Le mode d’emploi pour fabriquer <span class="highlightSearchResult">Lossiemouth</span>, meilleur sauteur anglo-irlandais de sa génération

Élevage / 09.12.2022

Le mode d’emploi pour fabriquer Lossiemouth, meilleur sauteur anglo-irlandais de sa génération

Élever des chevaux d'obstacle, c'est un peu comme gravir l'Everest. C'est long, mais une fois au sommet, qu'est-ce que c'est beau ! Les trois éleveurs de Lossiemouth, la favorite du Triumph Hurdle (Gr1), en savent quelque chose. Et ils nous ont expliqué comment la nouvelle pépite de Willie Mullins a été fabriquée…

Par Adrien Cugnasse (avec photo)

Pour continuer dans le thème de l'alpinisme, pour produire des sauteurs, il existe différentes routes d'ascension vers les sommets. Pour gravir l'Everest, on peut passer par les versants sud-ouest. Ou par le nord. Et bien, pour produire des chevaux d'obstacle, c'est un peu pareil. Vous pouvez partir avec des juments issues de familles bien connues à Auteuil, avec le modèle et les performances "qui vont bien". Mais elles sont très chères. Ou alors, vous pouvez aussi tenter le coup avec des femelles issues du plat, mais dont on peut penser qu'elles sont compatibles - de par leur modèle, leurs performances et leur pedigree - avec les "routes barrées". Nicolas et Cécile Madamet (élevage des Vallons) ont choisi cette deuxième option, souvent en association avec l'Ecossais Ian Kellitt. Mais, comme chacun le sait, en élevage, il n'y a pas de martingale. On a ainsi clairement vu cette année aux ventes que le recyclage de juments insuffisantes en plat pour la production de sauteurs est compliqué d'un point de vue commercial (et cela se vérifie en piste). La démarche des éleveurs de Lossiemouth est d'ailleurs différente. Et plus qualitative.

Des juments venues du plat, oui, mais pas n'importe lesquelles

Cécile Madamet explique : « Nous avons dans un premier temps lancé notre élevage avec des juments que mon mari avait entraînées et/ou qui avaient couru sous nos couleurs. Premièrement à Senonnes et à petite échelle. Et de manière plus importante depuis que nous avons déménagé dans une région d'élevage de bovins. Nous sommes partis avec des pouliches qui avaient souvent montré quelque chose en course, ou qui avaient déjà produit des chevaux avec un peu de classe. La mère de Lossiemouth avait d'ailleurs fait preuve de qualité en plat… » Nicolas Madamet réagit : « Des étalons intéressants pour produire des sauteurs, il n'y en a pas beaucoup. Et de plus en plus, ils ont eux-mêmes couru en obstacle. Or les courses vont de plus en plus vite. Avec des juments de plat bien choisies, on ramène de la classe. Il faut qu'elles aient un peu de modèle, un peu d'os aussi, avec de bons aplombs car l'obstacle, c'est quand même des efforts importants. Certaines souches européennes sont un peu passées de mode en plat mais elles sont intéressantes pour l'obstacle. » En décembre, les Madamet ont acheté une poulinière, toujours selon la formule qu'ils affectionnent. Melting Ice (Verglas) est déjà mère d'un sauteur mais aussi (et surtout) de Mozzarella (Power), troisième du Prix de Malleret (Gr2). Elle est pleine de Sea the Moon (Sea the Stars). Et le produit à naître pourrait donc convenir à toutes les disciplines. Surtout que la famille a produit des chevaux de Groupe dans les deux univers…

Cette saison, l'élevage Madamet est en forme avec également Gino des Dunes (König Turf), lauréat du Grand Steeple-Chase des Flandres. Sans oublier In Excess (Walzertakt), que Willie Mullins veut présenter dans le Future Champions Novice Hurdle (Gr1) le 27 décembre… So Scottish (Martaline) a gagné trois courses cette année et Emmet Mullins l'a récemment engagé dans un Gr1 (sans le présenter). Écoute en Tête (Ballingary) a remporté deux gros handicaps à Auteuil sous les couleurs de ses éleveurs et l'entraînement - comme souvent - de Yannick Fouin.

