Le magazine :  la compétitivité, c’est la responsabilité de tous (partie 3)

Courses / 01.02.2023

Le magazine : la compétitivité, c’est la responsabilité de tous (partie 3)

Les chevaux français ont beaucoup souffert dans les Groupes en plat l’année dernière. Comment expliquer cette situation ? (Partie 3)

Par Adrien Cugnasse (avec photo)

ac@jourdegalop.com

L’étude de la compétitivité est d’autant plus intéressante qu’elle fait partie des "jauges" qui permettent de prendre la température du système dans sa globalité. Le galop français a toujours vécu avec un géant pour voisin. À travers le monde, nous sommes certainement le seul grand pays de course qui doit composer avec la proximité immédiate d’une puissance hippique du niveau de la Grande-Bretagne. Sans oublier l’Irlande qui n’a aujourd’hui plus rien à voir avec le petit acteur qu’elle était il y a un demi-siècle. Jusqu’à présent, notre solution a été de proposer un équilibre différent des Anglo-Irlandais. Avec en particulier des allocations sans équivalent – dans notre région du monde – pour les courses "autres que black types". Nous avons compensé la moindre popularité du sport hippique dans notre pays en rendant l’élevage et le propriétariat plus accessibles. Si le système a tenu, c’est grâce à la présence conjointe des "petits" et des "gros". On ne peut se passer ni des uns, ni des autres. Et de la même manière, il serait totalement illusoire de penser que le galop français peut "vivre" sans l’argent du commerce, ou sans celui des étrangers, "petits" et "gros", qui élèvent et qui payent des pensions chez nous.

Le changement n’est pas une option

Mais cet équilibre est aujourd’hui fragilisé. En haut de la pyramide, nous gagnons moins de course de Groupe. Et nous peinons à trouver des sponsors pour nos belles épreuves : un certain nombre de nos Grs1 n’auront plus de soutien extérieur dès 2023. À l’autre bout du spectre, on constate une baisse significative du nombre de chevaux d’âge à l’entraînement, ceux sur qui reposent en bonne partie de la recette du pari mutuel et donc les allocations. Dans notre pays, en l’espace de 15 ans, nous sommes passés de 17 % de chevaux détenus (ou loués) tout ou partie par leurs entraîneurs… à 35 % ! Une situation intenable pour ces derniers sur le plan financier. Comme chacun le sait, l’immense majorité des chevaux courent à perte (encore plus si on tient compte de leur prix d’achat) et nous ne sommes qu’au début de ce phénomène. C’est une certitude : avoir des chevaux à l’entraînement est moins accessible qu’hier… et bien moins cher que demain ! À peu près tous les postes de dépenses augmentent inexorablement. Et comme pour tous les métiers en tension, les salaires du personnel d’écurie vont continuer à progresser. Ce qui va se répercuter sur les factures de pension, tout comme le fait que le client de 2023 est plus exigeant que par le passé en termes de service (et notamment de communication), ce qui a un coût. Pour en revenir aux salaires, en dix ans, selon l’Insee, le taux horaire du Smic a augmenté de 20 %. C’est un bon indicateur de l’évolution des coûts en France. Dans ce contexte, on voit difficilement comment le galop français pourrait augmenter suffisamment fortement et régulièrement ses allocations pour que plus de chevaux soient à l’équilibre sur le plan comptable. C’est Giuseppe Tomasi di Lampedusa qui a écrit la célèbre tirade : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Elle a été popularisée par le film de Luchino Visconti Le Guépard. Il dépeint la transition entre un ordre ancien et un nouvel ordre, où l'aristocratie cède le pas à la bourgeoisie, dans la Sicile du XIXe siècle. La comparaison est évidente avec notre microcosme : comme toutes les composantes de notre société, les courses évoluent ("tout change") pour continuer à exister ("rien ne change").

Devant nos yeux, l’avenir

Pas besoin d’être un grand visionnaire pour voir comment l’avenir se dessine côté propriétariat. Les bases de cette évolution sont déjà devant nos yeux. L’entraîneur propriétaire va disparaître car sa situation devient intenable sur le plan économique. Une perte d’autant plus dommageable que sa disparition entraînera aussi celle d’une partie des propriétaires ou associés qui l’accompagnaient. Tout le monde connaît ces personnes qui ont (aussi) des chevaux pour le lien amical qu’ils entretiennent avec une écurie. Les propriétaires petits et moyens, qui sont là pour le loisir, vont de plus en plus se tourner vers la syndication qui est la seule véritable manière de lutter face à l’augmentation des coûts. Enfin tout en haut du spectre, les grosses opérations vont tenter d’absorber une partie de leurs coûts en diversifiant leurs sources de profits : ventes de saillies, commerce de chevaux à l’entraînement, recherche de meilleures allocations à l’international… Comme elles le font actuellement en somme.nière professionnelle CREDIT Scoopdyga

