
18.05.2021
Waleed ben Zaied : « En tant qu'éleveur, l'essentiel est d'aimer vos chevaux pour ce qu'ils sont »
Présente en Europe, au Moyen-Orient et au Maghreb, l’écurie Qardabiyah a été sous le feu des projecteurs récemment à Bordeaux. En effet, Zafraan Qardabiyah a gagné lors de ses premiers pas. Originaire de Libye, son éleveur et propriétaire, Waleed ben Zaied, a répondu à nos questions.
JDG Arabians. – Avez-vous été surpris par les débuts victorieux de Zafraan Qardabiyah ?
Waleed ben Zaied – Je m'attendais à un bon résultat du cheval, car il a des moyens et son entraîneur l'a bien préparé. Jean de Mieulle l'a toujours aimé. Il pense qu'il sera encore meilleur sur plus long au vu de son pedigree, notamment maternel. J'ai acheté Ouahhaja (Hamza), sa deuxième mère, en Tunisie. Je l’ai ensuite revendue aux Émirats Arabes Unis : le cheikh Sultan cherchait un pur-sang arabe sans courant de sang français ou américain, afin de pouvoir répondre aux critères de l’Heritage Arabian Racing Club, qu’il avait créé. Un de ses produits, Marwa W'rsan (Maymoun W'rsan), a couru aux Émirats pour W'rsan Stables, sous l'entraînement de Jaci Wickham.
Zafraan Qardabiyah est le premier produit d’Intisar Qardabiyah. Pourquoi avoir choisi de la croiser avec l’étalon Majd Al Arab ?
C’est en effet le premier produit d’Intisar Qardabiyah (Akbar) à courir en France. Et même en Europe. Elle en avait eu un autre qui a été vendu aux Émirats. Majd Al Arab (Amer) avec une fille par Akbar (Djelfor), c’est un bon croisement. J’ai également utilisé l’étalon Mahabb (Tahar de Candelon) mais la semence n’était pas très bonne. Nous n’avons pas été très chanceux. C’est dommage car le croisement Mahabb sur Akbar est reconnu. Nous allons continuer à essayer de l’utiliser. Intisar va être saillie par Al Mamun Monlau (Munjiz).
Zafraan Qardabiyah est entraîné par un jeune entraîneur français, Jean de Mieulle. Pourquoi l’avez-vous choisi ?
Premièrement, il a été à bonne école avec son oncle, Alban, lequel un très bon entraîneur. Certains professionnels, avec de très gros effectifs, ne portent pas aux chevaux l’attention que j'attends d’eux. J'ai trouvé une bonne combinaison : un jeune entraîneur talentueux qui préfère la qualité à la quantité. Nous allons lui envoyer des chevaux et il fera sa sélection. De plus, Jean de Mieulle a jusqu'à présent un très bon bilan avec près de six gagnants pour 25 partants cette saison. Il prend soin des chevaux et supervise bien les opérations. Comme je vous l'ai dit, il préfère la qualité à la quantité, ce qui fait que les capacités des chevaux sont mieux exploitées. Il est vraiment dévoué à son travail et je pense qu'il a un certain potentiel. Il a une excellente piste qui ne gèle pas, à l'instar de certaines pistes anglaises. Il peut entraîner même par temps de grand froid. C'est un véritable atout. Étant basé en Normandie, son écurie n'est pas très loin de chez moi. C'est plus facile pour lui rendre visite.
Depuis quand l’écurie Qardabiyah est-elle en activité ?
Elle s'est développée en France en 2009-2010, avec l'installation de nos juments. Ce fut le début de notre projet. Les fondations de notre élevage sont basées sur des courants de sang tunisiens, dont certaines familles à l'origine de gagnants de Grs1 PA. Nous avons également une jument d’origine russe, Valuta Khan (Depozit). Elle a produit Lamet Shamel (Af Albahar) qui a débuté victorieusement l'an passé sur la piste de Mons. En février dernier, toujours à Mons, elle a fini deuxième de Mashhur Al Khalediah (Jalnar Al Khalidiah) qui est un cheval de Gr1 PA. Enfin, elle n’a trouvé que les mâles pour la battre dans le Prix de Carthage (Gr2 PA) à Toulouse. Nous courons en Suède, en France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Angleterre, avec quelques bons résultats.
