ALAIN DE ROYER DUPRÉ : « IL PENSAIT LES CHEVAUX, IL LES CRÉAIT »
« Son Altesse l’Aga Khan était avant tout un propriétaire-éleveur. L’élevage avait pour lui une importance primordiale. Il ne se contentait pas d’avoir des chevaux : il les pensait, il les créait. Il avait une compréhension fine de ce que l’on recherche chez un cheval de course.
Il était capable d’analyser avec précision un galop le matin et d’apprécier parfaitement une course l’après-midi. Il avait appris au côté de François Mathet. Après les galops, nous avions souvent l’occasion d’échanger de manière plus détendue autour d’un petit-déjeuner, un moment privilégié pour discuter avec les jockeys, avec qui il était très proche.
Son sens de l’observation était très développé, que ce soit envers les chevaux ou envers les personnes. Un jour, il m’avait fait remarquer qu’un lad tenant un cheval avait mauvaise mine, signe de son attention constante à son entourage.
Un immense travailleur
Le prince Aga Khan était un homme très respectueux envers ceux qui travaillaient pour lui. Il était exigeant mais juste. Lorsque j’étais jeune entraîneur, et que j’ai pris la suite de François Mathet, il a fait tout son possible pour ne pas me mettre sous pression. Il comprenait l’importance de soutenir et de faire grandir ceux qui l’entouraient. C’était aussi le grand sportif qui parlait !
Son charisme était impressionnant. En plus d’être un immense travailleur, il avait des responsabilités bien au-delà du monde des chevaux.
Tirer les gens vers le haut
J’ai appris à ses côtés une chose essentielle : ne jamais prendre de décision sur une impulsion. Il voulait toujours disposer de toutes les informations avant de trancher.
Le prince a d’abord commencé par m’envoyer des chevaux quand j’étais installé en province, des chevaux de l’élevage Boussac pas assez bons pour briller à Paris. Je l’ai rencontré pour la première fois à Saint-Cloud. Comme il savait mettre les gens à l’aise, je ne me souviens pas d’avoir été paralysé devant lui ! C’était un véritable leader, capable de tirer les gens vers le haut et de les inciter à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Il voyait toujours loin et savait anticiper les événements, notamment lorsqu’il s’agissait d’établir un programme de courses pour un cheval.
Darshaan et le Jockey Club du siècle
L’un des moments les plus marquants de ma carrière fut la victoire de Darshaan dans le Prix du Jockey Club. J’arrivais tout juste de province et je gagne ce qui allait devenir le Jockey Club du siècle ! Je ne suis pas homme à m’enflammer lors d’une victoire. Lui non plus. Sur ce point-là et bien d’autres, nous étions bien accordés.
Son héritage dans l’élevage repose sur une sélection génétique rigoureuse. Ce soin dans la sélection fait que certaines familles, bien que mises en sommeil, finissent par révéler leur potentiel. Le Prince acceptait très bien qu’on lui dise qu’un cheval n’était pas à la hauteur, mais il aimait recevoir des explications détaillées. Il cherchait à quantifier la qualité des chevaux, avec toujours l’élevage et la sélection en toile de fond.
Son Altesse l’Aga Khan était un homme d’une rigueur remarquable. Il abordait les choses avec une approche claire et méthodique : un sujet à la fois, et toujours avec une analyse précise. Il a su transmettre sa passion à la princesse Zahra qui saura sans aucun doute assurer la pérennité de ce merveilleux élevage. »