1976, le jour où Zilber a créé l’exploit à Epsom
L’année 1976 a été extraordinaire pour la France hippique, avec six classiques anglo-irlandais tombés dans l’escarcelle de chevaux entraînés à Chantilly ! Le Derby d’Irlande 1976 a en effet été remporté par Malacate (Lucky Debonair) pour Maria Félix Berger et sous l’entraînement de François Boutin, lequel avait remis le couvert en Irlande grâce à Lagunette (Val de Loir) dans les 1.000 Guinées (Gr1) pour Marius Berghgracht. Les Oaks étaient revenues à l’extraordinaire Pawneese (Carvin), entraînée par Angel Penna pour Daniel Wildenstein. Le même duo avait réalisé une véritable moisson anglaise avec les 1.000 Guinées de Flying Water (Habitat) et le St Leger de Crow (Exbury). Enfin, le Derby fut remporté par Empery (Vaguely Noble), sous les couleurs de Nelson Bunker Hunt et l’entraînement de Maurice Zilber. Cette victoire à Epsom fut tout à fait retentissante, dans le sens où la flamboyance de Zilber était alors à son sommet historique, face à des Anglais totalement débordés par l’invasion française. Une victoire extraordinaire, avec un cheval qui ne l’était pas !
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Le bon de l’écurie… ce n’était pas lui
Cela peut paraître un peu osé de dire d’un lauréat de Derby qu’il n’était pas extraordinaire. Mais tout de même, Empery n’a gagné que deux courses dans sa vie : son maiden en débutant et le classique d’Epsom. Le poulain a été battu lors des six autres sorties de sa carrière ! Maurice Zilber, au zénith de sa carrière, avait signé en 1976 un doublé très difficile : Derby à Epsom avec Empery et Jockey Club à Chantilly avec Youth (Ack Ack) qui fut, lui, par contre, un vrai cheval de premier plan… Le Cantilien, grand spécialiste du papier, avait bien compris que la génération des 3ans anglo-irlandais était faible sur la distance. De même, il avait pressenti que beaucoup, comme le grand favori Wollow (Wolver Hollow), ne tiendraient pas 2.400m… et l’histoire lui donna raison car le poulain de Sir Henry Cecil n’a jamais gagné un Groupe au-delà de 2.000m. Il y avait donc un coup à tenter du côté d’Epsom et Zilber ne s’en est pas privé. À ce sujet, il expliquait en 2000 : « Avant le Derby, Henry Cecil était très nerveux. Je lui demande pourquoi. Et il me répond : « Si vous aviez le favori, vous le seriez tout autant que moi. » Ce à quoi j’ai répondu : « Ne vous inquiétez pas… car c’est mon cheval qui va gagner le Derby. » Cela ne lui a pas franchement fait plaisir. Mais c’était pourtant vrai. Son pensionnaire ne tenait pas la distance. Et je savais qu’Empery allait gagner. J’avais commencé à le jouer dès le mois de mars. » Alain Lequeux, un de ses proches, a plus tard confirmé qu’il avait joué le cheval à 55/1 avec Zilber. Selon la presse anglaise, Zilber aurait pris 300.000 £ aux bookmakers avec ce coup. Claude Beniada se souvient : « Maurice était un personnage flamboyant. L’exploit, c’était bien sûr de remporter le Derby d’Epsom et le Prix du Jockey Club la même année, mais c’était aussi de l’avoir annoncé en amont ! Parfois, cela fonctionnait. D’autres fois, non. Il a très bien mené son histoire : l’opposition anglaise n’était pas de toute première qualité et Empery n’était pas un cheval de premier plan. Youth était bien meilleur : un crack. Et il s’était baladé dans le Jockey Club… »
Avec Lester, c’est plus facile
