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lundi 7 juillet 2025
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Chevaux entraînés sans contrat signé : attention danger !

LA RUBRIQUE JURIDIQUE ET FISCALE

Chevaux entraînés sans contrat signé : attention danger !

Par Blanche de Granvilliers, membre de l’Institut du droit équin

http://degranvilliers.fr

Une décision rendue par la Cour d’appel de Paris du 3 octobre 2024 vient rappeler aux entraîneurs professionnels les déboires auxquels ils s’exposent lorsqu’ils accueillent des chevaux de course dans leur établissement sans solliciter au préalable la signature d’un contrat d’entraînement. Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est souvent le silence du propriétaire qui viendra accroître le risque d’échouer devant les Juges.

Les faits à l’origine de la décision

En juin 2016, deux chevaux sont confiés à un entraîneur par Monsieur X, avec signature pour ses deux chevaux de contrats d’association valablement enregistrés informatiquement par France Galop.

Les relations entre Monsieur X et l’entraîneur vont durer un peu plus d’un an jusqu’en juillet 2017, période durant laquelle les chevaux vont courir et même percevoir des gains.

Les chevaux quittent l’établissement de l’entraîneur qui cède les parts dont il était propriétaire sur l’un des chevaux à Monsieur X qui en règle le prix et récupère son cheval. Jusque-là tout va bien, il s’agit de cessations de relations classiques entre un entraîneur et un de ses propriétaires. L’entraîneur aurait été mieux inspiré de clôturer les comptes à ce stade et exiger le paiement du solde de ses factures en invoquant un droit de rétention sur le cheval.

Quelques mois plus tard, Monsieur X, ancien notaire de profession, est l’objet d’une enquête pénale de grande envergure, où il est mis en examen pour des faits aussi graves qu’escroqueries en bande organisée, association de malfaiteurs et recel : immédiatement, le ministère de l’Intérieur somme France Galop de retirer ses agréments de propriétaire à Monsieur X, et ce malgré les contestations de ce dernier du fond de sa prison, où il avait été écroué.

En janvier 2019, l’entraîneur dont les pensions ne sont pas payées (Monsieur X étant toujours mis en examen) saisit le Tribunal d’une demande de paiement. Le propriétaire, toujours en détention, ne se fait pas représenter. Or, curieusement, le Tribunal refuse de condamner Monsieur X au motif qu’en l’absence de contrat de pension et d’éléments sur la propriété, l’entraîneur ne prouve pas que Monsieur X était bien propriétaire des deux chevaux.

L’entraîneur interjette appel du jugement et rappelle que le contrat de pension n’est pas obligatoire et produit de nombreux éléments confirmant que les chevaux sont bien la propriété de Monsieur X qui a laissé des factures impayées dans son établissement.

La décision de la Cour d’appel

Face à l’ensemble des éléments communiqués par l’entraîneur, la Cour va se poser deux questions :

Les chevaux sont ils la propriété de Monsieur X ? Les chevaux ont-ils été mis en pension chez l’entraîneur ?

La Cour ne pourra faire autrement que de reconnaître que les chevaux sont bien la propriété de Monsieur X, au regard notamment de la carte d’immatriculation et des mentions de France Galop et autres sites les faisant apparaître durant cette période comme la propriété de Monsieur X.

S’agissant de la mise en pension des chevaux, la Cour commence par rappeler qu’« il n’existe aucun contrat écrit de garde de chevaux conclu avec Monsieur [O], mais que l’entraîneur reste libre de la preuve de ce contrat pour lequel aucune formalité n’est exigée. »

Nous ne pouvons qu’approuver ce rappel. Cependant la Cour va tenir un raisonnement étonnant en jugeant que l’entraîneur en question « a pu être leur entraîneur. Mais cette qualité n’implique pas de facto que les chevaux étaient placés en pension au sein de ses locaux ». Elle admet donc que les chevaux ont bien été entraînés par celui qui réclame le paiement de ses factures, mais que l’accord n’était pas forcément un contrat de pension. Or l’entraîneur et son client étaient associés sur les chevaux, ce qui justifiait la facturation du client pour la partie dont il était propriétaire.

