Michael Tabor, une vie au galop
Ce que Michael Tabor a accompli dans sa vie de propriétaire est inégalable. Personne, absolument personne, à part lui, n’a gagné le Kentucky Derby, deux Prix du Jockey Club sur 2.100m, deux Arcs de Triomphe et 11 Derby d’Epsom. Même pas John Magnier, Khalid Abdullah ou le cheikh Mohammed !
Hier : Partie 1. De l’enfance à Thunder Gulch.
Aujourd’hui : Partie 2. Son regard sur l’avenir des courses, et aussi…
Par Adrien Cugnasse
Michael Tabor a des chevaux depuis très longtemps. Pour autant, il semblerait que son fonctionnement soit aussi éloigné que possible du « fait du prince ». Là réside peut-être une partie de son succès. Il confiait d’ailleurs il y a un quart de siècle à The Independent : « J’aime aller voir les chevaux et j’aime penser que j’ai un œil plutôt aiguisé. Mais, en réalité, je ne suis pas un expert. Et s’y connaître un peu, c’est ce qu’il y a de plus dangereux. » Comme dans le bookmaking, avec les chevaux et les étalons, Michael Tabor a rapidement compris qu’il fallait travailler en association avec les meilleurs et faire confiance à leur expertise. Thunder Gulch (Gulch) fut la première pierre que Michael Tabor a apportée à l’édifice Coolmore. Par cet achat, il rejoint celui qui va redéfinir les règles de l’étalonnage moderne : John Magnier. Jusque dans les années 1980, pour vendre des saillies à un tarif élevé, il fallait être stationné dans le Kentucky. Mais les Irlandais rebattent le jeu de cartes et, depuis, les sires les plus chers sont basés en Europe, et surtout dans l’île verte. Du moins majoritairement. Alors nous avons posé la question à Michael Tabor : si l’on veut gagner de l’argent, faut-il investir dans l’étalonnage aux États-Unis ou en Europe ? Non sans humour, il répond : « Cela dépend de l’étalon ! Nous avons la chance d’avoir élevé nous-mêmes certains de nos reproducteurs, ce qui est naturellement la méthode la plus économique. Parfois, nous en achetons, comme Justify ou Wootton Bassett, qui a été un immense succès pour nous après avoir été stationné en France. Il faut beaucoup de chance et de compétence pour faire un bon étalon. » Sortir le bon débutant qui va convaincre les éleveurs lors de son entrée au haras est extrêmement difficile. Michael Tabor analyse : « Ce n’est pas une question de quantité, mais de qualité. On peut acheter des dizaines de chevaux, mais, si on cherche un futur étalon, on doit regarder la conformation, le pedigree… puis avoir les performances en piste. Ce sont les trois ingrédients. Les réunir tous les trois, c’est rare. »
Un véritable panthéon du galop moderne
Le nom de Michael Tabor restera associé à certains des plus grands noms du galop mondial, des chevaux qui ont laissé une trace indélébile dans l’histoire du sport. Parmi eux, quel est son préféré ? Parce que son yacht s’appelle Hurricane Run, on serait tenté de répondre à sa place… mais ce serait aller trop vite en besogne car l’homme préfère botter en touche et répondre en citant de préférence les grands moments qu’il a vécus en tant que copropriétaire : « Voir Galileo (Sadler’s Wells) s’envoler dans le Derby, c’était exceptionnel. Il a aussi gagné d’autres courses, mais cette victoire-là … C’était incroyable. Vous connaissez la suite. Il avait tous les ingrédients pour réussir au haras : conformation, pedigree, performances, mental… Mais il fallait aussi beaucoup de chance, comme toujours. »
À son panthéon personnel, Michael Tabor inclut aussi Montjeu (Sadler’s Wells) : « Son succès dans l’Arc de Triomphe est inoubliable. Mais je me souviens surtout du Jockey Club à Chantilly. Ce jour-là , la piste était lourde. Je regardais la course aux jumelles et le cheikh Mohammed était à ma droite. À l’entrée de la ligne droite, Montjeu allait si facilement que le cheikh Mohammed a reposé ses jumelles, est passé devant moi et m’a simplement dit : « Félicitations. » On n’oublie pas ce genre de choses. » Et puis il y a bien sûr l’inoubliable Giant’s Causeway (Storm Cat), un cheval exceptionnel dont Michael Tabor était à la fois l’éleveur et le copropriétaire : « Je l’appelais le « taureau », tellement il était puissant. Il a terminé deuxième de la Breeders’ Cup Classic, ce qui n’est pas rien. Il était dur, fiable, un vrai guerrier. Un grand cheval. »