De propriétaires à éleveurs

A la fin des années 1990, La Pelode (Dress Parade) a débuté en plat sous les couleurs de Ian Kellitt et l'entraînement de Nicolas Madamet. Passée sur les obstacles, elle s'est notamment classée deuxième du Prix Tanerko à Auteuil. Au haras, elle a donné aux associés Tocca Ferro (April Night), lauréat de Listed, et Le Bec (Smadoun), gagnant à Cheltenham et placé de Gr2 à Sandown. Ian Kellitt réagit : « C'est La Pelode qui m'a fait découvrir l'élevage et, aujourd'hui, c'est vraiment ce qui me passionne. La motivation, c'est d'essayer de produire des chevaux de haut niveau ! Je suis associé sur une petite dizaine de juments et environ 25 chevaux de tous les âges. Nous essayons de vendre les mâles et d'exploiter les femelles. Pour moi, cela fait plus sens d'investir dans l'élevage en France. On a beaucoup plus de chances d'y arriver ici. Ne serait-ce que grâce au fait de courir dès l'âge de 3ans en obstacle. Et puis il y a les primes et les allocations. Enfin, le taux de réussite des "FR" outre-Manche est statistiquement hors norme. Surtout dans les bonnes courses. Les chevaux français sont plus précoces et souvent de meilleurs sauteurs. » Autre jument marquante, l'inédite Cousette (Polish Precedent) était une élève d'Étreham, nièce de Simon du Désert (Kaldoun) entre autres bons chevaux de plat. Pour les Madamet et Ian Kellitt, Cousette a produit Martalette (Martaline), qui est revenue chez ses éleveurs avec un Prix André Michel (Gr3) à son palmarès, et Cutting Edge (Kapgarde), dont la victoire dans le Prix d'Iéna (L) a été l'un des signes précurseurs de la réussite de Kapgarde (Garde Royale) au haras… Nicolas Madamet confie : « L'élevage, il faut avoir cela dans le sang… car cela demande beaucoup de temps. Surtout en obstacle. Il n'y a pas de "forts" dans ce métier. Par contre, il y a des gens avec de la chance et de la patience. Et des éleveurs qui soignent bien leurs chevaux au quotidien. » Les Madamet élèvent des "bêtes à cornes", mais pas celles auxquelles vous pensez forcément. En effet, ils ont acquis des embryons de wagyu aux Etats-Unis et, avec une soixantaine de têtes de bétail, ils sont parmi les plus importants éleveurs français de cette race ! La viande de ces bovins d'origine japonaise se négocie à prix d'or dans le commerce.

La mère n'a coûté que 8.000 €

L'histoire de Lossiemouth débute chez Arqana en octobre 2010. Ce jour-là, Nicolas Madamet a acheté (à l'amiable) une yearling après son passage sur le ring, auprès de ses amis, la famille Lepeudrix. Son père, Gentlewave (Monsun), était alors représenté par ses premiers 2ans et n'avait donc pas encore eu de partants en obstacle. Sa mère, Lady Glitters (Homme de Loi), placée de Listed sur 1.600m, avait fait des débuts très honnêtes au haras avec trois gagnants sur cinq produits en âge de courir. La deuxième mère avait sorti quatre black types en plat et un bon sauteur, Glamour Glitters (River Bay), deuxième du Prix de Maisons-Laffitte (Gr3). Nicolas Madamet a alors signé un chèque de seulement 8.000 € et, au regard de la suite, c'était bien peu de choses. Deuxième en débutant au mois d'octobre de ses 2ans à Fontainebleau, Mariner's Light (Gentlewave) courait sous les couleurs d'Alban de Mieulle et l'entraînement de Yannick Fouin. Dotée de tenue, elle a gagné en valeur 39 sur 2.500m à 3ans sur la piste d'Argentan. Direction le haras pour Nicolas et Cécile Madamet en association avec Ian Kellitt : « Cela fait presque 30 ans qu'il a des chevaux avec nous ! Il nomme la plupart de nos élèves communs… » L'Écossais a ainsi baptisé la pouliche en référence au port de Lossiemouth, tout au nord du Royaume-Uni, situé à une latitude supérieure à celle du Danemark ! Et il explique : « Je suis arrivé en France il y a longtemps déjà. Je voulais acheter un cheval et, par l'intermédiaire de Patrice Renaudin, je suis allé à la rencontre de Nicolas Madamet à Saint-Cloud. Ce jour-là, il avait signé un coup de deux. Je me suis dit que c'était un bon présage… C'est ainsi que l'aventure a commencé. »

Tout le monde aurait pu l'acheter

Le premier produit de Mariner's Light, Springcroft (Sinndar) a gagné quatre courses en neuf sorties sur les haies et en plat. La deuxième a couru une fois sans briller en Angleterre. Le troisième, Saltash Mariner (Doctor Dino) montrait de la qualité chez François Nicolle, mais un souffle au cœur a eu raison de sa carrière sportive. Entre-temps le frère de Mariner's Light, Lord Glitters (Whipper), a gagné deux Grs1 en plat - sur 1.600m et 1.800m - et ses performances apparaissaient au catalogue lors du passage en vente du quatrième produit de sa sœur. Mais ce ne fut pas suffisant pour convaincre les acheteurs. Et Lossiemouth a été rachetée (pour seulement) 14.000 € à la vente d'automne 2020. Et Ian Kellitt explique : « Pendant le Covid, le commerce et les ventes ont été perturbés. Nous avons failli vendre Lossiemouth pour 20.000 € à l'amiable. Heureusement, nous l'avons gardée… » Faute d'acheteur, Lossiemouth est donc partie chez l'homme de confiance de ses éleveurs, Yannick Fouin. Rapidement après son arrivée à l'entraînement, ce dernier leur a signalé qu'elle montrait des moyens peu communs. Nicolas Madamet se souvient qu'avant le Prix Géographie le Mansonnien lui avait confié n'avoir jamais entraîné une pouliche avec autant de qualité. A Auteuil, elle a gagné de 10 longueurs, décrochant sa JDG Jumping Star. Et Pierre Boulard l'a fait acheter à Rich Ricci, un client de Willie Mullins. Lossiemouth a confirmé en survolant son Gr3 le 4 décembre en Irlande et, depuis ce succès, elle est devenue le 3ans anglo-irlandais avec le meilleur rating. Willie Mullins connaît bien Great Pretender pour avoir entraîné la bonne Bénie des Dieux (Great Pretender). Un étalon que les Madamet ont utilisé dès la première année.

