
International / 01.08.2021
L’histoire (secrète) de Suesa
Suesa, l’autre histoire
La nouvelle étoile du sprint européen a été façonnée par Carlos Laffon-Parias puis par François Rohaut. Mais ils sont nombreux à avoir compté dans son parcours. Et nous leur avons demandé "leur version" de l’histoire…
Par Adrien Cugnasse
Tom Cooke : « C’est le rêve d’une vie d’éleveur »
L’Irlandais Tom Cooke – Thomastown Farm – est l’éleveur de Suesa (Night of Thunder). Il a acheté sa mère, l’inédite Sally Is the Boss (Orpen), pour seulement 2.200 € en 2017 sur le ring de Goffs. Et c’est lui qui a choisi l’étalon Night of Thunder (Dubawi) proposé en deuxième année à 25.000 € chez Kildangan Stud. En novembre 2018 chez Goffs, l’éleveur a vendu la pouliche pour (seulement) 17.000 €.
« Sa mère Sally Is the Boss n’a pas coûté très cher. Je l’ai achetée un peu sur un coup de tête. J’étais aux ventes pour acheter une seule mère. Sur un coup de tête, j’en ai acheté quatre lors de la même session. Sally Is the Boss est une belle jument avec un papier intéressant, surtout la base de la souche. Elle est facile et calme, des qualités qu’elle a transmises à sa fille. La mère manque un peu de modèle et je pensais que Night of Thunder apporterait cela, sans être trop imposant non plus. Et puis, c’était un gagnant des 2.000 Guinées (Gr1). Forcément, j’étais un peu déçu du prix de vente de Suesa. Mais la mère n’avait rien coûté et le premier foal s’était bien vendu. Je m’en suis donc bien sorti. Aujourd’hui, je reçois beaucoup d’offres pour Sally Is the Boss, dont une que je ne pense pas pouvoir refuser. Elle est pleine de Ghaiyyath, un jeune sire issu du même croisement (Dubawi sur Galileo) que Night of Thunder. J’ai entre six et sept poulinières en permanence. Uniquement pour le plat car l’obstacle prend trop de temps. Avec les chevaux de plat, on sait dès l’âge de 2ans où l’on en est. À présent, je rêve de la voir gagner les Nunthorpe Stakes (Gr1). Et le jour de l’Arc, avec un peu de chance, je serai sur place ! Nous en parlons en tout cas.
Je n’ai jamais vu un cheval avec un tel changement de vitesse. Elle est le premier sprinter à sortir de mon élevage – car je vise plutôt les distances intermédiaires – et c’est bien sûr aussi de très loin le meilleur cheval que j’ai élevé. En faisant le croisement, je pensais sortir un miler. Suesa, c’est le rêve d’une vie d’éleveur. Et nous le vivons en famille. Nous préparons son yearling par The Last Lion (Choisir) pour les ventes de yearling. Il a hérité du mental de la famille… »
Patrik Olave : « Ça me fait quelque chose de voir qu’elle réussit chez celui qui m’a appris le métier »
L’entraîneur espagnol Patrik Olave n’a pas eu Suesa dans ses boxes. Mais il a joué un rôle dans son parcours.
« J’avais un ordre d’achat d’un de mes clients à l’écurie, qui est un propriétaire classique en Espagne [M. Aznar-Cuadra Bering, ndlr] et qui a toujours des chevaux chez M. Laffon-Parias. Il cherchait des chevaux et à ce moment-là, je n’avais pas la possibilité de voyager. De ce fait, j’ai contacté M. John McKeever que j’ai connu lorsque j’étais assistant chez M. Rohaut. Il était venu à l’écurie et nous nous étions bien entendus. M. Aznar fait toujours une sélection des pedigrees qui l’intéressent le plus et ensuite, il laisse travailler les professionnels. J’avais parlé avec M. McKeever et il avait aimé la pouliche. Elle nous plaisait, elle était bien faite, avec un bon physique. Nous avons eu une opportunité et nous avons eu la chance de l’avoir. M. Aznar aimait bien Night of Thunder : il avait envie d’acheter un de ses produits. Côté maternel, Suesa avait un frère, Valle Inclan, qui avait bien couru en Espagne. Ça avait joué pour son achat. M. McKeever a fait son travail et il l’a bien fait. Mais le fait qu’elle soit aussi peu chère, c’était une bonne surprise.