Michael Tabor s’est essayé plusieurs fois à la Triple Couronne britannique, notamment avec City of Troy (Justify) et Camelot (Montjeu) : « Oui, nous sommes passés très près, en perdant seulement la troisième manche. » Pour autant, est-ce un challenge archaïque que seuls les associés de Coolmore continuent à tenter ? Michael Tabor n’est pas de cet avis : « Je pense que si d’autres avaient eu un cheval de ce calibre, ils auraient essayé aussi. C’est très difficile à réaliser car, précisément, il faut un sujet exceptionnel. »
Le monde change
L’ancien bookmaker est toujours un grand parieur. Mais l’Angleterre et les courses de l’enfance de Michael Tabor appartiennent au passé. Alors quel avenir voit-il au pari hippique ? : « C’est la grande question. Le monde change constamment. Le système anglais et irlandais est très différent du modèle français. Les habitudes sont profondément ancrées. Il faudrait au moins une ou deux générations pour les changer. Personnellement, j’ai grandi avec le système des bookmakers, que je trouve bien plus attrayant que les cotes variables. Attirer les jeunes vers les paris hippiques est très difficile. Notamment parce qu’ils ont de multiples centres d’intérêt. Mais s’ils viennent sur les hippodromes, voient des Grs1, des classiques, et comprennent les différences avec les courses ordinaires, alors certains s’y intéresseront. Les paris sportifs, sur le foot, le tennis, sont très populaires. Mais les courses doivent être capables de cohabiter avec cela. Elles restent populaires : il y a des courses tous les jours au Royaume-Uni, du public à chaque réunion, surtout le week-end. C’est peut-être éparpillé, mais c’est vivant. Et contrairement à la F1 – qui n’a lieu qu’une fois par an dans chaque pays – les courses ont lieu tous les jours. Trop, peut-être ? Les gens n’ont qu’un budget limité. Malgré cela, ils continuent à venir aux courses, et c’est ce qui compte. »
Royal Ascot ou Cheltenham ont pris de l’ampleur, alors que le Derby, à l’inverse, n’est plus l’événement qu’il était autrefois, beaucoup d’observateurs se plaignant de la concentration des campagnes de communication sur les deux grands meetings précités au détriment du classique : « Je ne suis peut-être pas la personne la mieux placée pour en parler, mais si on injecte un peu de divertissement dans la montée en puissance de l’événement, et qu’on le médiatise davantage, alors cela deviendra plus attrayant pour le public. Cette année, il y a 19 partants dans le Derby, et je pense que c’est plus attractif pour les gens quand les pelotons sont plus fournis. »
2025, année classique
C’est peut-être une habitude, mais Michael Tabor a tout de même déjà ajouté trois classiques à son palmarès cette année. Aux 1.000 Guinées d’Irlande de Lake Victoria (Frankel) se sont ajoutés la Poule des Poulains d’Henri Matisse (Wootton Bassett) et le Jockey Club de Camille Pissarro (Wootton Bassett). Samedi, Delacroix (Dubawi) est le favori des bookmakers dans le Derby à Epsom. Est-ce justifié ? : « Je l’espère ! (rires) Il a une chance de favori, c’est certain. Aidan O’Brien a déjà gagné onze Derby. Moi douze si l’on compte Pour Moi, entraîné par André Fabre. J’espère que l’un de nos trois ou quatre partants l’emportera samedi. Henri Matisse est un vrai miler, il ira vers les St James’s Palace Stakes. Camille peut aller sur plus long. Mais à ce jour, Henri a peut-être un petit avantage. » Après St Mark’s Basilica (Siyouni), Camille Pissarro est donc son deuxième lauréat du Jockey Club sur 2.100m. Un nouveau format dont il n’était pas fan au départ : « À l’époque, je pensais que c’était une erreur. Je suis un traditionaliste. Mais avec le temps, on s’adapte. Et comme nous l’avons gagné cette année, je ne vais pas m’en plaindre (rires). » Et le Prix de Diane 2025 ? : « Ah, le Prix de Diane. Je ne suis pas certain… Peut-être Bedtime Story, ou Exactly (Frankel). Je n’en ai pas vraiment discuté avec qui que ce soit. Comme vous le savez, nous avons les Oaks vendredi avec quatre partantes. Mais pour le Diane, je pense que Bedtime Story pourrait être celle qui se rendra à Chantilly. Je ne suis pas certain à 100 %. Réponse après les Oaks ! »