup de tracés français ne sont absolument pas sélectifs mais, sur nos principaux champs de course, la sélection y est effective. »
La formation des jockeys est-elle à mettre en cause ?
Vaste question que celle de la formation des jockeys ! À 43 ans, Stéphane Pasquier a connu une formation à l’ancienne, et il explique : « Les élèves à l’Afasec ne montent presque plus à cheval malheureusement. Faire plus d’école que de pratique dans les écuries n’est pas tolérable dans un métier manuel comme le nôtre. Je fais partie des derniers élèves à avoir pu monter à cheval tous les matins, avant d’aller en cours l’après-midi. »
Christophe Ferland est encore plus sévère pour l’école des courses hippiques, tout en proposant des solutions : « À l’Afasec, on ne forme plus du personnel pour les courses ! Je vais me faire des ennemis, mais le système actuel ne permet pas de former des jockeys ou même des cadres d’écurie : on a les apprentis pendant quinze jours, puis on ne le voit plus pendant six semaines… Quand on a des jeunes avec un potentiel mental, physique et technique pour être jockey, il n’y a pas de formation spécifique et de haut niveau pour eux, type sport-études. Ils sont dans le même bain que les autres. À eux d’être meilleurs ou d’avoir un bon patron. Ils mériteraient d’avoir une formation où ils puissent monter à cheval tous les jours. »
Les courses sans train permettent-elles de préserver nos chevaux ?
Ces courses tactiques, où tous les jockeys se regardent en attendant que l’un d’entre eux ne se décide à prendre la tête, sont souvent des préparatoires aux grandes courses. (Photo Clément) Pour Nicolas Clément, « c’est culturel chez nous. On ne veut pas faire mal aux chevaux, on essaie de les préserver en voulant les courir cachés. Le point positif est qu’effectivement, c’est une façon de les économiser, parce qu’ils n’ont que très rarement des courses à la mort. Le négatif, c’est qu’on ne les endurcit pas. J’ai quand même l’impression que les courses vont de moins en moins vite… et que l’on court de moins en moins souvent ! Cela mériterait une étude, mais je ne suis pas sûr que les courses sans train permettent de courir plus souvent. Ce dont je suis quasiment sûr, en revanche, c’est qu’on gagne plus de courses en allant devant qu’on n’en perd ! » Même son de cloche pour Jean-Bernard Eyquem : « Avec nos courses sans train, on n’endurcit pas les chevaux aussi vite qu’on le devrait. »
Et l’harmonie dans tout ça ? Sans étude scientifique sur le sujet, difficile de déterminer si un effort violent sur 400m est plus exigeant physiquement qu’une course plus régulière, avec une longue accélération progressive. Henri-Alex Pantall est mitigé : « Il y a du pour et du contre, mais je pense qu’il y a tout de même plus de contre que de pour à mon avis. On leur demande effectivement de fournir un effort plus violent que dans une course dans laquelle ils s’habituent, dès le départ, à avoir un rythme plus régulier… »
Alexis Badel ne mâche pas ses mots : « Je pense que tout ce qui est violent, c’est-à-dire partir, se placer, reprendre, essayer d’aller le plus doucement possible et tenter de redémarrer sur un déboulé de 400m "hyper violent" avec, qui plus est, des chevaux qui n’ont pas été forcément détendus, c’est loin d’être idéal… Cela me semble plus harmonieux d’avoir des chevaux détendus et davantage dans leur rythme. Si on parle technique, je pense que le balancier d’un cheval est quelque chose qui compte. Dans les allures du cheval, il y a un temps de suspension et il faut le respecter. »
Alain de Royer Dupré est du même avis : « Le manque de train ne permet pas forcément de préserver nos chevaux car, dans les fausses courses, il y a de très forts changements de rythme qui peuvent faire mal aux chevaux, surtout s’ils ne sont pas dans le bon équilibre et s’ils ne sont pas en ligne. »
Mickaël Barzalona va dans le même sens en analysant : « On sait que les problèmes majeurs des chevaux sont les saignements. Quand on demande à un cheval d’accélérer très brutalement après avoir tiré dessus pendant un kilomètre, je pense que c’est un effort bien plus propice aux saignements. »
Ce rythme est-il pénalisant pour nos chevaux dans les grandes rencontres internationales ?
En France (peut-être grâce à la présence de chevaux étrangers ?) ou à l’international, il est rare que les Grs1 se jouent sur un déboulé. Généralement, il y a même beaucoup de rythme. Nos chevaux, souvent préparés dans des courses au train modéré, ne sont-ils pas surpris par ces nouvelles conditions ? Henri-Alex Pantall, qui dispute souvent des Groupes en Allemagne, explique : « Le fait qu’il y ait des courses avec du train dès le départ peut les surprendre. Avec ma petite expérience des courses étrangères que sont les courses allemandes, nous nous apercevons que ces épreuves sont très rythmées. Comme en Angleterre, cela avance dès le départ. Pourtant, les chevaux de mon écurie y ont réalisé de bonnes performances. Ces courses rythmées allemandes ont permis à des chevaux de moindre valeur de gagner des Listeds, alors qu’ils étaient plutôt habitués à venir sur les autres. Certains chevaux peuvent donc être avantagés. Peut-être que ceux-ci auraient brillé en France dans ce contexte… mais nous ne le saurons jamais. À côté de cela, quand les allemands viennent chez nous, ils sont quand même assez compétitifs et offensifs. »
Pas assez durs ! L’avis d’Alexis Badel, qui évolue désormais à Hongkong après avoir longtemps monté en France, est plus tranché : « Les chevaux français sont particulièrement pénalisés lorsque les Anglais viennent disputer nos belles courses avec des chevaux maniables. Eux ont cette capacité d’avancer dans des courses sans train avec des chevaux qui tiennent et qui ont de longues accélérations. Fatalement, nous nous faisons prendre à notre propre jeu. » Pour Stéphane Pasquier, « c’est une question très compliquée. Je crois me souvenir que Maurice Zilber m’avait dit que si les chevaux n’étaient pas assez durs, il fallait qu’ils soient meilleurs que les autres pour être performants. Or nos chevaux sont rarement aussi endurcis que les anglais par exemple. Cela peut nous pénaliser quand on affronte les étrangers. Quand on va à l’étranger, c’est en principe que nos chevaux ont beaucoup de qualité et que l’on vise juste. À l’inverse, quand on hésite, on fait souvent machine arrière de peur de mal courir. »
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