
Élevage / 30.05.2021
Le Magazine : André-Jean Belloir : « Avant Hermès Baie, nous avions déjà couru trois Grs1 et nous étions tombés trois fois ! »
Par Christopher Galmiche
Actuellement troisième au classement des éleveurs d’obstacle, André-Jean Belloir a remporté son premier Gr1 avec Hermès Baie (Crillon) dans le Prix Alain du Breil - Course de Haies de Printemps des 4ans, dimanche dernier à Auteuil. Le poulain de la famille Papot est un pur produit Belloir puisqu’il est issu de Crillon (Saumarez), lequel a fait la monte chez l’éleveur manchot, au haras de la Baie, à côté du Mont-Saint-Michel. Une belle histoire qui met en avant un homme de conviction.
Jour de Galop. – Comment avez-vous vécu cette première victoire de Gr1 avec Hermès Baie ?
André-Jean Belloir. – Avant Hermès Baie, nous avions déjà couru trois Grs1 et nous étions tombés trois fois ! Mon fils Marin, qui a repris l’activité avec moi, était présent à Auteuil. Nous avions aussi Béryl Baie (Crillon), qui courait le Prix Pot d’Or le samedi et a fini deuxième. Nous avons dû nous partager car on peut difficilement tous partir. J’étais resté au haras pour suivre la course à la télévision avec mon épouse et mes deux autres filles, avec mon fils au téléphone. Nous sommes assez proches de la famille Papot et nous avons eu également Xavier au téléphone. Il y a vraiment eu Hermès Baie et les autres. À l’arrivée, les placés se tiennent en une longueur. Nous verrons plus tard quand Thélème (Sidestep) va rentrer dans le jeu, mais je pense qu’Hermès Baie a franchi un palier. Curieusement, c’est un cheval dont on n’entendait pas parler. Au débourrage, personne ne l’a remarqué. Chez François Nicolle, il suivait, mais il n’était jamais devant. Il passe incognito quasiment tout le temps. Mais lorsqu’il est sur l’hippodrome, il se réveille !
On imagine que le croisement avec Crillon, qui était au haras de la Baie à l’époque, s’est imposé de lui-même ?
Oui. Crillon, c’est une histoire personnelle. C’est le cheval d’une vie que j’ai eu la chance de croiser et dont personne ne voulait entendre parler. Pendant dix ans, il saillissait vingt juments dont dix ou douze à moi. Un jour, j’ai été invité à une soirée chez Yannick Fertillet pour sa 1.500e victoire et j’étais à table avec toute la famille Papot. Nous avons échangé et je leur avais dit que nous avions Crillon. Ils adoraient cet étalon. À partir de ce moment, nous sommes restés en contact et quelques-unes de leurs juments sont venues à la saillie de Crillon. Peu de monde s’est intéressé à cet étalon, mis à part nos éleveurs de la région comme Marc Trincot (élevage des Ongrais) ou encore mon vétérinaire, monsieur Grosfils, lequel a fait venir Kin d’Estruval (Panoramic), la mère d’Alex de Larredya ** (Crillon), car il était ami avec Jean-Luc Laval. Crillon a eu une production confidentielle et je pense que c’est une perte pour l’élevage français quand on voit ce qu’il apporte. Il produit, et produit aussi comme père de mère. J’ai une mère par Crillon, Afrika Baie, qui était une jument compliquée, dont les deux premiers produits s’illustrent : Frimousse Baie (Gris de Gris) qui a pris plus de 100.000 € de gains, et Grafity Baie (Elasos), qui a gagné trois courses en cinq sorties… S’il avait plus sailli, il aurait certainement marqué beaucoup plus. Alex de Larredya était un drôle de cheval, sans oublier Buveur d’Air, qui a gagné huit Grs1 entre l’Angleterre et l’Irlande. Nous, nous avons eu aussi Jemy Baie qui a couru plusieurs fois le Grand Steeple [et lauréat du Prix Troytown (Gr3) 2016, ndlr]… Tout cela, avec quinze à vingt produits par génération !
Comment la souche d’Hermès Baie est-elle arrivée dans votre élevage ?
La souche d’Hermès Baie est arrivée chez nous grâce à Yannick Fertillet. Un jour, il m’a proposé une jument qui s’appelait Ludmika (Murmure) [future mère d’Hermès Baie, ndlr]. Elle avait couru trois fois pour lui. Elle avait gagné deux fois en plat, ensuite elle a fait une tendinite du paturon. De ce fait, il n’a pas réussi à la soigner. Il m’a dit : "C’est une AQPS qui va très, très vite, si tu veux, je te la laisse." Je lui ai acheté cette jument et nous sommes partis de là. C’était une souche que Yannick Fertillet aimait bien, de la famille de Goguenard (Gaspard de la Nuit). Il y avait un peu de papier derrière. Quand j’ai commencé, je n’avais pas non plus l’embarras du choix sur les souches et j’ai pris à l’époque des juments dont les familles me paraissaient correctes.