Pour une industrialisation de la syndication

On entend souvent dire "avant de recruter de nouveaux propriétaires, commençons par retenir les existants". Et c’est totalement absurde. Bien sûr qu’il faut donner l’envie aux propriétaires de poursuivre leur activité. Mais quelle entreprise, quel secteur d’activité peut vivre aujourd’hui sans une prospection structurée et permanente ? On ne peut pas faire un copier-coller intégral du modèle anglo-saxon. Mais on peut piocher dans ce qui fonctionne. En découvrant l’Angleterre et l’Irlande des courses, ce qui m’a certainement le plus surpris, c’est l’échelle "industrielle" qu’a prise la syndication. C’est presqu’une "industrie" dans "l’industrie". Il y en a pour tous les goûts et pour tous les tarifs. Une partie de nos prospects français préférera toujours l’association avec un acteur expérimenté, ce qui constitue assurément le levier le plus puissant pour former de nouveaux propriétaires. La limite, c’est que lesdites associations ne permettent de recruter que dans l’entourage des gens du sérail : pour trouver un associé, il faut déjà le connaître ! Le travail de prospection des commerciaux de syndicats, comme ceux de Middleham Park Racing par exemple, est impressionnant. Il y a un public qui peut se laisser tenter par l’expérience du propriétariat, mais pour vraiment transformer l’essai, la présence d’un professionnel de la syndication – qui n’est ni un courtier, ni un entraîneur – fait vraiment la différence. Tant que la syndication reposera sur la bonne volonté de quelques âmes charitables (et bénévoles), elle ne fera que stagner dans notre pays. Pour passer à la vitesse supérieure, il faut se professionnaliser.

Les attentes ont changé

Nous, passionnés de courses, adorons les grands fauves, les Mathet, les Pollet, ces maîtres-entraîneurs que les clients n’osaient pas appeler au téléphone. Oui mais voilà, le monde a changé. Déjà, dans les années soixante, Vincent O'Brien avait compris qu’il fallait tenir au courant ses propriétaires, et au moins une fois par semaine, il écrivait un long courrier à ses clients américains. Depuis cette date, les exigences sont toujours plus élevées. La plupart des entraîneurs sont persuadés de bien communiquer. Mais c’est rarement l’avis de leurs clients. Sur ce point, les Anglo-Saxons ont dix longueurs d’avance sur nous, en partie grâce à la culture de la syndication. Récemment, au sujet d’un cheval français qui vient d’intégrer une écurie australienne, un racing manager me confiait : « J’en sais plus sur le cheval à l'autre bout du monde… que sur ceux qui sont à l’entraînement en France ! » Cela peut paraître idiot à dire, mais certains des principaux propriétaires anglais actuels ont commencé par une simple part dans un syndicat. Comme par exemple Graham Smith-Bernal, l’homme qui a racheté Newsells Park Stud. Il existe des formations pour devenir entraîneur. Pourquoi ne pas créer une session annuelle à destination des futurs créateurs de syndicats ? Pourquoi ne pas créer un référent syndication dans les services de France Galop ? En Grande-Bretagne, il existe une association des syndicats, qui est leur porte-parole auprès de l'Institution et des hippodromes.

Le terrain, ça paye

Tout le monde rêve d’augmenter le taux de pénétration des courses dans la population. Mais dans leur lente et douloureuse agonie, les médias généralistes ne seront que trop rarement nos alliés. La majorité des sports, en dehors du football, n’arrivent plus à s’y faire une place. Ou alors en cas de scandale… Si l’on devait faire le ratio euro investis/résultat en termes de conquête, assurément les actions de terrain sont plus efficaces. Prenons un exemple. Les rares courses de poneys et épreuves S.H.R. (l'ancêtre des courses Accaf) organisées ces dernières décennies en France, ont généré un nombre de vocations impressionnant. Que cela soit des lads, des jockeys, des propriétaires… Il faut les décupler et mieux les financer. Elles sont bien plus créatrices de vocations qu’un club intrinsèquement sélectif comme celui des Gentlemen et cavalières où le prosélytisme n’est pas inscrit dans les statuts. D’ailleurs, au sujet de la nécessité d’ouverture de cette institution, je me souviens un jour m’être entendu dire : « Le club, ce n’est pas une école d’équitation ! »

Mark Johnston, recordman du nombre de victoires en Grande-Bretagne, n'est pas un grand fan des sports équestres qu'il considère comme « le spectacle le plus ennuyeux de la création ». Mais il explique dans sa biographie : « J'aimerais que dans tous les centres équestres de Grande-Bretagne, l'on fasse la promotion des formations et des emplois dans la filière des courses. Nous avons besoin de plus de monde. Comme vous le savez, je n'aime pas les œuvres de bienfaisance [dans le cas où elles sont un prétexte pour remplacer l'impôt, ndlr]. Mais j'aimerais que la filière courses offre des leçons d'équitation à toute personne manifestant un intérêt pour notre univers. Quelque chose qui permette à ceux qui n'ont pas les moyens de découvrir ce qu'est un cheval… et les courses. » Au pays de la sélection, même un libéral comme Mark Johnston plaide pour que l'on élargisse la chapelle !