En 1975, l’année d’avant donc, Maurice Zilber avait déjà tenté un coup terrible en présentant une pouliche, Nobiliary (Vaguely Noble), face aux mâles dans le Derby. Elle ne fut battue que par un poulain de la trempe de Grundy (Great Nephew). Nous n’étions pas passés loin de l’exploit et Zilber dira plus tard à la presse française : « Yves Saint-Martin dut admettre que, s’il avait connu la pouliche, il aurait gagné. » Le Cantilien a donc retenu la leçon et l’année suivante, il a mis en selle un jockey anglais. Et pas n’importe lequel, le plus grand de tous. J’ai nommé Lester Piggott, qui, 30 ans plus tard, avait déclaré dans les colonnes du Racing Post : « Maurice était un entraîneur exceptionnel, mais un peu excentrique. Il était imprévisible. Vous n’étiez jamais certain de monter pour lui avant de lui donner la jambe pour sauter en selle. Et encore, il fallait bien vérifier que quelqu’un n’était pas déjà à cheval ! La qualité des chevaux qu’il a entraînés pour Nelson Bunker Hunt était incroyable. J’ai eu la chance d’en monter certains… »
La course
Monté un peu en retrait par Gianfranco Dettori – qui découvrait Epsom directement dans le classique ! –, le favori Wollow semblait en mesure de jouer la victoire à l’entrée de la ligne droite. Mais au lieu de produire son effort, il est resté là … et a terminé cinquième. La course fut animée par le FR (entraîné en Angleterre) Vitigès (Phaeton) jusqu’au bas de la montée finale, imposant un rythme soutenu avant de céder dans les 200 derniers mètres. Sixième à l’arrivée, il fit preuve d’un grand courage. Raccourci, il a plus tard remporté les Champion Stakes (Gr1). Alors que Vitigès cédait, Relkino (Relko) avait pris l’avantage. Mais Empery, toujours parfaitement caché dans son sillage par Lester Piggott, a placé une belle accélération pour s’imposer très sûrement, avec trois longueurs d’avance. Le favori Wollow n’était pas le seul à ne pas tenir les 2.400m. Relkino, deuxième à 25/1, a ensuite connu une fin de saison médiocre avant de devenir un très bon 4ans… mais sur plus court (Lockinge Stakes sur 1.600m et International Stakes sur 2.000m). Le troisième, Oats (Northfields), n’a pas confirmé au niveau Gr1 ensuite. Le quatrième, Hawkberry (Sea Hawk), est devenu un bon stayer (3e du Prix du Cadran et de l’Ascot Gold Cup, Grs1). Le cinquième, Wollow, est ensuite devenu un très bon cheval sur 1.600m/2.000m.
Dans l’euphorie, ils ont cassé la radio de Zilber !
Représentant de Juddmonte pour la France, Claude Beniada a été formé par Maurice Zilber. Il se souvient : « Empery a gagné le Derby en 1976, et je travaillais chez Maurice depuis 1974 avec mon ami David Smaga. Nous n’étions pas allés à Epsom avec le cheval. Nous, ce que nous avions vécu de près, c’est évidemment toute la préparation. C’était un cheval qui avait montré de la qualité à 2ans [gagnant du Prix de Villebon, troisième du Thomas Bryon, Gr3, non placé du Grand Critérium, Gr1, ndlr]. Nelson Bunker Hunt avait un lot extraordinaire. Et au départ, ils étaient tous chez Maurice : Empery, Youth, Exceller (Vaguely Noble), Trillion (Hail to Reason)… Finalement, Exceller, certainement le meilleur de tous, et Trillion sont partis chez François Mathet. Les deux autres sont restés. Youth a eu une préparation sans encombre vers le Jockey Club qu’il a brillamment remporté. Empery, lui, a eu une préparation un peu plus compliquée car il a connu des petits soucis à l’entraînement. Et donc, il n’était pas vraiment prêt pour sa rentrée dans la Poule. Il court bien sans être vraiment dangereux. Non placé dans le Daphnis, il s’est classé troisième de deux très bons dans le Lupin, c’est-à -dire Youth et Arctic Tern (Sea Bird). Maurice a alors pensé qu’Empery arrivait en forme et qu’il serait au top pour le Derby d’Epsom. Il a demandé à Lester Piggott s’il voulait bien le monter. Ce dernier avait beaucoup d’admiration pour Maurice avec qui il avait gagné de grandes courses. Et s’ils ont gagné le Derby, il faut bien le dire, c’était dans un