Suesa était foal à l’époque. Elle est restée en Irlande chez Joe Hernon, le père de Gavin, à l’élevage. Yearling, elle est venue en Normandie à l’écurie La Frênée. C’est là où les chevaux de M. Aznar étaient débourrés. Il avait six ou sept yearlings là-bas. M. Aznar a ensuite fait son choix : entre les chevaux qui restaient en France et ceux qui venaient en Espagne, chez moi. Il y avait plus d’intérêt à avoir un profil précoce chez M. Laffon-Parias. C’est vrai que Joe Hernon avait toujours parlé de Suesa en bien. Partout où elle est passée, tout le monde avait eu un bon feeling la concernant. Je me suis rendu à l’écurie La Frênée et j’ai vu tout le lot de chevaux de M. Aznar. Je lui avais dit que la plus précoce du lot pouvait être Suesa, tout en ayant une petite larme aux yeux car j’avais l’impression que c’était aussi la meilleure. Toutes les informations que nous avions eues concordaient là-dessus. Suesa est partie chez M. Laffon-Parias et les autres yearlings sont venus chez moi. Carlos Laffon-Parias a fait un superbe travail avec elle à 2ans tout comme François Rohaut par la suite. C’est vrai que ça me fait quelque chose de voir qu’elle réussit chez celui qui m’a appris le métier. Nous en avons discuté récemment et elle a vraiment fait quelque chose d’exceptionnel à Goodwood. Bravo à toute l’équipe ! »
Johnny McKeever : « J’ai acheté un futur cheval de course, pas une page de catalogue »
Le courtier a signé le bon à 17.000 € et choisi la pouliche lorsqu’elle était foal chez Goffs.
« En Irlande, il y a beaucoup de petits éleveurs. Et ils aiment vendre foal, sans avoir à attendre les ventes de yearlings. C’est dans ce contexte que j’ai déniché un cheval comme Vinnie Roe (Definite Article). Il a gagné le Prix Royal Oak et quatre fois le St Leger Irlandais (Gr1). Et il s’est classé deuxième de la Melbourne Cup (Gr1). Parfois, comme dans le cas de Suesa, il faut un peu de chance. Son prix peut s’expliquer par le fait que les gens sont venus à cette vente pour acheter des prospects à revendre yearling. Or à cette date, sa mère, une jument inédite en course, n’avait pas encore produit un gagnant ou un black type. Et à ce stade, Night of Thunder n’avait pas encore eu de partants. Dans ce contexte, à cet âge, une femelle avec un pedigree peu commercial a moins de valeur qu’un mâle. J’ai donc acheté un futur cheval de course, un physique, pas une page de catalogue. C’était un foal de taille moyenne, avec un modèle laissant entrevoir une certaine vitesse. Patrik Olave et son client croyaient en Night of Thunder. C’était un autre point en sa faveur. L’équipe de Castletown Stud où elle a grandi n’a ensuite cessé de répéter que c’était une super pouliche. De là à dire qu’elle serait aussi bonne, c’était difficile à dire, mais en tout cas les signaux étaient positifs. À Goodwood, elle nous a tous beaucoup impressionnés. C’est une machine. Je pense qu’elle peut gagner les Nunthorpe Stakes (Gr1) et peut-être devenir le meilleur sprinter de sa génération. C’est une irlandaise qui vit en France : elle fait donc plaisir aux deux pays ! Je suis très heureux pour François Rohaut, un vrai gentleman et aussi pour sa fille Marie que j’ai rencontrée alors qu’elle était élève du Godolphin Flying Start. Et c’est une belle récompense pour un grand propriétaire comme Georges Strawbridge. Un conte de fées pour l’ensemble de l’entourage. Elle est petite mais forte. Beaucoup de petites juments ont réussi sur le sprint, comme Lochsong (Song). Ce sont des pocket rocket ! »
James Wigan : « C’est une famille avec beaucoup de vitesse »
Racing manager de Georges Strawbridge, le courtier James Wigan a conseillé l’achat de Suesa après sa victoire dans le Prix Yacowlef (L).
« J’ai suivi ses courses l’année dernière. C’est une famille que je connais bien car j’ai fait des croisements pour des clients sur des juments de cette souche. Tout me plaisait en elle : le style de ses victoires, l’étalon et la lignée maternelle. Et puis, j’aimais bien le sang de Lure (Danzig). Enfin, le jour où elle ira au haras, elle aura la chance d’être relativement outcross. On devrait pouvoir la croiser facilement. J’ai appris que le propriétaire espagnol était vendeur et notre offre a été acceptée. Il y a beaucoup de vitesse dans cette souche, mais dans un premier temps je pensais qu’elle serait une pouliche pour le mile, notamment après sa victoire dans le souple. Après ses deux premières victoires de Groupe de l’année, nous savions qu’elle était toute bonne. Nous sommes allés à Ascot avec de grands espoirs. Mais la pluie était terrible et beaucoup de gens pensaient que les courses allaient être annulées. Suesa n’a pas pu se sortir d’une piste horrible. À titre personnel, j’ai des chevaux chez François Rohaut depuis longtemps. Il a notamment entraîné la bonne Mrs Lindsay (Theatrical). C’est une élève de Derry Meeting Farm où Georges Strawbridge a des juments en pension, étant voisin et ami avec les propriétaires. C’est ainsi que le lien s’est créé entre le propriétaire et l’entraîneur. Georges Strawbridge a déjà gagné le Prix de l’Abbaye de Longchamp (Gr1) en 1989 avec Silver Fling (The Minstrel). Et sur cette distance, Silver Fling et Suesa sont probablement les deux meilleurs chevaux qu’il a eus jusqu’à présent. Née en Irlande, Suesa est le meilleur sprinter français vu depuis un long moment. Le niveau de la compétition progresse réellement en France ces dernières années. »
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