
Magazine / 10.06.2022
Ces idées reçues (fausses) sur l’élevage Aga Khan
LE MAGAZINE
Ces idées reçues (fausses) sur l’élevage Aga Khan
Quand une casaque populaire connaît des hauts ou des bas, nous avons tous notre idée sur ce qu’il faudrait faire. Après le retour des "Aga", nous avons passé au crible plusieurs idées reçues courantes sur cet élevage.
Par Adrien Cugnasse
On entend aussi parfois dire que le manque de considération accordé aux souches Lagardère pénalise l’ensemble des Aga Khan Studs, avec l’idée qu’elles sont les plus performantes. Cela ne se vérifie pas. Les Lagardère – qu’elles soient d’origines américaines ou françaises – représentent 17 % des poulinières, les juments d’origines Boussac 27 %, et les descendantes de Mumtaz Mahal (la souche historique donc) 12,6 %. Si l’on prend les 100 dernières victoires de Stakes de la casaque, on trouve 55 gagnants différents. Et sans surprise, la répartition est finalement assez proche de celle que l’on trouve dans les origines de la jumenterie : 14,5 % des gagnants black types pour Mumtaz Mahal, 18 % pour les Lagardère et 29 % pour les Boussac. Il n’y a donc pas de surperformance flagrante des Lagardère.
Parmi les raisons murmurées pour le manque de performance récent, il y a le choix de garder beaucoup de juments de grandes lignées mais sans valeur sportive. Une hypothèse qui ne se vérifie pas non plus lorsqu’on y regarde de plus près. En 2021, les Aga Khan Studs avaient 84 poulinières black types (44 % du total). De même, 82 % de leurs mères ont gagné au moins une course. On est donc sur des standards plutôt élevés de ce point de vue.
Comme jouer au rugby à 14 contre 15
Ce que l’on peut dire, en revanche, c’est que la majorité des casaques qui ne comptent que sur leur élevage pour alimenter l’écurie de course doivent régulièrement faire face à des traversées du désert. L’élevage Wertheimer & Frère est celui qui dispose en France de la plus belle jumenterie et qui a certainement le plus gros budget pour les saillies. Mais lors de la première partie de saison, le Wertheimer le plus riche est un cheval acheté aux ventes (Pao Alto). Tout comme deux des trois meilleurs représentants d’Al Shaqab Racing. Si Goldolphin et Coolmore dominent autant, outre leurs moyens financiers supérieurs, c’est que leurs effectifs sont constitués à la fois de produits achetés aux ventes et de produits qu’ils élèvent eux-mêmes. Quand les élèves maison n’avancent pas, les achats compensent. Et inversement. Ne pouvoir compter que sur son propre élevage, comme dans le cas des Aga Khan Studs, c’est comme jouer au rugby à 14 contre 15 : il manque une partie de l’effectif. On peut gagner certains matchs. Mais sur le long terme, c’est quand même beaucoup plus difficile de remporter la coupe d’Europe ! Je me souviendrai toujours de la couverture d’août 2008 d’Owner and Breeder : « Interview exclusive de Lady O’Reilly, éleveur de 14 gagnants de Gr1 : "Mon conseil ? N’achetez pas votre propre haras." » Plus loin, Chryss Goulandrisy expliquait : « À une personne considérant le fait de se lancer dans l’élevage, je dirais : n’achetez pas un haras. C’est beaucoup plus facile de confier ce travail à quelqu’un d’autre. Et assurément, il vaut mieux aller quelque part où beaucoup de bons chevaux ont été élevés récemment. » Avec cet entretien accordé à Julian Muscat, Lady O’Reilly nous permet de mettre le doigt sur le fait que la qualité du personnel du haras, les questions liées à la terre… sont autant de facteurs difficiles à maîtriser, mais qui influent positivement ou négativement sur un élevage. Tout autant que la qualité des croisements ou des juments elles-mêmes.
Une première partie de saison solide
Gagner trois Stakes le même jour, c’est très difficile. Et c’est pourtant ce qu’a réalisé Son Altesse l’Aga Khan dimanche dernier à Chantilly. Pour retrouver pareille performance des "vert et rouge", il faut remonter à octobre 2009. Entre-temps, la casaque a connu des hauts et des bas.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les élèves du prince ont un taux de réussite peu commun depuis le début de la saison française : 21 % de gagnants par partants. Dans le top 200 des éleveurs, la moyenne est de 12 % et la médiane à 14 %. C’est donc tout sauf anodin. Et presque aucun élevage de taille importante n’est (en ce moment) capable d’atteindre une telle réussite statistique. Nous n’avons pas trouvé d’année, sur la dernière décennie, où les "Aga" ont connu une telle forme "au quotidien". L’inoubliable saison 2009, celle des 34 victoires black types et des 7 Grs1, est aussi celle où l’élevage avait terminé sur un 20,7 % de gagnants par partants en France. Quand une écurie est en forme, tout l’effectif est tiré vers le haut… De là à dire que les "Aga" vont faire aussi bien en 2022 qu’en 2009, il y a un pas qu’il ne serait pas raisonnable de franchir dès le mois de juin. Mais en tout cas, au-delà de la victoire classique de Vadeni (Churchill), les ingrédients sont là pour redonner des couleurs à la grande maison.
