Comment élever et acheter un gagnant de Grand Steeple… quand on n’a pas d’argent !
Superbe lauréat du Grand Steeple-Chase de Paris (Gr1), Diamond Carl n’a pas le plus grand des pedigrees. Pour autant, sa réussite, aussi faible soit son origine, n’est pas (totalement) le fruit du hasard. Depuis sa conception, il a en effet eu la chance de passer entre les mains de professionnels plus avisés qu’argentés… Nous leur avons donné la parole !
Partie 2/2 avec Noël Dubief et Christophe Dubourg, qui ont acheté et formé le cheval à 2ans.
Retrouvez dans notre édition d’hier François Doumen, Jean-Charles Aimet et Laurence Gagneux (éleveuse du cheval).
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
En compagnie de Stéphane Ruel et Christophe Dubourg, Noël Dubief achète régulièrement quelques poulains pour de petites sommes. Parmi leurs achats – toujours à petit prix – le trio a notamment déniché Edward d’Argent (Martaline), un très beau foal avec une locomotion exceptionnelle… mais une page blanche du côté maternel. Edward d’Argent a remporté les Prix Congress et Jean Stern (Grs2), avant de se classer troisième du Grand Steeple-Chase de Paris (Gr1). L’autre pépite, c’est bien sûr Diamond Carl. Noël Dubief se souvient : « C’est un beau 2ans. Bien dans sa tête. Il me plaisait et nous l’avons acheté sur ces deux critères. Son père, Diamond Boy, venait de partir en Irlande et il n’avait pas une grande notoriété. J’aimais bien la présence d’Akarad du côté maternel. Et la mère, Sa Carla (Satri), avait montré une certaine qualité, tout comme sa fille Sa Carlex (Saddex) qui avait gagné trois fois. Les juments qui ont un peu de gaz en course ont la capacité de transmettre cette qualité. Après Diamond Carl, nous avons acheté un autre produit de Sa Carla, Sarabend (Sommerabend). Elle est bonne et a gagné deux courses. Mais elle était un peu trop généreuse et s’est usée à l’entraînement. Nous allons la renvoyer à l’entraînement cet automne. »
Les juments qui ont un peu de gaz en course ont la capacité de transmettre cette qualité.
Pas grand mais bien fait
Vu sa page et son manque de taille, Diamond Carl ne pouvait pas intéresser les pinhookers irlandais. Il fallait donc être capable de prendre un risque sur ce 2ans à petit prix. Et Noël Dubief explique : « Diamond Carl n’était pas un grand poulain et au départ, il n’a pas vraiment été acheté pour faire du commerce. On achète surtout des chevaux pour se faire plaisir en gagnant des courses et si une opportunité commerciale se présente… on la saisit ! L’avantage de les acheter, c’est qu’on peut choisir. Quand on élève, il faut les prendre comme ils sont… Yearling, Diamond Carl a connu un petit problème. Mais ensuite, tout s’est bien passé. Le cheval est parti au pré-entraînement pour notre trio d’associés. Ce n’était pas un poulain précoce et nous avons pris notre temps avant de l’envoyer chez François Nicolle. Mais c’était un poulain froid qui faisait tout ce qu’on lui demandait sans jamais s’énerver. Très bien dans sa tête, il n’en faisait jamais trop. Une fois chez François, là encore, tout se passait bien. Il est finalement arrivé chez son entraîneur assez peu de temps avant d’aller aux courses. Il a débuté par une victoire à Compiègne avant de se classer deuxième du Prix Général de Saint-Didier (Gr3) en deuxième sortie. Auctav était sur la montante et nous l’avons donc vendu par leur intermédiaire à la famille Papot. »
Prendre son temps, c’est certainement la clé à une époque où, justement, on ne prend plus trop le temps.
