Le propriétaire de la semaine  : Peter Savill; l’amour des courses françaises

International / 11.06.2021

Le propriétaire de la semaine : Peter Savill; l’amour des courses françaises

Le propriétaire de la semaine

L’amour et les atouts des courses françaises

Peter Savill a déjà eu des chevaux à l’entraînement en France dans le passé. Mais Dizzy Bizu est le premier depuis 2010...

Ayant été président du British Horseracing Board – l’ex-British Horseracing Authority – pourquoi soutenir les courses en France ?

J’ai toujours aimé les courses françaises. Avec ma famille, nous adorons aller à Deauville l’été. Même si nous sommes moins venus ces quatre ou cinq dernières années. Mais j’espère pouvoir y revenir bientôt et y trouver un petit appartement. J’aime jouer au golf, mon fils aussi, et nous descendions souvent à l’Hôtel du Golf. Mes filles aiment beaucoup la ville : Deauville fait partie de leur enfance. Et j’aime beaucoup aller aux courses à Deauville, aux ventes… J’espère pouvoir avoir encore plus de chevaux là-bas.

Vous aviez des chevaux à l’entraînement en France jusqu’au début des années 2010. Puis vous avez arrêté… Pourquoi revenir ?

J’en avais chez Criquette Head et chez John Hammond. Comme Izzy Bizu avait couru en France, je me suis dit que ses poulains pourraient bien se vendre chez Arqana. Évidemment, il y a aussi tous les avantages générés par les primes aux propriétaires et éleveurs en France. Et de bonnes allocations ! Dimanche, Dizzy Bizu a gagné 30.000 € dans la Listed. En comparaison, elle aurait probablement décroché 10 ou 12.000 £ net en Grande-Bretagne pour un succès similaire… Dizzy Bizu fait partie des premiers chevaux que j’élève en France. J’ai quatre ou cinq juments au haras du Logis Saint-Germain et, en tout, douze poulinières. Huit sont en Irlande.

Izzy Bizu était une 2ans rapide. Quel profil de poulinières avez-vous envoyé en France ?

J’ai fait le choix d’envoyer chez vous des juments soit de sprint, soit de tenue. Comme Moonrise Landing (Dalakhani), qui a gagné Listed sur 2.800m, ainsi que le All-Weather Marathon Championships à Lingfield. Je trouve que, chez vous, il y a moins de concurrence du côté des 2ans sur la première partie de saison. J’ai l’impression que vous leur donnez plus de temps et que l’on peut bien faire lors du tout début de saison avec un profil de précocité. Du côté des stayers, en général, ce n’est pas très fort non plus… Non pas que ce soit beaucoup mieux en Grande-Bretagne si vous enlevez un cheval comme Stradivarius (Sea the Stars). Mais je trouve qu’il y a des opportunités en France si vous avez des chevaux avec ces profils. Actuellement, j’en ai trois à l’entraînement en Grande-Bretagne, quatre en Irlande et Dizzy Bizu en France.

Pourquoi avoir choisi le haras du Logis Saint-Germain pour stationner vos poulinières ?

Cela m’a été recommandé par Adrian Pratt qui a lui aussi des chevaux avec Stéphane Wattel. Nous sommes tous les deux propriétaires de l’hippodrome de Plumpton, il a été membre du comité du British Horseracing Board pendant un moment et nous sommes amis depuis le début des années 90. Nous avions rejoint la Racehorse Owner Association [l’association des propriétaires britanniques, ndlr] au même moment. Adrian connaît bien les courses françaises !

Êtes-vous surpris de ne pas voir plus de propriétaires britanniques investir en France ?

Pour être honnête, cela m’arrange un peu cette année ! J’ai l’impression que Charlie Appleby a des difficultés avec toutes les nouvelles démarches administratives et cela est positif pour moi qu’il ne fasse pas le déplacement en France actuellement (rires) ! Plus sérieusement, je crois qu’un transfert est en train de se faire. Il faut regarder les chiffres. Le nombre de 2ans à l’entraînement en France a progressé de 12 %, me semble-t-il, cette année. Le nombre de 2ans à l’entraînement au Royaume-Uni a baissé de 15 % ! Cette année, je note une présence plus forte de Britanniques ayant des chevaux en France et je crois que cette tendance va s’accentuer.

Celtic Swing, le colosse aux jambes d’argile

Impossible de parler avec Peter Savill sans aborder le sujet de Celtic Swing. Il reste, à ce jour, le meilleur 2ans du monde aux ratings à égalité avec Arazi.

Comment en êtes-vous venu à acheter Celtic Swing ?

J’ai eu de la chance ! Un de mes amis m’a dit que Lady Herries avait un 2ans qui était à vendre et il m’a demandé si j’étais intéressé. Je lui ai dit pourquoi pas et que j’enverrais Kevin Darley, mon premier jockey à l’époque, tester le poulain… C’était un petit alezan par Rock City. Lady Herries a dit : « Je n’ai pas de 2ans qui peut vraiment aller avec lui. » Kevin Darley s’est mis en selle et allait partir faire le galop quand Lady Harries a changé d’avis : « J’ai en fait un grand poulain noir… Mais il n’a encore jamais été à la piste. » Elle sort alors ce 2ans de son box. C’était Celtic Swing. Il avait une présence incroyable. Lady Herries lui a mis une selle sur le dos et le poulain est parti à la piste avec le Rock City monté par Kevin. Et, à travers mes jumelles, j’ai pu constater qu’il avait quelque chose à part. Le Rock City avait du mal à le suivre ! Je voyais Celtic Swing et sa formidable action : « Baboum… Baboum… », alors qu’il n’avait encore jamais été sur une piste d’entraînement ! Quand Kevin est revenu, je lui ai demandé ce qu’il pensait de Rock City. Il m’a dit : « Je n’en pense pas grand-chose… Je ne sais pas qui est le poulain qui est venu à son extérieur mais si vous pouvez l’acheter, faites-le ! » J’ai demandé à Lady Herries si je pouvais l’acheter. Il appartenait à sa mère, Lavinia, Duchess of Norfolk, qui l’avait élevé. Elle m’a dit : « Peut-être qu’il pourrait être à vendre, ma mère a plus de 90 ans. »

L’affaire a ainsi été conclue ?

