JÉRÔME REYNIER : « LA PATIENCE, C’EST LA CLÉ DE LA RÉUSSITE »
Le 3ans Lazzat (Territories), qui a aligné six victoires de rang, est à ce jour le meilleur jeune cheval de la carrière de son mentor. Un cap a été franchi. Jérôme Reynier réagit : « Avant lui, Marianafoot (Footstepsinthesand) avait remporté huit courses à la suite dont le Prix Maurice de Gheest (Gr1). J’ai un peu formaté Lazzat dans le même esprit, c’est-à-dire suivre le programme pour arriver en progression sur un objectif. C’est ce que j’ai fait avec tous mes bons chevaux, comme Skalleti (Kendargent). Semaine après semaine, j’ai essayé de les faire monter en condition pour atteindre un objectif visé. Cela étant dit, l’infrastructure de Calas est assez bonne pour faire une rentrée dans une grande course et réussir. Comme lorsque Facteur Cheval a remporté la Dubai Turf (Gr1) après 160 jours sans compétition. C’était un moment assez exceptionnel car il n’avait plus gagné depuis un moment. Nous l’avons donc préparé à la maison et il a gagné sans course préparatoire. C’est à ce jour la plus grande performance de sa carrière. Pour moi, cela représentait beaucoup. »
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Le défi du dirt
« Facteur Cheval va aller vers le Carnival de Dubaï. Ses propriétaires veulent le tester sur le dirt. Il va donc courir le Maktoum Challenge en janvier. En fonction de son adaptation à cette surface, son programme sera adapté. S’il apprécie le dirt, Facteur Cheval pourrait tenter la Saudi Cup. C’est une course qui fait rêver son entourage. À l’entraînement aux Émirats, il montrait une bonne locomotion sur cette surface. Comme je le dis toujours, c’est un cheval qui pourrait traverser le feu si on le lui demandait. Dans le lourd, les projections ne le perturbent pas. Rien ne l’arrête. Peut-être que cela sera la même chose avec les projections sur le sable. Son entourage aurait aimé courir la Breeders’ Cup Classic (Gr1) mais j’ai un peu mis mon véto. La Californie, c’était très loin pour tenter un tel défi et au même moment les Queen Elizabeth II Stakes (Gr1) nous tendaient les bras. Je ne pensais pas tomber sur un Charyn (Dark Angel) aussi exceptionnel, il s’est vraiment imposé en patron du mile européen. Si l’essai sur le dirt n’est pas concluant en janvier prochain, Facteur Cheval pourrait se diriger vers une préparatoire au Dubai Turf (Gr1) et ainsi tenter de conserver son titre. Le 10 janvier, Facteur Cheval va s’envoler pour Dubaï et rester là-bas tout l’hiver. C’est donc une préparation très différente cette fois-ci. »
La campagne internationale de Lazzat
Après sa formidable série française, Lazzat s’est classé deuxième – pas loin – du Golden Eagle (Gr1) : « Malheureusement, tout est allé de travers. Les ordres étaient de ne pas aller devant. Mais il a raté son départ et après trois mois sans compétition, c’était difficile. Les conditions d’entraînement étaient très particulières, à Newmarket et en Australie. À la maison, nous n’entraînons jamais sur le gazon. Là-bas, il allait tous les jours sur cette surface. Malgré tout cela et malgré le long voyage, Lazzat s’est adapté à tout. Il était un peu frais et est allé trop vite en partant pour rattraper sa mauvaise sortie des boîtes. Antonio a réussi à bien le gérer. Mais il n’a pu se classer que deuxième car la pression de Makarena (Snitzel) l’a fait beaucoup consommer dès la mi-parcours. C’est la première fois de sa vie qu’il a vraiment dû lutter. Nous ne sommes pas passés loin de réussir le challenge. Même si l’allocation pour la deuxième place est belle, nous avions beaucoup de regrets. C’est le type de défaite qui a du mal à passer. Lazzat a bien récupéré en deux semaines sur place. Et nous avons donc tenté le Hong Kong Mile sur le chemin du retour. Il était très beau, très bien dans sa tête, tous les feux étaient au vert. Mais beaucoup de paramètres ont changé, notamment le jockey, la distance et encore un environnement d’entraînement différent. Lazzat a tiré derrière les animateurs. Quand Cristian l’a décalé, les autres se sont eux aussi mis à avancer devant son nez. Or c’est un cheval assez caractériel qui a besoin de dominer. Pour lui, cela se joue dans la tête. Malgré tout, Lazzat finit à deux longueurs du deuxième. Il court très bien. C’est une course difficile pour un 3ans venu d’Europe. Cette défaite a peut-être été moins difficile à accepter que celle en Australie. »
La confiance de Nurlan Bizakov