Quels ont été vos meilleurs représentants ?
Je pense à Bachair Al Qardabiyah (Dormane), dauphine de Mahess du Soleil (Dahess) dans le Shadwell Arabian Derby (Gr1 PA) de Newmarket (2015). Son entraîneur s'est ensuite trompé en la faisant courir de manière trop rapprochée dans le Qatar Arabian Trophy des Juments (Gr1 PA), le week-end de l'Arc.
Sheimah Qardabiyah (Dahess) est issue d’une fille de notre étalon aux origines tunisiennes Chahata (Hosni). Elle gagné de belles courses dans trois pays différents : Suède, Belgique et Pays-Bas. C'est une de nos poulinières désormais et elle a eu un très beau poulain par Jaafer Asf (Amer). Nommé Dargees, il va bientôt partir à l'entraînement. Nous vendons également des foals aux Émirats, au Qatar et au Sultanat d'Oman. Beaucoup de nos produits sont vendus avant d'avoir couru. Dans notre première génération, une bonne partie a été vendue au cheikh Sultan, comme je vous l'ai dit auparavant. Nous avions également une très bonne jument qui s'appelle Turkia (Halim), une gagnante de Gr1 PA en Tunisie. Nous avons dû faire une sélection, car nous ne pouvions garder tous les chevaux. J'aime renouveler un peu et vendre les chevaux dont je pense qu'ils peuvent avoir de bons résultats pour leurs nouveaux propriétaires. Mais je ne vends que des chevaux sains. Si un cheval a un problème, je le garde à la maison et je lui trouve un autre débouché comme un cheval de compagnie.
Votre élevage se situe dans la Manche, au château du Bouillon. Pourquoi avoir choisi la France ?
J'ai choisi la France car j'aime la Normandie. J'ai d'abord aimé y venir en vacances mais c'est aussi un formidable environnement pour élever des chevaux. Traditionnellement, les élevages de chevaux arabes sont dans le sud de la France, mais c'est aussi lié à l'histoire et au transport. De même qu'aux échanges avec le Maghreb et la présence des Algériens, Tunisiens... Le climat et l'herbage normands sont idéals pour les chevaux. Et ce n'est pas très loin non plus de l'Angleterre. Enfin, les meilleures courses de pur-sang arabes sont en France. Bien sûr il y a des courses mieux dotées parfois au Moyen-Orient, mais les courses françaises sont uniques.
Combien avez-vous de juments et d’étalons sur place ?
Nous avons environ huit juments, six yearlings et quatre chevaux en préentraînement. Je ne garde pas vraiment d’étalons, seulement la semence congelée de sujets issus d'anciennes souches tunisiennes, comme Chahata (Hosni) et Cheikh El Arab (Dynamite III). Le premier est âgé d'environ 30ans et vit en Tunisie. Le second est mort. Je vends de la semence aux Émirats et en Tunisie car ces deux étalons sont deux très bons pères de mères. Ce sont deux des plus importants étalons en Tunisie. Cheikh El Arab a notamment produit la jument Harka, qui a donné plusieurs gagnants de Groupe PA, comme Ouassila Thabet (Akbar) qui a gagné les Hatta International Stakes (Gr1 PA), puis a couru pour feu le cheikh Hamdan. Mais aussi Nour Thabet (Dormane) qui remporta trois années d'affilée le Grand Prix de Sa Majesté le Roi Mohammed VI (Gr3 PA). C'est pourquoi je veux préserver la semence de ces deux étalons pour peut-être les croiser à nouveau avec des souches tunisiennes. Cela pourrait être intéressant au niveau génétique. J'ai déjà croisé Chahata avec une jument aux origines françaises. J'ai eu un bon résultat et j'ai une pouliche qui va aller à l'entraînement bientôt chez Jean de Mieulle. On verra ce qu'elle va donner.
Vous n’élevez que pour la course ?