Le propre frère d’Hermès Baie âgé de 3ans a été exporté en Irlande. Ludmika a eu ensuite une 2ans et une yearling par Tiger Groom (Arazi). Quelle est la suite de sa production ?
C’est la dernière à pouliner. Nous attendons avec impatience son produit. Elle est pleine de Puit d’Or (Sadler’s Wells), le père de Punch Nantais. C’est un grand cheval que j’avais l’an dernier et qui lui convenait bien car c’est une petite jument. C’est une jument attachante, qui ne nous pose pas de problèmes. Une bonne mère, la chouchoute de la maison. Au début, elle n’a pas sorti beaucoup de chevaux de qualité. Malgré tout, elle est restée à la maison car elle produisait de beaux poulains. Hermès Baie est d’ailleurs un très beau cheval.
Combien de poulinières avez-vous au haras de la Baie ? Vous êtes agriculteur céréalier, vous élevez des chevaux, votre fils Marin fait du pré-entraînement, du débourrage sur vos installations. Vous pouvez quasiment vous occuper du cheval jusqu’à son départ pour l’entraînement…
Nous avons entre douze et quinze poulinières. Je dirais que le fait de pouvoir faire beaucoup de choses nous-mêmes nous a permis de traverser les années. Je pense que le plus grand malheur qui puisse arriver à un éleveur qui débute, c’est de commencer par avoir de bons chevaux la première année. Tout va très, très vite. Mais ça reste un métier où certaines années, on produit de bons chevaux et d’autres années, des moins bons. J’ai dû faire naître mon premier pur-sang en 2005. On a commencé par des années avec des chevaux moyens et pour pouvoir s’en sortir, il faut maîtriser au mieux les charges de production. Sinon, on part dans un mauvais engrenage.
Quel a été le parcours de votre fils qui vous a donc rejoint sur le haras de la Baie ?
L’idée première de notre activité de débourrage et pré-entraînement est que nous puissions valoriser nous-mêmes nos chevaux. Nous avons une dizaine de poulains par génération et mon fils a décidé de développer cette activité-là en prenant également des poulains de l’extérieur. Il fait cela d’août à mars. Il a commencé cette activité il y a quatre ans. Auparavant, il a travaillé chez Guillaume Macaire, et Patrice Quinton. Tous les ans, il va travailler quelques mois en Irlande. Il est allé chez Arthur Moore, Joseph O’Brien et dans d’autres maisons de renom pour voir comment ça fonctionnait. Mais nous sommes avant tout des agriculteurs et des éleveurs.
Qu’avez-vous comme étalons au haras ?
En étalon pur-sang, nous avons loué deux années Tiger Groom (Arazi). C’est quand même un gagnant de Groupe en obstacle, père de vainqueurs de Gr1 en obstacle, bizarrement boudé par les éleveurs français. Là aussi, c’est surréaliste. Je lui ai mis des juments maison. Ensuite, nous avons eu la possibilité d’acheter Tin Horse ** (Sakhee) à la vente d’été Arqana, en 2020. Je suis ami avec Jean-Paul Gallorini qui nous a confié Nom de d’La (Lost World), le propre frère de Nickname (Lost World) et le frère de No Risk at All (My Risk). Nous l’avons aussi loué pour cette année. Nous avons toujours un ou deux étalons trotteurs, mais vraiment en prestation de service. Il y a plusieurs éleveurs dans le secteur qui cherchent des étalons. Cette année, nous avons Bolt, mais auparavant, j’ai eu Quinoa du Gers, Nijinski Blue... Pendant plusieurs années, je me suis occupé de l’élevage du Gers de monsieur Bragato.
Par le passé, vous avez également élevé des chevaux de sports équestres de haut niveau comme Razzia du Poncel, médaillée de bronze aux J.O. de Barcelone…
C’était avant mes débuts dans les courses. Auparavant, j’ai été cavalier de concours. J’avais des poulinières de selle jusque dans les années 2000. Mais progressivement, nous avons arrêté cette production pour passer dans le cheval de course. Uniquement parce que ce n’était pas rentable. La production est très, très longue. L’apogée de la carrière arrive à 9ans ou 10ans. Il faut faire vieillir les chevaux. Vous vous retrouvez avec un vrai stock de chevaux sur place avec les foals, les 2ans, 3ans, voire les 4ans. Il n’y a pas un vrai marché, il n’y a pas le PMU, pas de primes. Le seul moyen de pouvoir faire une économie, c’est la vente. C’est très compliqué. Nous avons eu l’opportunité de partir dans les chevaux de course ensuite. J’avais la chance d’avoir dans ma commune monsieur Lefranc, qui était notamment le naisseur de Dom Lyphard (Dom Pasquini). Je faisais tout l’élevage pour lui en plus de mes chevaux de sport. Les chevaux de monsieur Lefranc allait chez Yannick Fertillet et Yannick m’a proposé un jour une poulinière. C’est comme cela que nous avons débuté. C’est aussi lui qui m’a donné la possibilité d’acheter Crillon. Cela fait partie des rencontres qui ont été déterminantes pour notre évolution.
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