La Cour ne va cependant pas plus loin, en s’interrogeant sur ce qu’aurait pu être l’accord. Un contrat de location ? Non la location est un contrat devant être enregistré comme tel à France Galop. Un contrat de valorisation en vue d’une vente ? Non car la vente n’a pas été envisagée.

En outre, la règle est bien une facturation par l’entraîneur des frais de pensions. Si tous les prix et tous les accords sont envisageables, sachant que Monsieur X (non représenté dans la procédure) ne donnait aucune autre explication, la Cour aurait pu, voire aurait dû admettre que la pension était payante, puisque c’est le principe même du métier d’entraîneur. À l’inverse, la Cour a considéré que l’absence de contestation à la réception des factures de pension et des mises en demeure, ne valaient pas reconnaissance de sa qualité de débiteur. On peut cependant s’interroger sur le fait que si un accord autre qu’une mise en pension avait été convenu, Monsieur X n’aurait pas manqué de réagir et de contester la facturation, à la fois dans son principe et son montant.

Autre point qui attire notre attention, la Cour a également rejeté la copie des contrats d’association électroniques enregistrée par France Galop aux motifs qu’il s’agit « des pages internet sans date ni signature, certaines portant énumération synthétique de clauses contractuelles mais non le contenu exact de ces contrats et clauses, et donc sans valeur probante du contrat et de leur placement en pension ».

Pire encore, alors qu’il y avait même des paiements du propriétaire, la Cour analyse également les paiements de Monsieur X pour en déduire qu’à l’exception d’un seul paiement, les autres ne correspondent pas forcément aux factures communiquées. Toutefois, si Monsieur X avait réglé ses factures en temps et en heure, l’entraîneur n’aurait pas eu besoin de saisir les juges…

Surtout, la Cour qui a rappelé quelques lignes plus tôt que l’entraîneur peut prouver le contrat par tout moyen, conclut en relevant qu’« aucun élément n’établit non plus les conditions de ce prétendu placement en pension (période exacte, prix convenu entre les parties) ».

Or le prix a figuré sur chaque facture dont aucune n’a été contestée et au moins une a été réglée. La période « exacte figurait » sur le contrat d’association enregistrée à France Galop (contrat à durée indéterminée).

La Cour a donc confirmé le jugement qui avait rejeté la demande de l’entraîneur en paiement de ses pensions, alors que la bonne foi de Monsieur X était douteuse. Certes, condamné en juin 2023 à quatre ans de prison ferme, à une amende de 375.000 € et à une interdiction de gérer pendant dix ans, il est à espérer que Monsieur X ne retrouvera pas son agrément de propriétaire.

La critique de la solution, liée à l’absence de signature d’un contrat

Si aucun des arguments de la Cour ne nous a paru vraiment convaincant, la stratégie de Monsieur X, propriétaire, de ne rien dire ni écrire n’a pu se révéler gagnante qu’à la suite de l’absence d’un contrat d’entraînement et l’absence de contrat d’association signé, si l’on excepte le formulaire de France Galop, formulaire clairement jugé comme non pertinent par les juges d’appel.

Or, la motivation de la Cour d’appel confirme que les professionnels ne devraient pas se contenter de ces formulaires synthétiques et quelque peu sibyllins pour les juges des contrats de location et d’association, même si les notices explicatives en accès libre éditées par France Galop établissent la réalité de l’engagement des deux parties. Là encore, l’entraîneur, notamment lorsqu’il contracte avec un propriétaire non professionnel, aurait intérêt à recueillir la signature d’un contrat de pension, mais aussi un véritable contrat d’association ou de location précisant la mise à l’entraînement du cheval, les conditions notamment financières prévues entre eux pour la pension du cheval et son entraînement [1], dont les termes viendraient préciser le formulaire et ajouter des clauses sur tous les sujets non prévus par France Galop (notamment le sort du cheval et de l’association en cas de mésentente entre associés).