Un des points positifs de la réussite de Lazzat, c’est qu’elle renforce les liens entre Jérôme Reynier et Nurlan Bizakov (Sumble) qui est clairement une des forces montantes dans le paysage hippique français : « C’est un éleveur-propriétaire avec des résultats. Mais il achète aussi aux ventes, c’est important. Il a par exemple fait l’acquisition d’un Territories (Invincible Spirit) pour 750.000 Gns qui devrait rejoindre mon effectif prochainement. Monsieur Bizakov est ultra-actif et il adore la France. À l’élevage, il mise beaucoup sur notre pays où sont stationnés tous ses étalons. Il a recentré son effectif sur un nombre plus réduit d’entraîneurs afin d’essayer d’avoir une relation privilégiée avec chacun d’entre eux. C’est vraiment top de faire partie de son équipe et d’avoir sa confiance. » Dès le départ, Jérôme Reynier a pu compter sur des clients internationaux qui lui ont toujours été fidèles : « Certains sont des contacts lors de mes années au Flying Start. D’autres sont des rencontres ultérieures. Leur fidélité, c’est formidable. Lorsque les choses se passent bien, une dynamique se crée. » Parmi ces derniers, il y a bien sûr les époux Wigan. Grands éleveurs et courtiers anglais, ils ne vont pas à Marseille pour faire du tourisme : « Depuis le début, ce sont des soutiens de l’écurie. C’est un plaisir de les voir et d’échanger avec eux. Ils n’ont pas des dizaines de chevaux à l’entraînement, c’est donc d’autant plus un privilège de bénéficier de leur confiance. De même, Lordship Stud m’a confié des chevaux bien nés, dont la sœur d’une gagnante classique. Ce sont des gens adorables. Leurs enfants sont tout aussi passionnés. Ils connaissent les joies de la victoire et savent aussi traverser les défaites. Au départ, j’avais des chevaux en quête d’une victoire après une première carrière anglaise. Désormais, ils me confient des yearlings. C’est un privilège. » Jérôme Reynier suit sa méthode qui consiste à faire preuve de patience et à bien viser ses objectifs : « La patience, c’est la clé de la réussite. Si monsieur Seroul avait forcé les choses, Skalleti ne serait jamais devenu Skalleti. Un cheval comme Speedster (Wootton Bassett), pour Pierre Pilarski et la famille Chehboub, me fait penser à lui. Les vrais précoces restent une minorité de la population. »
Ça continue à bouger dans le Sud-Est
Par le passé, le Sud-Est était une région considérée comme protégée où il était facile de faire gagner un cheval. Les choses ont bien changé : « La dynamique est réelle… et elle se poursuit. La famille Chehboub a fait énormément de choses positives, c’est remarquable. Ils ont gagné de grandes courses et lancé un super haras à Beaumont. C’était le rêve de mon père tout cela. Ils sont bien entourés, avec en particulier Mathieu Alex. J’ai d’ailleurs acheté une jument pleine de Richester en février pour la mettre au haras de Beaumont. Je veux que mes enfants puissent suivre la vie d’un poulain à l’élevage et en course. Je veux partager cette expérience avec eux. Et elle était pleine de Ribchester, j’aimais bien le croisement et ensuite elle a été saillie par Intello qui fait la monte au haras de Beaumont. Beaucoup de bons chevaux sont entraînés à Calas. Le niveau local a énormément progressé. Un gagnant de maiden à Marseille peut monter à Paris en espérant être compétitif. On arrive à endurcir nos chevaux localement avant de les faire progresser. Zarakem (Zarak), un tardif, a débuté par une quatrième place à Salon-de-Provence en fin d’année de 2ans. Il est monté à Paris au mois d’octobre de ses 3ans après une victoire de Listed à Borély. Sa carrière de 4ans est remarquable. » Jérôme Reynier a de nouveaux clients français et notamment Jean-Louis Bouchard : « Il a déménagé à Aix-en-Provence et est donc proche de Calas. » Gérard Augustin-Normand continue à lui faire confiance : « C’est très agréable de travailler pour lui, car tout comme John Hammond, il laisse carte blanche à ses entraîneurs. Ils n’ont pas peur de donner du temps aux chevaux. Et cela paye avec des sujets de tous niveaux. Je pense par exemple à la très courageuse L’Hôtellerie (Almanzor). J’espère pouvoir tomber sur un cheval qui me permettra de faire briller cette casaque dans les grandes courses. Darlinghurst (Dark Angel) court pour une association dont fait partie Gérard Augustin-Normand, mais il portait les couleurs de Jean-Étienne Dubois. Après un break, il est récemment revenu à l’entraînement. J’espère qu’il fera une bonne saison à 4ans cette année car il a de grandes capacités. Dans le Prix de Guiche (Gr3), il avait montré de la classe. » Les années