L'édito – Présomption d'innocence : chiche ?

Autres informations / 11.06.2023

L'édito – Présomption d'innocence : chiche ?

L'édito de Mayeul Caire

mc@jourdegalop.com

Je souhaite apporter mon entier soutien aux associations de professionnels des courses, qui demandent à être des justiciables comme les autres (lire notre édition d’hier). Elles ont raison de monter au créneau car il n’est pas acceptable – pour elles comme pour tout citoyen – de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête dans un pays dont la devise est Liberté.

Elles demandent que la présomption d’innocence s’applique aux professionnels hippiques comme à n’importe quel Français. C’est tellement évident que cela ne devrait même pas être sujet à débat : tant que l’on n’est pas condamné, on devrait pouvoir continuer à vivre et à travailler. Exception faite, bien sûr, des personnes qui représentent un danger immédiat pour la société – à condition que ce danger soit fondé par un flagrant délit ou par la réunion de preuves parfaitement convaincantes : par exemple la multiplication de contrôles antidopage positifs, etc. Quand les preuves sont là, on comprend que l’on puisse agir sans attendre le jugement. C’est d’ailleurs pour cela que, dans beaucoup d’affaires criminelles, l’accusé est incarcéré avant son procès…

Je dis « chiche » à tous les acteurs des courses. Chiche pour une présomption d’innocence. La vraie. La seule. La légale. Une et indivisible car, en matière de présomption d’innocence, comme en matière de liberté, il ne peut y avoir ni de demi-mesure (sauf en cas de preuves accablantes évoquées plus haut) ni de cas particuliers (bis idem)… Si l’on veut que la présomption d’innocence soit appliquée, il faut qu’elle le soit à tous les professionnels des courses. Il faudra alors rendre leur licence à un entraîneur ou à un jockey actuellement suspendus si les preuves actuellement réunies contre eux ne sont pas accablantes.

En lisant ces lignes, vous pensez sans doute à certains entraîneurs du sud de la France et à un célèbre jockey cantilien. Dans leur cas, la présomption d’innocence n’a été évoquée par personne (ou presque). Je ne sais pas s’ils étaient membres d’une association de jockeys ou d’une association d’entraîneurs. Mais je n’ai pas le souvenir qu’ils aient été publiquement défendus par quiconque : corps constitué ou personne privée. La présomption d’innocence, dans leurs dossiers, n’a jamais été évoquée. Est-ce parce que les preuves étaient accablantes ? Dans certains cas peut-être, et dans d’autres cas peut-être pas…

Sommes-nous prêts à respecter la présomption d’innocence ?

Par ailleurs, si l’on veut une présomption d’innocence une et indivisible, il faut que tous les acteurs y soient prêts. Le sont-ils ? Et est-ce leur souhait ? À la lumière des cas déjà évoqués, je n’en suis pas certain. Souvenez-vous que, dans l’affaire concernant des entraîneurs du sud de la France, tout est parti des plaintes de plusieurs entraîneurs et/ou pré-entraîneurs et/ou propriétaires de leur région et d’autres régions, qui ont sollicité énergiquement France Galop et/ou ont dénoncé aux commissaires une chose vue sur un hippodrome. Leur objectif était d’obtenir la suspension de ceux qu’ils considéraient comme des dopeurs. Je ne porte pas de jugement sur ceux qui ont agi ainsi. Car je mesure et je comprends parfaitement l’exaspération (et les conséquences économiques) d’être battu par un cheval dopé quand, soi-même, on respecte les règles. Mais je fais simplement le constat qu’il est plus facile d’omettre la présomption d’innocence que de l’invoquer.

Le Code des courses, à la fois règle du jeu et règlement intérieur

Dans leur tribune, les associations professionnelles parlent du « ressenti inquiétant […] de voir nos entreprises exposées demain à des décisions hâtives, arbitraires et irréparables, hors de tout cadre judiciaire ». Regrettent-elles, à travers cette phrase, que la justice interne des courses prenne des décisions rapides et parfois radicales à leur rencontre ?

Cela m’amène à une dernière remarque, qui concerne le rôle des commissaires dans notre filière. Il est décisif, car aucun sport ne peut se passer d’arbitre. C’est pourquoi nous devons les respecter et même les remercier, car ils sacrifient leur temps libre bénévolement, par pure passion des courses (comme le disait très joliment une campagne de promotion de l’arbitrage au football : « On n’a pas le même maillot, mais on a la même passion ! »).

Mais il y a une différence entre siffler un penalty et décider de rétrograder un club professionnel dans la division inférieure (ou de fermer son stade pour plusieurs matches). Or, dans les courses, c’est le même corps (même si une distinction existe entre commissaire « tout court », commissaire de France Galop et commissaire d’appel) qui change l’arrivée d’une course et qui peut suspendre un entraîneur (qui est aussi un entrepreneur) ou un jockey (qui est un entrepreneur individuel) pour plusieurs mois, voire années. Vous conviendrez que la première et la seconde chose n’ont pas les mêmes conséquences. Cela pourrait être matière à réflexion au sein du corps des commissaires. Pourquoi ne pas s’inspirer de la justice, où, pour faire triompher le droit et la vérité dans une affaire d’importance, on peut mobiliser jusqu’à quatre forces séparées : avocat (défense de l’accusé), procureur (défense des intérêts du corps social dans son ensemble, donc à ce titre : « accusation de l’accusé »), jurés (représentant le peuple) et juges (à qui il revient à la fin de trancher). Quitte à réunir du monde autour de la « table », autant y placer des experts à la fois compétents et pertinents. Par exemple, si les juges de France Galop convoquent une expertise vétérinaire, il faut faire appel à un vétérinaire qui connaît parfaitement les courses de chevaux – et non à un vétérinaire chiens-chats ou veaux-vaches-cochons !

En attendant qu’elle évolue, nous devons respecter la justice « interne » des courses telle qu’est est aujourd’hui. Quand on entre dans la filière, on s’engage à respecter la loi de notre monde. Il est donc logique que les commissaires puissent sanctionner un acteur ne respectant pas le Code des courses, qui est à la fois une « règle du jeu » et un « règlement intérieur ».

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