Certes, la solution aurait pu être différente en fonction des circonstances et on peut citer par exemple un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens du 2 novembre 2021 qui concernait le même entraîneur, lequel avait réussi à obtenir la condamnation d’un propriétaire professionnel, au paiement de pension en l’absence de tout contrat, la Cour ayant relevé qu’ « en matière de contrat d’entreprise, selon la jurisprudence, le contrat est présumé être conclu à titre onéreux, la preuve du contrat peut se faire par tous moyens, et les tribunaux se reconnaissent le droit, le cas échéant, d’en fixer le prix des prestations ou de le modérer. Les factures sont produites aux débats en appel. La secrétaire de la société atteste de ce qu’elles étaient envoyées par courriel chaque mois et la société produit un courriel de M. X. (le propriétaire) en réponse, en mars 2018, au moins une fois ».

L’entraîneur aura certes plus facilement gain de cause s’il résulte des échanges que le principe même de la mise en pension des chevaux n’est pas contesté, si les relations ont duré plusieurs années, avec des paiements réguliers correspondants au montant des factures, si le propriétaire des chevaux est un professionnel, la Cour d’appel de Caen le 23 février 2021 [2] ayant rappelé l’usage entre professionnels de ne pas formaliser leurs accords par écrit.

Précisons que les risques sont identiques pour les professionnels ayant des chevaux de sport ou de loisir en pension. Il arrive également que les juges déboutent les professionnels qui ne produisent pas de contrat de pension signé, notamment lorsque les propriétaires sont défaillants c’est-à-dire (absents) dans la procédure [3]. Si les entraîneurs disposent d’une arme efficace et juste avec la procédure d’opposition prévue par le Code des courses (article 82), laquelle permet de résoudre de nombreux litiges, elle ne suffit pas toujours à les protéger, puisqu’il suffit au propriétaire de saisir le Tribunal pour y faire échec.

Sur les multiples intérêts du contrat pour les deux parties

Les juristes que nous sommes rappelons régulièrement à nos clients l’importance et l’intérêt de rédiger à la fois des contrats d’entraînement, mais aussi des contrats d’association et de location, en complément des formulaires de la société de course considérée.

Les enjeux sont importants et les risques de conflits multiples, tant pour l’entraîneur que pour le propriétaire : pensions impayées, frais non justifiés, cheval blessé, préavis non respecté, dissolution d’association…

Pour l’entraîneur, le contrat permettra d’éviter des procédures longues et imprévisibles alors qu’il existe des procédures rapides comme l’injonction de payer ou le référé. Pour le propriétaire, le contrat lui permettra de préciser son statut (intervenant ou non), les modalités précises de la facturation et de l’hébergement de son cheval, mais aussi ce qu’il attend de l’entraîneur, à la fois dans leurs relations et dans l’entraînement du cheval, et les possibilités de recours dans l’hypothèse d’un dommage causé à son cheval.

C’est à tort que le contrat est analysé comme un outil contraignant et engageant. Il peut être discuté, analysé, il permet la prévisibilité pour les deux parties en évitant l’aléa judiciaire et en favorisant des solutions transactionnelles. À l’inverse, l’incertitude accroît le risque de contentieux. Or le système judiciaire actuel est peu compatible avec les contraintes de trésorerie du professionnel, et la brève durée de carrière du cheval de course.

[1] L’article L 111-1 du Code de la consommation oblige le professionnel à communiquer au consommateur, avant le début du contrat, les caractéristiques essentielles du bien ou du service proposé ainsi que le prix.

[2] Décision confirmée récemment par le Tribunal judiciaire de Toulouse le 17 janvier 2025,

[3] (Cf. Jugement du 11 juin 2024 Tribunal judiciaire d’Alençon)

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