Disparition d’Henri Devin
La grande famille de l’élevage est en deuil, tout particulièrement dans l’Ouest de la France, suite à l’annonce de la disparition de l’éleveur et propriétaire Henri Devin, le dimanche 4 mai, à l’âge de 71 ans.
Continuateur d’une grande tradition d’élevage au haras du Mesnil dans la Sarthe, Henri Devin a travaillé durant des décennies avec son épouse Antonia. Très impliqué au quotidien dans l’activité du haras, le couple a atteint les plus hauts sommets de la compétition hippique, tant en plat que sur les obstacles. Une polyvalence rarissime chez les éleveurs-propriétaires de notre temps. On se souvient notamment des victoires de Terre à Terre (Kaldounévées), gagnante du Prix de l’Opéra et des Dubai Duty Free Stakes (Grs1), d’Ange Gabriel (Kaldounévées), lauréat du Hong Kong Vase et du Grand Prix de Saint-Cloud (Grs1), ou encore de Nonza (Zanzibari), gagnante du Prix Jean Romanet (Gr1). Trois chevaux qui ont fait carrière sous les couleurs de leur éleveur, tout en étant issus d’étalons du haras. Comme Henri Devin aimait à le dire : « Nous élevons pour la compétition, pas vraiment pour la vente. Nous ne sommes pas très commerciaux. » Et parfois, son épouse et lui ont osé emprunter des chemins que d’autres n’auraient pas pris, comme lorsqu’ils ont intégré Kaldounévées (Kaldoun), qui n’était que double lauréat de Gr3, au sein de leur cour d’étalons. La réussite de ce coup audacieux, avec Terre à Terre et Ange Gabriel parmi ses premières productions, incita les éleveurs extérieurs à s’intéresser à cet étalon. Y compris Godolphin, d’où la mère du gagnant classique Victor Ludorum (Shamardal). Pampabird (Pampapaul), lui aussi simple lauréat de Gr3, n’a jamais eu plus de 45 produits par génération. Mais cela ne l’avait pas empêché de donner un gagnant d’Arc avec Subotica, ainsi que le gagnant de Groupe à Auteuil et bon père de sauteurs Denham Red. Pour les Devin, il a aussi donné la mère de Tit for Tat (Saint Cyrien), lauréat du Prix Cambacérès (Gr1).
Homme de la terre, doté d’une grande culture hippique, Henri Devin a développé très tôt un véritable coup d’Å“il pour les chevaux. Ainsi, à l’âge de 16 ans, il repère Very Smart (Tanerko) dans les herbages du haras de Montaigu en compagnie de Guy Henrot. Cette Very Smart est ensuite devenue la fondatrice d’une grande souche, celle de Ladykish (Comte du Bourg), gagnante du Prix Maurice Gillois (Gr1), ou encore d’À Plus Tard (Kapgarde), lauréat de quatre Grs1 sur les obstacles, dont la Gold Cup (Gr1). Après la victoire dans la grande épreuve de Cheltenham, que seule une petite dizaine d’éleveurs français ont vécue depuis un siècle, Henri Devin nous avait confié : « J’ai eu des frissons pendant 30 minutes… Cela ne m’arrive jamais ! »
La différence entre un cheval de plat et un cheval d’obstacle est commercialement nette. Mais sportivement et généalogiquement, les choses sont souvent moins claires. D’ailleurs, Élisabeth Couturié avait expliqué il y a quelques décennies à Peter Willett : « Tous les chevaux du Mesnil sautent. À condition de leur demander. » Historiquement, même si les souches maison montraient de l’aptitude, l’élevage du haras du Mesnil n’était donc pas tourné vers l’obstacle. Mais c’est Henri et Antonia Devin qui ont pris le parti d’orienter une section de leur production vers cette spécialité avec la très grande réussite qu’on leur connaît. Ils ont ainsi été deuxièmes au palmarès des éleveurs français de sauteurs en 2023, mais aussi en 2021, et n’ont presque jamais quitté le top 10 depuis une quinzaine d’années. De manière concomitante, la casaque « blanche, losange noir, toque noire » a gagné une bonne trentaine de courses black types sur les obstacles depuis le milieu des années 2000 en France.
Cette évolution fut bien accompagnée par la réussite de plusieurs étalons, tout particulièrement Turgeon (Caro) et Doctor Dino (Muhtathir), en tant que pères de sauteurs. Doctor Dino, actuellement tête de liste dans notre pays, est devenu le leader de l’élevage commercial français sur les obstacles, atteignant un tarif de 24.000 € jamais connu avant lui pour un père de sauteurs. Une véritable réussite pour Henri Devin et son épouse qui ont été ses principaux soutiens lors de ses débuts au haras. En lançant de A à Z des étalons, ce dont ils s’étaient fait une spécialité, les Devin ont ainsi élevé les bons Shannon Rock (Turgeon), gagnant du Prix La Haye Jousselin (Gr1) et quatre fois deuxième du Grand Steeple-Chase de Paris (Gr1), ou encore Turgot (Turgeon), lauréat des Prix Ferdinand Dufaure et La Haye Jousselin (Grs1). Les filles de Turgeon ont été des poulinières exceptionnelles un peu partout en France, et parmi les nombreux bons chevaux qu’elles ont produits pour les époux Devin, il faut bien sûr citer Politologue (Poliglote), quadruple lauréat de Gr1, dont le Queen Mother Champion Chase et deux fois le Tingle Creek Chase (Grs1).
Henri Devin possédait une vision à long terme en matière de croisements. Et c’est ainsi que Doctor Dino a très bien croisé avec les filles ou petites-filles de Turgeon (Docteur de Ballon, La Bague au Roi…). Mais aussi avec celles de Kaldounévées, d’où Golden Legend (La Coupe de Maisons-Laffitte & Prix Bertrand de Tarragon, Grs3), Villa Rosa (La Coupe de Maisons-Laffitte, Gr3), Rose Jaipur (Prix Mélisande, L), Style Icon (Prix Charles Laffitte, L), Physiocrate (deuxième du Prix de Diane, Gr1)… soit cinq pouliches entraînées par Henri-François Devin, fils d’Henri et Antonia, dont la carrière d’entraîneur faisait la fierté de ses parents. Un des grands moments de l’odyssée hippique familiale fut bien sûr la victoire de Gr1 de Nonza à Deauville, sous l’entraînement de Henri-François Devin, élevée par ses parents qui en étaient propriétaires, à partir d’une origine totalement Mesnil sur trois générations et d’un étalon « maison ». Les époux Devin ont aussi transmis leur passion des courses et de l’élevage à leurs filles, Victoria et Sophie, cette dernière étant à la tête d’Ardoon Stud, le haras irlandais de la famille d’Antonia Devin. Très proche de ses quatre enfants et de ses petits-enfants, Henri Devin restera comme l’un des grands éleveurs français de ces dernières décennies, les étalons du Mesnil ayant par ailleurs contribué à la réussite de nombreux éleveurs petits et grands de notre pays.
À son épouse, à ses enfants et à l’ensemble de ses proches, la rédaction de Jour de Galop adresse ses plus sincères condoléances.