L’inné et l’acquis
À la ville, Noël Dubief est le directeur d’Hamel Stud. Ses associés Stéphane Ruel et Christophe Dubourg sont respectivement maréchal-ferrant et entraîneur. Mais Christophe Dubourg fait aussi beaucoup de pré-entraînement sur sa propre structure dans le Maine-et-Loire. Son adresse pour façonner des sauteurs est d’ailleurs reconnue, comme Noël Dubief l’explique : « Nous avons de petits budgets. Alors lorsque nous nous rendons chez des éleveurs, comme Laurence Gagneux, nous regardons le plus souvent ce qui n’a pas été vendu quand tous les autres sont passés. C’est un bon élevage et nous sommes sur la même longueur d’onde. Pour affronter les exigences de l’obstacle, il est très important que les chevaux soient bien élevés. Mais aussi et surtout que les poulains soient pré-entraînés très longtemps en amont. L’acquis a toujours été important, mais cela l’est encore plus maintenant je pense. On a vraiment besoin d’avoir des chevaux mécanisés tout en étant en mesure d’être à leur écoute lorsqu’ils ne sont pas précoces. Prendre son temps, c’est certainement la clé à une époque où, justement, on ne prend plus trop le temps. Tout le monde veut des précoces. Mais ils ne le sont pas tous, loin de là . » La « tardiveté » et la précocité sont des concepts relatifs et Diamond Carl, justement, a tout de même couru deux fois à 3ans. Ce à quoi Noël Dubief répond : « Effectivement, mais il a débuté fin octobre. »
Les vertus de la patience
Christophe Dubourg a eu chez lui Diamond Carl pendant un an, jusqu’à ce qu’il parte chez François Nicolle à 3ans et demi. C’est-à -dire environ deux mois avant de débuter : « Sa sÅ“ur allait beaucoup plus vite que lui à 3ans, mais elle était tendue et n’a pas fait la même carrière. Diamond Carl était une peinture et il était archifacile, avec beaucoup de bonne volonté et de la facilité pour sauter. Je l’aimais bien. Mais on ne peut pas dire, à ce stade, qu’il montrait des capacités hors normes. Na Has (Saint des Saints) avait le même âge et était très au-dessus. Mais Diamond Carl était tout de même intéressant. Facile, il faisait tout ce qu’on lui demandait et n’a cessé de progresser… au point de devenir très bon avec le temps. Pendant un an, on a pris le temps de l’endurcir et de le fabriquer. Plutôt que de dire que le travail a été bien fait, je préfère dire qu’il n’a pas été mal fait. Ce n’est pas la même chose. On n’est pas des magiciens. On fait ce qu’on peut en écoutant les chevaux. C’est la pression qui pousse à mal faire. En début d’année, il y a 40 engagés dans les courses de 3ans. Combien en reste-t-il en fin d’année ? De mon point de vue, on n’écoute pas assez les chevaux. Diamond Carl étant à mes associés et moi, j’ai pu prendre le temps. Il a travaillé à 2ans avant de partir au pré pendant deux mois en avril puis de revenir à l’écurie. À 3ans, j’aimais bien Diamond Carl. Et c’est la raison pour laquelle il est parti chez François Nicolle. Tout comme nous avons envoyé Edward d’Argent chez Guillaume Macaire. Pour valoriser un poulain, c’est plus facile dans une « grosse boîte » que chez moi, car je n’ai que 15 chevaux à l’entraînement. Nous ne sommes que deux ou trois à cheval. Cela m’est arrivé de débuter victorieusement certains poulains. Mais il faut se rendre à l’évidence. Les grands entraîneurs sont meilleurs que moi. Car la force des grosses structures, c’est aussi l’équipe en place. S’imposer en cross, c’est assez facile. Mais faire gagner un 3ans sur les haies… cela l’est beaucoup moins. Même si j’ai déjà entraîné de bons chevaux, comme Donne le Change (Saddler Maker), chez moi Diamond Carl et Edward d’Argent n’auraient pas fait la même carrière ». Christophe Dubourg est notamment l’éleveur du champion Énergumène (Denham Red) qui est parti à l’étranger déjà débourré : « C’était un grand poulain, assez extraordinaire. D’où le fait que nous lui avions donné ce nom. Très beau cheval. Il sortait vraiment de l’ordinaire mais n’aurait jamais fait cette carrière s’il n’avait pas été exporté. Énergumène a couru en point-to-point à 4ans et n’a débuté en courses officielles qu’à 5ans. Si on lui avait mis la pression à 3ans, cela ne l’aurait jamais fait. »
Il faut se rendre à l’évidence. Les grands entraîneurs sont meilleurs. Car la force des grosses structures, c’est aussi l’équipe en place.