précédentes, l’écurie Reynier avait énormément gagné au premier trimestre et en particulier à Cagnes-sur-Mer : « J’aime beaucoup le programme de Cagnes-sur-Mer avec sa belle piste en gazon. C’est un contexte intéressant pour lancer des 3ans inédits. J’espère avoir un nouveau Lazzat ! Cagnes, c’est une opportunité à saisir quand on n’a pas la force de frappe des plus grosses écuries françaises. Bien sûr, avec le départ de la majorité des Seroul, je ne pourrais pas gagner autant d’épreuves que les années précédentes là-bas. Comme toujours, nous allons essayer de faire au mieux et viser juste pour chaque cheval. L’histoire récente prouve qu’on peut faire passer des très bons chevaux par ce meeting. »
Les années Seroul
Jérôme Reynier a deux représentants de Jean-Claude Séroul dans son effectif à l’heure où nous écrivons ces lignes, mais il n’est plus responsable de l’écurie principale du grand propriétaire-éleveur. Une page s’est donc tournée en 2024 car ils ont écrit ensemble ce qui est peut-être les plus belles pages (à ce jour) de l’histoire du galop marseillais : « L’année 2021 fut exceptionnelle pour la casaque Séroul avec des chevaux comme Marianafoot et Skalleti. La qualité de sa jumenterie et de ses achats a notamment progressé au fil des années. Aujourd’hui, il achète des chevaux en association et il a des représentants à l’entraînement hors de Calas, deux choses qui n’étaient pas dans ses habitudes par le passé. La réussite de 2021, c’était un sommet pour cette casaque et je savais bien que nous ne pourrions pas rester indéfiniment à ce niveau de performance. On n’a pas tous les ans deux chevaux de ce niveau. Malgré tout, les saisons suivantes ont été bonnes, avec un nombre élevé de chevaux black types. En 2023, nous avons remporté quatre stakes ensemble, dont un Gr2 et six en 2022, avec la encore un Gr2. En 2022, j’ai gagné quatre Listeds avec quatre pouliches différentes pour cette casaque, dont deux avec des 2ans, Wootton City (Wootton Baasett) a remporté le Prix La Fleche (L) et Ritournelle (Camelot) s’est imposée dans le Prix Herod (L). La 3ans Rose Premium (Dark Angel) a brillé à Deauville et on sait combien il est difficile de remporter une Listed à cette période de l’année. Trixia de Vega (Lope de Vega) avait gagné de sept longueurs le Prix Ceres (L) à Fontainebleau. Pourtant, toutes les pouliches m’ont été retirées et ce fut quelque chose de difficile à vivre. Il faut toujours se remettre en question, essayer de faire au mieux. Mais on est souvent jugés, parfois même jalousés, sans tenir compte des challenges quotidiens que représentent ce métier. Et cela nous est préjudiciable à nous entraîneurs. Mais cela fait partie du job. Rien n’est éternel, tout est cyclique dans ce métier. La casaque Séroul a été très importante pour moi, avec 40 victoires black types en six saisons. Je lui souhaite de vivre six années à venir aussi belles que celles que nous avons connues ensemble. »
La fusion qui n’a pas eu lieu
La possibilité d’une fusion entre les écuries Reynier et Rouget a animé une partie de la saison 2024. Faisant face à de nombreux vents contraires, elle n’a finalement pas eu lieu. Jérôme Reynier a pris du recul par rapport à cet épisode : « Jean-Claude Rouget a été touché par la même maladie que mon père et au même âge qui plus est. Quand je l’ai vu à Biarritz durant l’été, cet aspect humain a été très important. J’ai voulu tout essayer pour tenter quelque chose. J’ai commencé à me rapprocher de son équipe durant le meeting de Deauville. Pour plein de raisons, cela s’est révélé trop compliqué à mettre en place. L’idée est malheureusement tombée à l’eau comme d’autres projets dans nos vies d’entraîneurs. Jean-Claude et moi avons beaucoup perdu sur le coup. Cela nous a été réellement préjudiciable. Il est plus facile d’écraser un homme au sol que de lui tendre la main. Durant cette période, Jean-Claude s’est rendu compte de qui étaient ses véritables amis. Mais malgré tout, je n’ai pas de regrets car j’ai tout essayé. Cela valait le coup de se rapprocher. Il faut tenter des choses. Et on se construit en apprenant de ses erreurs. C’est peut-être une bonne chose que Jean-Claude se recentre sur Pau et moi sur Calas. En France, il est très compliqué de fusionner deux entreprises. Enfin, je n’étais pas à l’aise avec l’outil de travail de Deauville et j’ai préféré être honnête sur le sujet. J’ai toujours en projet d’avoir une antenne à Paris. Cela pourrait voir le jour au printemps prochain… si toutes les planètes s’alignent. »