J'élève également des chevaux arabes pour le show. J'ai deux lignées, dont des purs égyptiens, la lignée d'Al Amal AA (Halim Shah I). C'est une famille qui a produit des étalons très importants, utilisés notamment par les Haras nationaux polonais, une institution pourtant très conservatrice sur les courants de sang et leur conformité. J'ai fait l'acquisition d'une souche très recherchée avec Konouz El Farida (Saif Hafid). J'ai un beau poulain de cette jument, sa robe est entièrement noire. Il est vraiment très beau. Malheureusement, avec la Covid, beaucoup de concours ont été annulés.
Pourquoi avoir choisi le nom de Qardabiyah ?
Qardabiyah est une petite ville proche de Syrte, en Libye. C'est aux environs de cette ville qu'a eu lieu une bataille (avril 1915) entre Libyens et Italiens, durant l'occupation italienne. Ce fut la première fois que toutes les tribus libyennes se sont unies contre les Italiens. C’est tout un symbole et un joli nom pour l'écurie.
Quel est votre rapport personnel avec le pur-sang arabe ?
Le cheval arabe fait partie de ma vie depuis mes plus jeunes années. J'ai également pratiqué le saut d'obstacles dans mon pays. J'ai toujours eu une sorte de dévouement au cheval arabe, ce qui explique aussi pourquoi je l'ai beaucoup étudié, de manière académique. J'ai voulu connaître son histoire et son évolution à travers le temps, notamment son origine véritable. Il y a beaucoup de mystères concernant ce cheval, même encore aujourd'hui. Et personne n'a une réponse définitive à ce sujet.
En quoi le cheval arabe est-il si différent, notamment du pur-sang anglais ?
Le cheval arabe est plus robuste et plus difficile à entraîner. Par exemple, on dit des chevaux de modèles et d'allures qu’ils sont des chevaux arabes. Mais il n'y a aucune réelle preuve de cela. Leur modèle, leur très belle tête font plus penser à la Perse qu'à la péninsule arabique. Durant l'expansion de l'islam, du désert d'Arabie jusqu'à l'Espagne et jusqu’à leur dernière bataille en Europe à Poitiers, ce sont des chevaux de petite taille qui ont transporté des guerriers sur des kilomètres.
La filière du pur-sang anglais dit que les ancêtres sont Godolphin Arabian et deux autres étalons orientaux. Mais cela reste difficile à prouver. En fait, on se base surtout sur les grands courants de sang et lignées maternelles pour définir les différentes races de chevaux. Mais les preuves ne sont pas irréfutables, surtout avec tous les débats concernant certains nouveaux courants de sang qui ont fait leur apparition dans le monde du cheval arabe.
Certains chevaux sont bannis car on ne connaît pas leurs origines. Mais leurs petits-enfants sont autorisés à courir et à se reproduire. C'est comme si vous refusiez quelqu'un de votre famille mais pas ses enfants. Cela n'a pas de sens ! Soit on les accepte dès le départ, soit pas du tout. La politique et les sponsors entrent alors en scène. Tout le monde a un avis sur la question. C'est aussi le cas dans le monde du show où certains pays ne reconnaissent pas certains courants de sang, ou certains étalons. La pureté est quelque chose de subjectif, que personne ne peut prouver.
Que faire alors ?
L'essentiel en tant qu'éleveur est d'aimer vos chevaux pour ce qu'ils sont. À moins d'utiliser des tests génétiques, mais même avec cela, on ne peut remonter toutes les générations. Laissons l'art de la peinture, de la poésie, de l'histoire, nous raconter et nous dire ce qu'est le cheval arabe, comment il était et vivait. Et même durant la période de l'expansion islamique, les chevaux des guerriers arabes ont sans doute été croisés avec d'autres courants de sang, rencontrés au cours de leur avancée. Je pense au cheval barbe au Maghreb. Le cheval arabe était utilisé pour faire la guerre. C'était un peu le tank de notre époque. Les guerriers voulaient un beau cheval mais aussi solide et endurant. Cela a amené beaucoup d'Européens à importer des chevaux arabes, comme le roi allemand William Ier. Il a créé le haras de Marbach en 1817, près de Stuttgart. Je l'ai visité et beaucoup étudié. On y préserve certains courants de sang très spécifiques et introuvables ailleurs. Dont les descendants de chevaux arabes de l’époque du roi William, les Weil-Marbach. D'ailleurs, on trouve également des élevages de chevaux arabes en Pologne, en Hongrie, notamment l’arabe Shagya, qui a surtout été utilisé à des fins militaires. De même en France, Napoléon a fait appel des chevaux arabes pour sa cavalerie. Tout comme le roi William montait des pur-sang arabes venus de Syrie.