LE BETTING DU TRIUMPH HURDLE

Cheval Meilleur cote chez les bookmakers

Lossiemouth 3/1

Zarak the Brave 10/1

Cougar 11/1

St Donats 14/1

Beaucoup d'estime pour Great Pretender… et pour Gentlewave

Au sujet du croisement, Cécile Madamet explique : « Nous avions élevé le premier bon cheval de Great Pretender (King's Theatre), Ptit Zig (Prix Renaud du Vivier & Grande Course de Haies d'Auteuil, Grs1) pour le compte de Monsieur Vermand. Ce bon cheval avait une mère, Red Rym (Denham Red), particulièrement mauvaise. Et la grand-mère n'était pas meilleure. Lorsque notre client a voulu mettre Red Rym à l'élevage, nous avons essayé de l'en dissuader. Mais il voulait vraiment la faire saillir et nous a demandé de choisir l'étalon. C'est ainsi qu'est né Ptit Zig ! Pascal Noue du haras de la Hêtraie nous a ensuite fait un geste commercial et nous sommes retournés à l'étalon avec nos juments. La première tentative n'a pas été fructueuse. L'année suivante, nous avons essayé avec une autre poulinière… et c'est ainsi qu'a été conçue Lossiemouth. » Sa mère est donc par Gentlewave, qui pointe son nez en tant que père de mères (Paradiso, Messagere…). Désormais stationné en Angleterre, il n'a pas une réputation extraordinaire en France, faute d'avoir produit un cheval de premier plan sur les obstacles. L'année dernière, Hubert de Rochambeau, ancien enseignant-chercheur, nous avait proposé son classement des étalons d'obstacle selon un indice génétique qu'il a créé (VG AEI) à partir de la répartition des gains de la production de sires ayant eu 90 partants ou plus. Et Gentlewave faisait partie des surprises de son classement, que vous pouvez consulter en cliquant ici

https://www.jourdegalop.com/2021/06/un-classement-des-etalons-d-obstacle-cumulant-france-irlande-et-grande-bretagne

Du plat vers l'obstacle… et de l'obstacle vers le plat !

Nicolas Madamet a entraîné plusieurs futures poulinières significatives. Comme Ballyshannon (Rex Magna), prise en valeur 39 et lauréate à Ecommoy en plat, qui est devenue une jument importante pour les Devin sur les obstacles. Faire produire en obstacle une jument de plat comme elle n'est pas une chose totalement surprenante. Mais l'inverse l'est beaucoup plus. Pourtant, si l'on y regarde de plus près, les exemples ne manquent pas. Sea Bird (Dan Cupid) et Lyphard (Northern Dancer) avaient des deuxièmes mères lauréates sur les haies. Parcelle de Sou (Ajdayt) est un autre exemple. Élevée par les Madamet, comme son frère, le lauréat des Prix Edmond Barrachin et La Périchole (Grs3) Geluroni (Antarctique), elle s'était classée troisième du Prix Sagan (L à l'époque) à Auteuil. Au haras, Parcelle de Sou a donné à Jean-Pierre Dubois deux black types en obstacle, mais aussi Grace Lady (Muhtathir), troisième des Marettes et lauréate du Prix Corrida (Gr2) ! A son tour, Grace Lady a produit trois chevaux de Groupe en plat (Epic Hero, Making Moovies, Alhadab…).

Quand les éleveurs d'obstacle se laissent tenter par le plat

Les Madamet et Ian Kellitt ont beau dire que le plat, ce n'est pas pour eux, ils se sont quand même laissés tenter. En association avec Camille et Guillaume Vitse, un couple en pleine réussite depuis l'an dernier, Nicolas Madamet est ainsi le coéleveur du bon Axdavali (Goken), trois fois placé de Groupe sur le sprint… sous l'entraînement de Yann Barberot, un ancien apprenti de son éleveur ! Sa mère, Key Success (Kodiac), n'a coûté que 12.000 € et le père saillissait alors à 5.000 €. Axdavali n'a pas coûté plus cher à produire qu'un cheval d'obstacle ! En décembre chez Arqana, après avoir produit deux black types, Key Success a été revendue à la famille Cheboub. Toujours avec les Vitse, Ian Kellitt s'est associé sur Ever Sun Shine (Le Havre), acquise pour 80.000 Gns en décembre dernier à Newmarket. Son premier produit est un mâle par Hello Youmzain (Kodiac) et elle a été saillie par Victor Ludorum (Shamardal).