UNE VIE
Le texte qui suit a été publié pour la première fois sur www.hof1651.com, le site web du Hall of Fame des courses hippiques françaises.
Karim Al Hussaini naît le 13 décembre 1936 à Genève. Élève de l’Institut Le Rosey en Suisse, un établissement célèbre pour son élitisme, il poursuit ses études à Harvard, où il obtient un diplôme en histoire islamique en 1959. Son éducation, marquée par une immersion dans les cultures orientales et occidentales, le prépare à son futur rôle de leader mondial. Son grand-père, l’Aga Khan III, était un acteur important sur la scène internationale, notamment en tant que président de la Société des Nations. À sa mort en 1957, Karim est désigné comme l’Aga Khan IV. Il a 20 ans. « On n’attend pas d’un imam qu’il se retire de la vie quotidienne, déclare-t-il alors à Vanity Fair, dans une tentative de concilier ses activités avec ses responsabilités religieuses. Au contraire, on attend de lui qu’il protège sa communauté et contribue à sa qualité de vie. L’imamat ne divise pas le monde et la foi. » Son accession à cette éminente distinction marque le début d’une ère moderne pour la communauté ismaélienne, sous la direction d’un chef jeune, dynamique et visionnaire.
Un chef spirituel de 15 millions de fidèles
Désormais imam des Ismaéliens nizârites, un groupe minoritaire au sein de la communauté musulmane chiite, le 49e descendant du Prophète devient le chef spirituel d’environ 15 millions de fidèles à travers le monde. Gardien d’une orthodoxie détenue et transmise par la même famille depuis treize siècles et demi, il incarne alors un islam ouvert au dialogue. Reconnu pour son influence religieuse, culturelle et philanthropique, l’Aga Khan est également un homme d’affaires prospère, à la tête d’un empire qui est aussi l’un des réseaux de développement les plus efficaces de la planète. Fondée en 1967, sa fondation, AKF, œuvre dans les domaines de la santé, de l’éducation, du développement rural et de la culture, touchant des millions de vies dans des régions d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient. Engagé sur le sujet délicat de la décolonisation, il s’implique en faveur des nationalistes africains en leur offrant une tribune : le journal The Nation, fondé en 1958 à Nairobi à l’aide d’une presse d’imprimerie rapportée par ses soins. Et le sport dans tout ça ? Les courses, bien sûr, mais pas que, puisqu’il est aussi skieur olympique, représentant l’Iran aux J.O. d’Innsbruck en 1964 dans trois disciplines de ski alpin : la descente, le slalom et le slalom géant.
Des premières années difficiles
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’Aga Khan IV n’est pas immédiatement passionné de courses hippiques, tradition pourtant héritée de son grand-père. Lorsque son père décède prématurément, il avoue ne pas avoir su que faire de ce gigantesque élevage de chevaux, qu’il craint de ruiner par son ignorance dans ce domaine. Il rachète finalement les parts de ses frères et sœurs et expliquera plus tard : « Les premières années ont été difficiles, parce que je manquais de connaissances et que je courais après le temps, pour tout apprendre, les courses, les croisements, la gestion d’un haras, l’orientation de la carrière de mes chevaux. J’ai beaucoup appris en observant ce que faisaient des éleveurs comme les Strasburger, Rothschild, Widener, Dupré ou Boussac. »
Un précepteur nommé François Mathet
Cette passion ne va pas seulement perdurer, mais s’intensifier au fil des décennies. Sous sa direction, l’écurie familiale devient l’une des plus prestigieuses au monde. Il développe l’élevage avec une attention particulière portée à la qualité, au potentiel des chevaux, et son succès dans ce domaine est indéniable. Alain de Royer Dupré, qui a remporté 77 Grs1 pour la casaque princière, avoue « qu’entraîner pour un propriétaire éleveur est une grande chance. Avoir rencontré Son Altesse l’Aga Khan, qui allie son sens de la compétition à sa passion pour l’élevage, a fait de lui un entraîneur privilégié ». L’investissement personnel dans les courses hippiques représente avant tout un devoir, comme nous l’aurons compris, lorsque le flambeau lui est transmis en 1960. Cette transmission intervient dans un contexte où l’élevage et l’écurie connaissent de forts succès. En particulier la victoire de Petite Étoile dans la Coronation Cup en 1960. Son enseignement tardif en matière hippique se fera par l’intermédiaire d’un certain François Mathet, entraîneur de génie embauché en 1964 pour prendre la tête du centre d’entraînement d’Aiglemont à la suite d’Alec Head.