Pour une gestion autonome des hippodromes

Récemment, dans un sondage en ligne, nous vous avons posé la question suivante : « Quelles sont les mesures qui permettraient de relancer le propriétariat ? » Vous êtes 60,8 % à avoir plébiscité une réduction du taux de T.V.A. Comparativement avec les pays les plus forts en termes de propriétariat (Australie, Grande-Bretagne…), le galop français n'est pas connu pour la qualité de l'accueil sur ses champs de courses, en particulier pour ses propriétaires. Et vous êtes 52,8 % à vouloir plus de services sur les hippodromes. Ce résultat fait écho aux 61,4 % d’entre vous qui souhaitent que « chaque hippodrome soit géré indépendamment, pour être stimulé et intéressé à ses résultats. » Il y a des compétences où l’institution française est performante – la gestion du programme, du Code des courses, l’organisation des réunions et des pistes… – mais sur d’autres, la gestion centralisée a ses limites. Pour le réceptif, l’accueil des propriétaires, la recherche de sponsors de proximité, la communication vis-à-vis du public local, une autonomisation des hippodromes permettrait d’être plus d’efficace. Chantilly, Saint-Cloud, ParisLonchamp ou Deauville méritent un référent dédié et autonome dans chaque site. À l’image de ce qui se pratique sur les hippodromes britanniques. Comme l’expliquait récemment David Menuisier : « En Angleterre, les propriétaires, même sur un petit meeting, sont invités. Ils ne payent ni nourriture, ni boisson. Si le cheval gagne, ils ont un trophée, un cadeau, une photo, même pour la plus modeste des épreuves. Cela fait vraiment la différence. »

Pour un nouveau F.R.B.C..jpeg

La chasse au client de haut vol, c’est la mission des entraîneurs et des courtiers. Nous pourrons d’ailleurs compter combien de Français auront fait le déplacement dans les semaines à venir à Doha, à Riyad et ailleurs dans le golfe ! Le F.R.B.C. a réduit sa voilure. Même si c’est un investissement important, il faut le relancer. En le positionnant mieux au niveau de ses missions peut-être. Car l’exemple que nous offre l’équivalent irlandais est assez saisissant. Il compte neuf personnes, dont plusieurs profils de séniors – de types anciens directeurs de haras – et a une forte présence partout à travers le monde. Sa plus belle réussite récente a été relatée au mois de juillet dans les colonnes de The Irish Field. Dans l'entretien accordé à Ronan Groome, Michael Donohoe (BBA Irlande) explique : « J'ai pu rencontrer Zhang Yuesheng par l'intermédiaire de Michael O'Hagan et Caroline Kennedy, qui travaillaient tous les deux pour l'I.T.M. à l'époque et faisaient un excellent travail en Chine. Il s'agissait de monter dans l'avion pour aller trouver de nouveaux clients et de nouveaux marchés. Patrick Cooper et Declan Quarry, qui travaillent pour BBA, m'ont acheté des billets d'avion et m'ont donné carte blanche. J'ai beaucoup voyagé en Chine et c'est comme cela que j'ai rencontré monsieur Yuesheng. » Comme chacun a pu le constater, en 2022, Zhang Yuesheng s’est imposé comme le plus gros acheteur de la place européenne…

L’ensemble des éléments que nous venons d’évoquer correspond à des actions dont les fruits se récoltent à long terme. Assurément, si un gouvernement abroge les 35 heures (peu probable !), s’il revoit les taux de T.V.A. qui apparaissent sur les factures des propriétaires (nettement plus probable !) ou s’il facilite l’arrivée de travailleurs étrangers pour les secteurs en tension… Le gain en matière de compétitivité serait bien plus rapide. Mais comme chacun le sait, il n’y a pas d’évolution qui se fasse dans la facilité. Pourtant, aucune activité de loisir de notre société n’y échappe. Du cinéma au monde du livre, de l’événementiel à l’industrie musicale, chaque pan de ce secteur a dû faire sa mue pour continuer à exister.