lot assez moyen. Empery était un bon cheval, mais pas un phénomène. David et moi habitions chez Maurice. On suivait tous les galops, on voyait les progrès du poulain et la confiance s’installer dans l’écurie. Avec Maurice, qui était un éternel optimiste, nous étions un peu tous portés par l’ambiance positive. Nous avons suivi la course à la radio avec le commentaire de Peter O’Sullivan, le fameux journaliste de la BBC. Avant même que la course soit terminée, nous avions compris qu’il avait gagné. Et moi, dans un accès d’euphorie, j’ai tapé du poing sur la table. Le transistor est tombé… et il s’est cassé. Nous n’avons eu la confirmation de la victoire qu’en allant à l’écurie du soir. » Si samedi, un des deux français gagne à Epsom, l’exploit aura un réel retentissement en France où la presse hippique a beaucoup changé. En 1976, le succès d’Empery fit sensation dans la presse anglaise. Mais en France, ce ne fut pas le cas : « En dehors du microcosme cantilien, où tout le monde a félicité Maurice, il n’y a pas vraiment eu de couverture médiatique. À l’époque, les courses, c’était tout juste les résultats sur RTL et Europe 1 avec l’annonce des arrivées chiffrées et un peu de télévision pour le tiercé avec Zitrone. Les courses internationales étaient très peu couvertes en France. En 1973, quand Dahlia a gagné pour la première fois les King George, il y avait trois lignes dans l’édition du soir de Paris Turf. Le lendemain, il y a eu un article un peu plus long dans l’édition complète. L’époque était différente. Les médias hippiques n’avaient pas de correspondants à l’étranger et ils n’envoyaient pas de journalistes. »
Sa mère avait gagné la… quadruple couronne !
On a beaucoup parlé des origines sud-américaines de Desert Flower (Night of Thunder), la gagnante des 1.000 Guinées 2025 dont la deuxième mère était brésilienne. Mais tout cela n’a rien de neuf et Empery était d’ailleurs le fils d’une championne péruvienne. Sa mère Pamplona (PostÃn) est en effet la seule pouliche de l’histoire à avoir remporté la Quadruple couronne de ce pays. Et oui, une Quadruple couronne, cela existe ! C’est-à -dire qu’elle avait gagné le Gran Premio Nacional Augusto B. Leguia (2.800m, gazon), après avoir décroché la Triple couronne des pouliches péruviennes, avec la Polla de Potrancas (1.600m, dirt), le Gran Premio Enrique Ayulo Pardo (2.000m, dirt) et le Derby Nacional (2.400m, gazon, face aux mâles). L’Américain Nelson Bunker Hunt avait eu la brillante idée d’aller acheter cette Pamplona, notamment pour soutenir son étalon Vaguely Noble (Vienna), et elle lui a donné cinq black types, dont deux gagnants classiques, avec Empery et Pampered Miss (Sadair), lauréate de la Poule d’Essai des Pouliches (Gr1). Comme cela arrive assez souvent avec les gagnants de Derby n’ayant pas remporté un Groupe à 2ans ou sur le mile, Empery a échoué au haras aux États-Unis et fut vendu ensuite au Japon (qui n’avait alors rien à voir avec la grande nation hippique que l’on connaît aujourd’hui).
Le challenge de New Ground
Au fil des ans, un certain nombre de représentants de Khalid Abdullah entraînés en France ont couru le Derby, comme American Post (6e par manque de tenue), Toulon (9e de Generous), Epicuris (5e de Golden Horn)… Au sujet de la tentative de New Ground (New Bay), Claude Beniada analyse : « Ce sont des challenges amusants. Il faut parfois savoir tenter des choses dans la vie. Le cheval a de bonnes lignes et cela fait plaisir aux propriétaires de tenter ce pari. Dans La Force, New Ground a fini près Cualificar (Lope de vega), deuxième du Jockey Club, et d’Azimpour (Dubawi), très bon cinquième. New Ground va tenir la distance sans aucun problème. »