
Magazine / 20.01.2023
Maurice Zilber, un génie, une légende
Maurice Zilber, un génie, une légende
Peu d’entraîneurs ont autant marqué l’histoire de notre sport que Maurice Zilber. Son destin est digne d’un film hollywoodien. Et ce sont ses proches qui nous l’ont raconté dans deux épisodes de notre podcast. Pour les retrouver, cliquez ici https://www.jourdegalop.com/podcasts).
PARTIE 2 SUR 2
Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
to 1 : Christophe Lemaire, David Smaga (au 2e plan), Maurice Zilber et Claude Beniada
La politique de l’excellence
En septembre 2007, Maurice Zilber avait déclaré dans les colonnes de Jour de Galop : « Nos courses françaises s’appauvrissent dans la mesure où il y a trop d’opportunités pour les mauvais chevaux et plus assez pour promouvoir l’excellence. » Éric Puerari réagit : « On a un peu tué le métier en essayant de remplir des courses le jour et la nuit, avec des chevaux qui n’en peuvent plus, jusqu’à des âges avancés. Ce n’est pas cela l’essence des courses. Il faut revenir à quelque chose de plus sain, avec un cycle qui tourne mieux, qui favorise les jeunes chevaux et leurs propriétaires. Sans propriétaires français pour les jeunes chevaux, notre filière va stagner ou régresser. Le haras des Capucines a vendu cette année le tiers ou la moitié de ses yearlings directement à l’étranger. On a besoin de propriétaires qui prennent des risques, avec des jeunes chevaux, et pour cela, il faut des allocations plus attractives pour eux. Nous avons besoin de tout le monde, mais il faut savoir garder un noyau dur de propriétaires ambitieux. Or, ces derniers ne sont plus attirés par les courses françaises. La France des courses n’attire plus les Nelson Bunker Hunt de 2023. Il faut se demander pourquoi nous avons perdu cette niaque qui a été celle de Maurice Zilber, jusqu’au bout. »
Claude Beniada nous a dit : « Quand il entraînait en Égypte, Maurice Zilber allait gagner à Calcutta en Inde ! L’Égypte rassemblait des Italiens, des Grecs, des Français… Il parlait l’arabe, l’italien, l’anglais, le français. Il a toujours eu une vision internationale des courses, c’était naturel pour lui, pour valoriser ses chevaux, car les allocations internationales étaient plus importantes que celles du programme français. Mais aussi pour faire plaisir à ses clients. »
Zilber et sa cour
En septembre 2002, Maurice Zilber avait déclaré au Racing Post : « Je ne crains pas l’avenir car j’ai vécu comme un roi. Et si je dois disparaître, cela m’importe peu que ce soit comme un bohémien. »
Claude Beniada réagit : « C’était un grand charmeur, généreux. Les gens adoraient travailler pour lui. Il avait de telles qualités et une intelligence telle qu’il aurait pu être n’importe quoi et réussir n’importe où : musicien, chef d’entreprise, écrivain… C’était quelqu’un d’impressionnant, par sa personnalité, sa façon de parler, sa vivacité d’esprit. Il comprenait parfaitement les gens et était passionné par la transmission, en particulier envers David Smaga et moi-même : nous étions des enfants d’immigrés d’Égypte, comme lui. N’ayant pas d’enfant, cela lui tenait à cœur. Il savait ce que les journalistes voulaient entendre et il aimait le côté sensationnel. Mais je n’ai jamais connu quelqu’un d’aussi généreux que lui. Avec les parieurs, ses frères, ses amis, il était d’une prodigalité et d’une générosité incroyables. Il a gagné beaucoup d’argent mais en a aussi beaucoup dépensé, souvent pour faire plaisir aux gens. Très nombreux sont ceux qui peuvent dire qu’ils en ont bénéficié. »
Éric Puerari détaille : « Ayant connu pas mal de revers dans sa jeunesse, il avait une grande humanité et du respect pour son équipe. Il aimait former les jeunes et avait une sorte d’université autour de lui lorsqu’il traversait Les Aigles, avec facilement vingt ou vingt-cinq personnes à la suite. C’était une véritable migration. Tout cela était très théâtral, très amusant. Il piquait des coups de gueule, plus ou moins feints. Il plaisantait aussi. Avec une pensée à deux ou trois tiroirs et beaucoup d’autorité. Plus c’était agité, plus la panique était là… plus il s’y retrouvait ! Il pensait qu’il fallait tester les chevaux, les soumettre à un certain stress, pour qu’ils apprennent à vivre avec. Ce n’était pas un anxieux du moindre bruit. »