Au-delà des grandes victoires, le taux de victoires par partants est un indicateur précieux de la bonne santé d’une écurie ou d’un élevage. Pour les éleveurs du top 150 français en 2021, la moyenne était de 12 % et la médiane de 10 %. Pour un étalon, la moyenne était de 12,1 % et la médiane de 10,7 %. Chez les entraîneurs du top 150, la moyenne 2021 était de 13,2 % et la médiane de 10,8 %.
En 2022, les Aga Khan Studs n’ont pas seulement remporté un classique, ils ont aussi un taux de réussite élevé.
Les casaques qui font courir exclusivement leurs élèves, et qui n’achètent pas sur le marché, sont plus sujettes aux périodes de méforme.
La dictature du miracle
À titre de comparaison, 21 % de gagnants par partants, c’est quasiment aussi bien que l’ensemble de l’effectif d’André Fabre ces dernières saisons en France. Ou que celui d’Aidan O’Brien en Irlande sur les cinq dernières années ! Or l’effectif Fabre, composé des meilleurs éléments de plusieurs grands élevages, est un bon baromètre de ce que constitue un taux de réussite solide.
Produire beaucoup de gagnants et beaucoup de black types surtout, c’est très difficile. On a parfois tendance à se focaliser uniquement sur les Grs1, mais l’immense réussite d’un Galileo (Sadler’s Wells) par exemple, c’est aussi celle du sire qui avait le meilleur taux de black types par partants parmi les reproducteurs de l’ère contemporaine. L’un ne va pas sans l’autre sur le long terme.
Cela étant dit, sortir des lauréats de Gr1, encore plus de classiques, ce n’est pas planifiable. Il n’y a pas de recette magique en dehors de mettre plus de moyens que les autres (et encore cela ne fonctionne pas toujours). Par le passé, les acteurs et les observateurs de notre sport étaient plus patients.
Oui, mais voilà, aujourd’hui on exige des miracles. En permanence qui plus est. Prenons un exemple. Aidan O’Brien est le plus titré des entraîneurs de l’histoire du sport hippique européen. Ballydoyle est la plus efficace des fabriques à gagnants de Gr1 que l’on a connue. Mais, même chez la meilleure équipe, il est impossible de maintenir en permanence le même niveau de performance dans les grandes courses. Sa première partie de saison 2022 en atteste. Ballydoyle, du grand Vincent O’Brien jusqu’à son homonyme Aidan, a donc toujours connu des hauts et des bas. Avec bien sûr plus de hauts que de bas, d’où leur position de leaders. Mais comme toutes les grandes maisons… il faut les juger sur le long terme.
L’ascenseur émotionnel
En 2021, les chevaux des Aga Khan Studs ont remporté 15 Stakes. Même en l’absence de Gr1, cet exercice était déjà dans le tiers supérieur des deux décennies passées selon ce critère. Les saisons les plus difficiles furent vraisemblablement 2003, 2004 et 2018. En sachant que la grosse vingtaine de produits de Redoute’s Choice (Danehill) issus des Aga Khan Studs sont nés en 2014 et 2015. La non-réussite européenne de cet étalon n’est pas suffisante pour expliquer le passage à vide de l’écurie. Comme toujours, en pareille situation, tout le monde y va de son commentaire. Et trop souvent, c’est le règne de la pensée simplificatrice dans les travées de Longchamp ou de Deauville. Chacun a son idée. Mais en général plus elle est simple, plus elle fait son chemin ! Or, en cas de méforme ou de surperformance, au haras comme en course, il y a rarement une explication limpide. Alors que les Aga Khan Studs fêtent leur centenaire, il est d’ailleurs intéressant de jeter un œil sur les montagnes russes que constituent l’histoire et le palmarès de cette casaque. Parfois, on a une raison évidente, comme lorsque l’écurie avait fortement réduit son effectif au moment de la succession au tournant des années 1950 et 1960. Mais le plus souvent, il est tout simplement bien difficile de trouver un coupable, qu’il soit dans l’herbe, dans les croisements ou sur les chevaux aux petits matins… Surtout quand la méforme de l’écurie touche au même moment un effectif réparti chez plusieurs entraîneurs. Et c’est pareil lors des périodes euphoriques où les victoires s’enchaînent.
La France qui tousse
S’il y a un sujet qui alimente les conversations, c’est bien celui de la baisse de la compétitivité de la France au niveau européen. Par le passé, les grandes victoires françaises ont, il faut bien l’avouer, été en grande partie le fait de nos acteurs les plus importants. Et c’est logique, car il faut les reins solides pour s’asseoir à la table des grands sur le long terme. Or quand nos plus belles casaques ne sont pas en forme, comme ce fut le cas ces dernières années, c’est toute la France hippique qui tousse. Dès lors, si le retour en forme des Aga venait à se confirmer dans les semaines et mois à venir, cela constituerait une excellente nouvelle pour la filière française dans son ensemble…
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