ACCIDENTS AU MANS : LE CRI D’ALARME D’ANASTASIA WATTEL
Plusieurs accidents ont jalonné la réunion en semi-nocturne du Mans, samedi. Entraîneur de l’un des chevaux qui n’ont pu être sauvés, Anastasia Wattel nous a envoyé ce texte, considérant que l’état de la piste n’était pas digne des standards requis pour accueillir une réunion de courses.
Anastasia Wattel : « Personne ne m’a écoutée »
« Quatre chevaux se sont accidentés samedi au Mans, trois ont perdu la vie dans des conditions absolument inacceptables. Plusieurs autres sont rentrés boiteux ou blessés. Et pourtant, malgré mes alertes, les commissaires ont refusé d’agir. Lors de la deuxième course, mon cheval Ionatos s’est fracturé en pleine piste. À ce moment-là , un autre cheval s’est également accidenté à quelques mètres, même fracture du genou. Deux morts en une seule course. Deux signaux d’alarme. Et aucun drapeau rouge.
Immédiatement, j’ai demandé à ce qu’une réunion ait lieu, que le terrain soit examiné de nouveau, et que les jockeys soient entendus. Plusieurs se plaignaient déjà de la piste. J’ai demandé que l’on se pose, que l’on réfléchisse, que l’on protège nos chevaux — les miens et ceux des autres.
La réponse donnée par Christophe Bohne, délégué des commissaires, a été brutale : «Notre piste est très bien. Si vous n’êtes pas contente, vous n’avez qu’à déclarer non partant.» C’est ce que j’ai fait. J’ai refusé de courir la troisième course, par conscience et par devoir, avec un sens de la responsabilité que les autorités du jour semblaient avoir totalement perdu.
Et les faits m’ont malheureusement donné raison : dans le courant de l’après-midi, deux autres chevaux se sont accidentés, au même endroit. Là encore, rien. Pas une remise en question. Aucun arrêt des courses. Aucun nouvel examen du terrain. Juste un silence pesant, un refus d’écouter. Les jockeys, eux aussi, sortaient incrédules.
Beaucoup d’autres chevaux sont rentrés boiteux, blessés, marqués par une piste que plusieurs professionnels ont jugée dangereuse. Et nous, entraîneurs, jockeys, lads, spectateurs, avons été les témoins impuissants d’un système qui ne sait plus écouter.
«On aurait pu éviter les autres accidents. Tu avais prévenu. Personne n’a écouté.»
Voilà les nombreux messages reçus au cours de l’après-midi. Je ne signe pas cette tribune par colère. Je la signe par nécessité. Pour que cette journée ne soit pas étouffée dans l’oubli. Pour que ceux qui ont la responsabilité de nos pistes assument enfin leurs actes. Pour que l’on cesse de traiter les professionnels avec dédain, surtout lorsqu’ils veulent protéger leurs chevaux.
Ce jour-là , ce n’est pas seulement la piste du Mans qui était dangereuse. C’est tout un système qui s’est effondré sous le poids de son aveuglement. Le public mérite des réponses. Les professionnels, du respect. Et les chevaux, la sécurité minimale que leur doivent ceux qui vivent d’eux.
Ce drame ne vient pas de nulle part. Depuis des semaines, les conditions climatiques sont difficiles : forte chaleur, absence de pluie. Or, l’entretien des pistes nécessite un savoir-faire et des moyens considérables. Les sociétés de courses de province font ce qu’elles peuvent, mais elles ne disposent ni des effectifs, ni du matériel, ni des budgets pour répondre aux exigences posées par France Galop.
France Galop impose des standards élevés – à juste titre – mais sans fournir les moyens adéquats aux petites structures pour les atteindre.
Le résultat ? Des pistes dangereuses, des chevaux en souffrance, et des professionnels qui doivent choisir entre leur conscience et leur carrière.
On l’a vu aussi le 1er mai à Saint-Cloud : les jockeys ont alerté sur la dangerosité du terrain dès la première course. Ce n’est qu’après la chute du jockey Stéphane Pasquier que le tracé a été modifié. Pourquoi faut-il toujours attendre qu’un accident arrive pour agir ?
Je signe cette tribune pour que les choses changent. Je demande qu’une enquête complète soit menée sur l’état de la piste du Mans ce 3 mai. Et j’appelle à une réflexion nationale sur le financement, la formation, et la responsabilité des instances dans la sécurité des hippodromes, en particulier ceux de province. Il ne s’agit pas d’accuser à l’aveugle, mais de remettre les faits au centre, et d’agir pour que le respect du cheval et du professionnel redevienne une priorité absolue. »
Christian Bazire : « Nous ne sommes pas restés les bras croisés »
Christian Bazire est le président de la Société des courses du Mans. Il a réagi : « La piste a été arrosée régulièrement, si bien qu’à midi, elle a été mesurée à 3,4. Je suis évidemment bien triste de ce qu’il s’est passé et je comprends l’émotion de Mme Wattel. Mais ne croyez pas que nous sommes restés les bras croisés. Nous avons demandé leur avis à deux jockeys d’expérience : ils nous ont dit que le problème ne venait pas de la piste. Si on nous avait demandé en masse d’annuler, nous l’aurions fait. Nous nous sommes réunis pendant et après la réunion, nous avons visionné les films des courses, et nous n’avons pas trouvé de réponse à nos questions. Pour nous, et pour Christophe Bohne, le représentant de France Galop présent sur place, la piste était bonne. »