David Smaga explique : « J’étais dans le bureau avec lui. Une personne frappe à la porte et explique ses difficultés. Maurice Zilber lui donne l’équivalent de 1.500 € à fonds perdu. Le lendemain, une autre personne frappe et lui demande 100 €. Et il refuse, car il n’avait pas aimé sa manière de le regarder. »
oo 2 : Maurice Zilber, en 2002 (SD)
Des coups d’éclat à répétition
David Smaga se souvient : « Je voulais monter une agence de courtage. Alors que je devais partir en Irlande, il m’a proposé de venir en stage chez lui en me disant : "Chez moi, en deux mois, tu vas apprendre plus qu’en une année en Irlande." Le lendemain de mon arrivée, je savais que mon truc, c’était l’entraînement. J’ai habité chez lui et, au fil des jours, il est devenu mon second père. »
Au sujet de l’arrivée de Maurice Zilber en France à 40 ans, David Smaga poursuit : « Il se qualifiait lui-même de réfugié en pantoufle. Un jour à Deauville, avec ses frères, alors qu’ils étaient fauchés, ils ont gagné une grosse somme d’argent aux courses. Il a donc décidé de rester en France, alors qu’il voulait initialement partir aux États-Unis ! Après sa première victoire dans les King George VI and Queen Elizabeth Stakes, Maurice Zilber a dit à la reine d’Angleterre : "À l’année prochaine." Il fallait avoir un certain culot mais, effectivement, il l’a revue l’année d’après ! »
Toujours parmi les faits d’armes de son mentor, David Smaga se souvient : « Le doublé Derby d’Epsom (avec Empery) et Jockey Club (avec Youth) en 1976. Il était le seul à croire en Empery. La même année, il y avait aussi Exceller (Vaguely Noble), encore un cheval de Gr1, mais un poulain était au-dessus de ceux-là : Areonative (Raise a Native). Il a débuté à 2 pour 10 et s’est classé quatrième. Areonative a ensuite été présenté dans un Groupe. Encore quatrième. Puis, en Floride, pour ses débuts sur le gazon, il s’impose en battant le record de la piste. Mais Maurice Zilber le vend à ma grande surprise, car c’était notre meilleur cheval. Et il n’a plus jamais regagné… »
Un homme d’une grande générosité
David Smaga poursuit : « Son entraînement était basé sur la patience et l’observation. Mais c’est plus facile de l’être quand vous entraînez pour un client avec 50 chevaux : si 3 gagnent une bonne course, il ne vous demande pas où sont les 47 autres ! Les 10 dernières années de sa vie, Maurice Zilber venait tous les soirs à la maison et il buvait un whisky. Sans glace l’hiver, mais avec glace l’été ! Il a entraîné jusqu’à deux ou trois ans avant sa mort, à 90 ans. Quand j’ai commencé en tant qu’entraîneur, il m’a dit : "Prends la paille, le foin, l’avoine… Tu me rembourseras quand tu seras riche." Je n’ai jamais été riche ! Les histoires qu’il racontait pouvaient évoluer au fil du temps. Mais il y avait toujours un fond de vérité. Maurice Zilber me manque beaucoup… »
Jacky Thévenet, jockey du matin de Maurice Zilber, a déclaré dans les colonnes de Jour de Galop en 2008 : « Nous sommes le 21 novembre 1983 à Saint-Cloud et l’écurie Zilber court trois chevaux dans la dernière épreuve. Le favori de tous est Hidden Youth (Youth) qui, pour cette course, est monté par le grand Lester Piggott à la demande de Maurice. Ses deux autres chevaux sont Rake (Carwhite), monté par l’apprenti J. P. Marchand, et un quasi-inconnu, Mahlem (Empery), monté par Jean-Claude Desaint que Maurice avait rencontré à un mariage deux jours avant. Jean-Claude Desaint, en fin de carrière, ne montait presque plus, et il se plaignait auprès de Maurice de cette méforme. Maurice lui avait dit : "Tu monteras pour moi vendredi et tu gagneras." Le Prix Stratonice va donc s’élancer et Maurice me dit : "Jacky, ne crois pas les cotes, Hidden Youth a peu de chance aujourd’hui. Je sens que Mahlem va éclater et que Rake va bien courir. Dépêche-toi et joue le jumelé ainsi que Mahlem en jeu simple. Ce dernier était vraiment délaissé..." Je le croyais à peine. Il y eut quatre longueurs pour Mahlem, Rake a fini deuxième et le favori avec Lester Piggott quatrième ! Nous avons dû attendre longtemps car il n’y avait plus assez d’argent dans la caisse pour nous payer. Ce fut un coup exceptionnel, lié à la perception incroyable de Maurice, qui avait fait un bon tour à son ami Lester ! Je me souviendrai toute ma vie de sa science de la forme, de sa perception de l’animal. C’est le plus grand de tous ! »
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