Non, Lady Herries est revenue me voir. Elle s’est excusée et m’a dit que l’estimation du prix de Celtic Swing était beaucoup trop basse. Mais elle m’a confié : « J’ai un autre poulain qui a une valeur estimée encore plus importante et si vous souhaitez acheter les deux, alors je ne me sentirais pas trop mal à l’idée de vous le vendre. » Je crois que Celtic Swing avait été estimé à 6.000 £ car il était vraiment tordu devant. J’ai donc acheté les deux poulains, payant beaucoup plus pour l’autre, mais cela ne m’importait pas. Le second poulain avait débuté à Sandown par une facile victoire. Le jour suivant, il est mort de colique… Il me restait Celtic Swing pour rentabiliser l’investissement. Il a débuté à Ayr, s’imposant par quatre longueurs et il y avait parmi les battus un poulain qui a ensuite pris la troisième place des Chesham Stakes (L). Tout était lancé. Ensuite, en octobre, à Ascot, il a laissé Singspiel (In the Wings) à huit longueurs, battant le record de la piste au passage. Puis le Racing Post Trophy (Gr1) [par douze longueurs, ndlr]

À 3ans, il a remporté les Greenham Stakes (Gr3) avant d’être battu du minimum par Pennekamp dans les 2.000 Guinées…

Nous sommes presque certains qu’il s’est fait mal dans les 2.000 Guinées. Vous pouvez voir, dans la descente, qu’il n’est pas à son aise. Il n’a plus jamais été le même après.

Mais il a tout de même gagné le Prix du Jockey Club !

Vincent O’Brien a dit qu’il avait gagné sur trois jambes ! Je vais parler de lui sur le sujet, pour montrer à quel point il était un entraîneur exceptionnel. Une semaine après le Jockey Club, je vois Vincent O’Brien à un dîner à York. Il me demande : « Avez-vous une vidéo du Jockey Club ? » Je lui dis que oui, il me répond : « Eh bien, regardez-la. Pas la course en elle-même, mais regardez votre poulain revenant aux balances… Vous allez voir qu’il est gêné à l’antérieur gauche, je suppose que cela vient du genou. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas. » Son œil de lynx avait repéré le problème. Nous avons passé la jambe aux rayons X. Rien. Celtic Swing a couru dans l’Irish Derby (Gr1), très mal. Alors, nous avons utilisé les ultrasons, et nous avons trouvé exactement le ligament qui, selon Vincent O’Brien, devait être abîmé. Nous sommes quasiment certains que cela vient des 2.000 Guinées.

À l’époque, le Jockey Club était sur 2.400m comme le Derby. Pourquoi Chantilly plutôt qu’Epsom avec un poulain qui était une telle star à 2ans ?

J’espère que l’équipe d’Epsom ne vous lit pas, même s’ils connaissent mon opinion (rires) ! Je déteste Epsom : c’est le pire hippodrome possible. Est-ce qu’il vous viendrait à l’idée de courir le 1.500m des Jeux olympiques en partant du haut d’une colline, autour d’une courbe, avec une descente pour finir finalement en montée ? Est-ce vraiment le meilleur test pour un athlète ? Cela ne me tentait vraiment pas. D’autant plus qu’ils n’avaient pas arrosé : c’était du béton. Les jambes de Celtic Swing n’auraient pas tenu… Pennekamp (Bering) s’est blessé dans ce Derby et je crois que deux ou trois chevaux en tout n’ont jamais recouru après. Pour Celtic Swing, cela aurait été la fin. La bonne décision était d’aller à Chantilly. Cela m’a valu la une du Racing Post ! Tony Morris a écrit : « Sad, mad, bad » à mon sujet car je ne l’ai pas couru à Epsom. J’ai donc plus tard nommé un cheval Sad Mad Bad (rires) !

Vous dites ne pas aimer Epsom. Le Derby a l’air en difficulté ces dernières années, avec des poulains qui ont du mal à répéter en piste et du mal à faire leur place au haras. Êtes-vous surpris ?

Je ne pense pas que cela soit dû à Epsom en lui-même. On voit des gagnants de 2.000 Guinées partir au haras avec des prix de saillie très importants dès leur première année, bien plus que des lauréats de Derby. Mais peut-être que les éleveurs et propriétaires cherchent une gratification plus rapide et se tournent vers des chevaux avec plus de vitesse… Avant que vous ne m’appeliez, je regardais les chiffres des audiences du Derby 2021. Ils sont très bas. Peut-être qu’il n’y a pas eu assez de promotion, peut-être que la course, sans star au départ, n’a pas intéressé les gens. Je ne suis pas persuadé que nous ayons assisté à un grand Derby en 2021, l’avenir nous le dira.

Au haras, cela a été un peu plus compliqué pour Celtic Swing. Pour quelles raisons ?

Il a donné deux excellents chevaux : Six Perfections et Takeover Target. Je crois que j’ai été vraiment trop honnête sur ses problèmes aux jambes… Beaucoup de gens disent : « Oh non, tout va bien pour le cheval, il prend du repos. » Et moi, je disais à tout le monde : « Il a des jambes terribles ! » Il a eu du mal à avoir des top juments, c’est peut-être de ma faute.

Retrouvez demain soir la deuxième partie de la grande interview de Peter Savill.