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mercredi 26 mars 2025
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UNE PARTIE D’ÉCHECS GAGNÉE AVEC LA NATURE

Point de vue

UNE PARTIE D’ÉCHECS GAGNÉE AVEC LA NATURE

« C’est si excitant, un challenge perpétuel. À chaque fois que l’on s’assoit pour faire un croisement, c’est une partie d’échecs avec la nature. » Ce sont les mots de Son Altesse l’Aga Khan dans le superbe film interview réalisé en 2022 par Fanny Hubart-Salmon et Dimitrie Iordanesco pour célébrer le centenaire des Aga Khan Studs.

Franco Raimondi

fr@jourdegalop.com

Son Altesse l’Aga Khan a bien gagné sa partie d’échecs avec la nature… Et cette réflexion n’est pas le jugement d’un jeune passionné de courses qui avait décidé de devenir journaliste et qui, un jour, était tombé sur la célèbre publicité avec la casaque vert épaulettes rouges et le slogan Success Breeds Success dans un magazine anglais. Cette découverte fut similaire à un coup de foudre et je me suis retrouvé tel un tifosi associé à une écurie et un élevage magique. Je ne suis pas un juge impartial, bien au contraire. Les chevaux élevés en association entre Son Altesse et la Nature étaient aussi les miens, sans pourtant en posséder un crin de la queue… L’amour pour la casaque m’a poussé dans les études avec les interviews de Son Altesse, les soirées passés sur les Green Books avec les poulinières et les croisements. Blushing Groom (Red God) a été mon premier cheval de cÅ“ur de l’écurie, même s’il n’était pas un produit de son élevage, et sa défaite à Epsom une catastrophe attendue puisqu’il ne pouvait pas tenir 2.400m. Quatre ans plus tard, Shergar (Great Nephew) l’a vengé !

Les achats Dupré et Boussac

Pour un jeune journaliste, il était difficile de comprendre les deux grandes opérations sur le marché finalisées par Son Altesse entre le Derby de Blushing Groom et celui de Shergar. C’est en 1977 que le prince a acheté la totalité des 80 chevaux de l’élevage Dupré, dont Top Ville (High Top), yearling à l’époque, qui allait remporter le Prix du Jockey Club en 1979, pour un prix se situant autour des 11 millions de francs à l’époque. Un an plus tard, pour 41 millions de francs cette fois, Son Altesse a acquis les quelque 150 chevaux de l’élevage Boussac dont le lauréat du Jockey Club Acamas (Mill Reef) et surtout sa mère Licata (Abdos), qui était pleine de Labus (Busted). Le fruit de croisement n’est autre qu’Akiyda qui, en 1982, lui a offert son premier Prix de l’Arc de Triomphe.

La révolution d’un jeune éleveur

C’est grâce aux achats des opérations Dupré et Boussac que Son Altesse a réussi deux de ses objectifs : il a fait passer sa jumenterie de 75 à 160 poulinières et a su conserver en France le patrimoine génétique, fruit du travail de grands éleveurs. Le monde a évolué et, aujourd’hui, il est impossible d’imaginer un éleveur tête de liste se rendant acquéreur de toutes les juments de ses adversaires. Mais le grand pari gagné par Son Altesse, comme il nous avait confié dans une interview après l’Arc de Triomphe de Zarkava (Zamindar), était de redonner du souffle à des souches un peu épuisées par un élevage en circuit fermé. C’était une révolution à la fin des années 70 et Son Altesse était un jeune éleveur qui avait un peu plus de 40 ans.

Les règles de la sélection

Le travail de sélection de l’élevage Aga Khan a toujours été soumis à des règles très strictes qui sont à la base de sa réussite. Les juments jugées dignes de rester à la maison sont triées par leur réussite, avec des croisements qui ne se répètent presque jamais et donc testées sur leur production. Il est très rare de trouver des poulinières qui rencontrent à plusieurs reprises le même étalon. Un cas d’école est celui de Zarkava. Elle a eu huit étalons différents au cours de ses huit premières saisons. L’équilibre dans les coûts a fait de l’élevage Aga Khan le meilleur exemple d’un management correct et d’une opération en mesure de perdurer dans un sport qui est devenu de plus en plus difficile, tant sur le plan de la compétition que du commerce.

La grande opération Lagardère

Son Altesse a fait deux autres acquisitions de jumenteries. En 1987, il a obtenu les chevaux de l’élevage historique fondé par le major Holliday. Parmi ces juments se trouvait Hazy Idea (Hethersett), devenue la troisième mère du Derby winner Harzand (Sea the Stars). Encore plus fort et plus proche de nous : en 2005, l’achat de tous les chevaux et des haras (Ouilly et Val Henry) de Jean-Luc Lagardère. Une transaction gigantesque riche de 222 sujets dont l’étalon Linamix (Mendez), 62 poulinières, 74 chevaux à l’entraînement, 42 yearlings et 43 foals. Le risque était de faire imploser le projet mais, petit à petit, avec un sage travail de sélection, le nombre de poulinières a été réduit à quelque 200 juments pour arriver, d’après le dernier Green Book, à 160. Deux des quatre étalons qui stationnent au haras de Bonneval, la tête de liste Siyouni (Pivotal) et le classique Vadeni (Churchill) remontent à des poulinières Lagardère. Le jeune Erevann (Dubawi) vient d’une souche Boussac alors que celle de Zarak (Dubawi) remonte à l’achat en 1922 par le Aga Khan III de Mumtaz Mahal (The Tetrarch).

Un jour dans le rond de Longchamp…

En Irlande, à Gilltown Stud, stationne Sea the Stars (Cape Cross), qui nous offre une anecdote personnelle. C’était en 2009 et le crack de la famille Tsui venait de nous « faire plaisir » avec un succès extraordinaire dans le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1). Son Altesse avait au départ l’outsider Beheshtam (Peintre Célèbre) et au retour aux balances, il regardait le champion avec les yeux de l’amour. Les bruits d’un départ de Sea the Stars à Gilltown Stud circulaient depuis quelques semaines quand, sous un arbre dans le rond, le jeune journaliste italien devenu plus vieux s’est approché de lui et lui a dit quel magnifique cheval et quel futur grand étalon allait devenir Sea the Stars… Combien de poulinière souhaitez-vous lui envoyer ? Son Altesse, avec le sourire aux lèvres, a répondu : « Il est magnifique mais vous savez, notre philosophie d’élevage est de n’envoyer jamais plus de dix poulinières au même étalon. » Mais Altesse, c’est un crack… « Eh bien, une ou deux de plus sera sans doute possible. »

Et la partie continue

Tel était Son Altesse l’Aga Khan en mode sportsman, celui que toute la presse internationale a connu, lorsqu’à l’arrivée d’une course il débriefait en répondant à la question d’un Anglais dans sa langue avant d’aussitôt traduire pour les Français, voire parfois aussi pour les Italiens… Les courses et l’élevage ont perdu une figure qui a marqué plus de 60 ans d’histoire. Son Altesse nous a appris que c’est le sport qui est le plus beau au monde, bien plus qu’une activité commerciale, qu’une partie d’échecs avec la nature… pas contre la nature. Son Altesse l’Aga Khan a gagné et il a posé les bases pour un avenir qui sera encore marqué par ses visions, ses idées, son travail. La partie d’échecs se poursuit !

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