On sent que c’est un sujet qui vous passionne
Avec l'université de Leicester, nous avons essayé de faire des recherches sur les plus anciennes représentations picturales du cheval arabe. Mais également dans la littérature, dans la poésie, la religion… Afin de pouvoir se faire une idée la plus précise possible de ce cheval, de son origine. Vient-il plutôt du sol rugueux et sec du Sahara ? Ou des pâturages plus verts entre Syrie et Irak ? On ne peut affirmer que l'origine du cheval arabe se situe en Arabie. C'est un sujet très sensible.
C’est-à-dire ?
Imaginez l'impact que cela pourrait avoir sur la filière du pur-sang arabe, si un jour les principaux sponsors se retiraient ? D'ailleurs, ces généreux partenaires organisent leurs propres courses dans leurs pays. Et peut-être qu’un jour, ils arrêteront de sponsoriser ailleurs en vous disant : si vous voulez courir vos chevaux, venez le faire chez nous. Le problème est que les éleveurs ne cherchent pas à bâtir quelque chose de solide, qui pourrait leur permettre de survivre même sans sponsor. Et je crois que ce système ne va pas durer indéfiniment.
Quand le cheikh Sultan, qui avait créé le Harc est mort, personne n'a pris la relève.
La nouvelle génération, qui succède aux grands propriétaires, n'est pas forcément aussi dévouée à la cause du cheval. Elle a d'autres passions et hobbys. C'est vraiment quelque chose à laquelle il faut faire attention si on veut que notre sport survive.
Ce qui sauve le pur-sang anglais, c’est que l'on ne peut pas créer un Derby d'Epsom de toute pièce. Le prestige, la tradition, sont des choses ancrées en Europe. L'histoire s'écrit à ParisLongchamp. Avec les pur-sang arabes, c'est différent. Il n'y a pas ce passé enraciné, ces courses mythiques. Certains me disent que je suis fou d'élever des pur-sang arabes. C'est le même coût que pour un pur-sang anglais. Mais avec ce dernier vous pouvez gagner plus d'argent, surtout avec de bonnes familles.
Avec le pur-sang arabe, il semble néanmoins plus abordable d’élever un bon cheval ...
Acheter un champion, puis l'exploiter en tant qu'étalon n'est pas difficile. En élever un, l'est. Il faut de la chance, le pedigree, le modèle et enfin le cœur. Je parle de cela car j'ai acheté une jument tunisienne, Jedeliane (Samir), qui a produit Zahir (Darike), gagnant du Grand Prix du Président de la République (Gr1 PA local) et d'autres belles courses en Tunisie. J'ai eu un autre produit par Darike (Dormane) de cette même jument. Un client émirati me l'a acheté, pensant acquérir un champion comme son frère. En plus, ils se ressemblaient physiquement. Pourtant, le deuxième n'avait pas le cœur du premier et n'a pu réussir en piste. C'est finalement en endurance qu'il a trouvé sa voie et a réussi. Ce n'est pas facile de produire un champion. Et ce n'est pas quelque chose que l'on répète facilement. Il y a aussi des éleveurs avec peu de chevaux et d'autres avec beaucoup. Et pourtant, des haras avec 50-60 juments, continuent d'acheter ! Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas facile de produire des bons, même en reproduisant ce qui a déjà marché. Élever des chevaux ne peut pas être qu’un business. Il y a une blague à ce sujet. Deux personnes parlent et le premier dit : Tu veux devenir millionnaire ? L'autre répond : oui, bien sûr. Le premier réagit : commence en tant que milliardaire et les chevaux feront de toi un millionnaire.
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