Du sang neuf pour l’élevage princier
Désormais reconnu pour son approche méticuleuse et scientifique de l’élevage de chevaux, Karim Aga Khan privilégie la qualité sur la quantité, sélectionnant soigneusement les lignées pour produire des chevaux dotés de vitesse, de résistance et d’intelligence. Cette philosophie lui permet de maintenir l’écurie à un niveau d’excellence inégalé. Le rachat des écuries Boussac, en 1978, et Lagardère, en 2005, apporte du sang neuf à l’élevage princier. L’Aga Khan ne voit pas ses résultats hippiques comme une consécration liée à une quête d’honneurs ou d’argent, mais comme la vitrine d’un élevage. Il déclare, dans une interview accordée à Paris Turf en 1999, « vouloir assurer la pérennité d’une tradition familiale, tout comme il assure la pérennité du culte ismaélien ».
La folle histoire du champion Shergar
Des chevaux comme Blushing Groom, Akiyda, Dalakhani, Sinndar ou encore l’invaincue Zarkava deviennent des légendes de leur sport, remportant de nombreux titres prestigieux, notamment plusieurs Prix de l’Arc de Triomphe, l’une des courses les plus convoitées au monde. Certainement la plus belle. Cinq victoires dans le mythique Derby d’Epsom figurent également au palmarès de l’écurie princière. Shergar, en particulier, est peut-être le cheval le plus célèbre de l’écurie. Pas seulement parce qu’il remporta le mythique Derby par dix longueurs en 1981, mais aussi parce qu’on se souvient de son enlèvement, deux ans plus tard, par des hommes masqués qui menacent son lad et prennent l’étalon. Les négociations pour la rançon ne trouvent pas d’issue et le cheval se blesse en détention. Un vétérinaire, débauché pour l’occasion, abrège ses souffrances.
Chantilly lui doit beaucoup
Au-delà du succès sur les champs de course de la casaque vert épaulettes rouges, héritée de ses aïeux, l’Aga Khan est un contributeur majeur à la préservation des races de chevaux et à l’amélioration des standards de l’élevage dans le monde entier. Il a investi dans des haras en France et en Irlande, devenus des centres de référence dans le domaine. Son influence s’étend également à l’organisation et à la promotion des courses hippiques. En tant que membre influent du monde des courses, il a joué un rôle clé dans l’évolution des règles et des pratiques du sport, notamment en matière de bien-être animal et d’éthique. Un sujet plus que jamais d’actualité. Chantilly, cité du cheval par excellence, lui doit également beaucoup. Après avoir sauvé l’hippodrome en 1994, il succède au duc d’Aumale en se portant acquéreur de l’usufruit du château tombé en décrépitude et dont le parc dessiné par Le Nôtre devenait une friche.
Un authentique homme d’affaires
En tant qu’homme d’affaires, l’Aga Khan est actif dans divers secteurs économiques, dont l’immobilier, les médias et l’hôtellerie, avec des investissements significatifs en Afrique et en Asie. Sa fortune personnelle, estimée à plusieurs milliards de dollars, est largement réinvestie dans les œuvres philanthropiques de sa fondation. Bien qu’il ne possède pas de territoire politique, Karim Aga Khan IV est reçu comme un chef d’État, célébrant ses jubilés d’or et d’argent avec la reine Elizabeth II. Peu de dirigeants sont parvenus à allier orient et occident, spirituel et matériel, avec une telle aisance. Son organisation emploie 80.000 personnes dans 30 pays. Ses trois enfants aînés travaillent à son développement. Chaque année, 140 millions de dollars sont investis dans le tiers-monde, deux millions et demi de personnes sont soignées par les programmes de santé et 50.000 écoliers sont scolarisés grâce à ces différents programmes. Son influence dans le monde des courses est indéniable et son héritage dans ce domaine est aussi durable que son impact sur la communauté ismaélienne et le développement mondial.