jeudi 16 mai 2024
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Le Japon à la pointe

Les courses et les datas (épisode 2/3)

Le Japon à la pointe

Il y a beaucoup de clichés autour du Japon, dont celui du pays de la technologie et des gadgets en tout genre. À vous de vous rendre sur place pour vérifier si cela est vrai. Mais, côté entraînement, les professionnels du pays n’hésitent pas à faire appel aux datas pour mieux gérer leurs effectifs, même à distance lorsqu’ils sont en déplacement… Et à collecter et analyser des données pour mieux comprendre quels éléments font d’un cheval un athlète hors du commun.

Par Anne-Louise Échevin

ale@jourdegalop.com

En 2017, les Google Glass sur les Aigles

En 2017, les entraîneurs et cavaliers évoluant sur le centre de Chantilly ont peut-être vu passer Satono Diamond (Deep Impact), en préparation pour le Qatar Prix Foy (Gr2) puis le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1). Ils ont pu remarquer que son cavalier était muni de Google Glass. Ce n’est pas la première fois que l’on voyait apparaître les lunettes connectées sur les centres d’entraînement – on avait vu des pensionnaires de Noriyuki Hori en être munis à Hongkong par exemple – mais, en France, c’était certainement du jamais-vu. Il s’agit du système Horsecall, tout nouveau à cette époque puisqu’il a été lancé au Japon en 2016. L’option, avec les lunettes connectées, se nomme SmartEyewear et permet au cavalier d’avoir connaissance la vitesse du cheval par furlongs ainsi que du rythme cardiaque.

Yasutoshi Ikee, entraîneur de Satono Diamond, nous avait expliqué : « Je donne beaucoup d’importance à Horsecall car, avec les données, je peux connaître précisément le niveau d’entraînement que je fais suivre à mes chevaux, pour vraiment adapter le cheval aux terrains d’entraînement européens, pour être à un niveau similaire d’entraînement par rapport au Japon. Avec ce système, en regardant bien les données, nous arrivons à savoir si le cheval est dans une condition idéale. Il s’agit d’appuyer sa pensée, son ressenti, sur les données scientifiques fournies par ce système. J’utilise ce type de système de données depuis plus de vingt ans, bien avant Deep Impact, quand j’étais assistant entraîneur pour mon père. J’ai changé plusieurs fois de modèles et fait appel à Horsecall depuis l’an dernier. Il permet d’avoir des données plus détaillées. » Le système permettait aussi à Yasutoshi Ikee de suivre l’entraînement du cheval au moment où lui-même était au Japon. En plus des vidéos envoyées, l’entraîneur avait toutes les données à disposition, notamment celles concernant la respiration. Yasutoshee Ikee fait appel à des outils technologiques depuis longtemps. Orfèvre (Stay Gold), quand il s’entraînait en vue de l’Arc, était suivi par la technologie.

Des entraînements sous surveillance

Les chevaux japonais du circuit de la Japan Racing Association (J.R.A.) sont basés sur deux centres : Miho, du côté de Tokyo, et Ritto, vers Kyoto. Tout se passe là-bas, à l’exception de l’été où les courses et l’entraînement déménagent dans le nord, sur l’île d’Hokkaido. Contrairement à l’Europe, où il y a une multitudes de centres d’entraînement (publics ou privés), il est aisé de mettre en place des suivis d’entraînement ensuite mis à disposition du public : vidéos, temps partiels, et prises de poids des chevaux.

Christophe Lemaire, dans notre dernier podcast Big in Japan, nous a expliqué : « En général, les Japonais sont plutôt friands de tout ce qui est nouvelles technologies. Les premières datas que l’on donne au public sont les temps des chevaux à l’entraînement. Tout est accessible assez facilement, ainsi que le poids des chevaux. Ce sont déjà deux données que l’on n’a pas en France. C’est assez facile à faire : tous les chevaux travaillent sur les mêmes sites, ils ont des codes barre et la prise de temps se fait automatiquement. C’est donc très facile de pouvoir fournir ces informations-là. Depuis quelques années, on voit en effet un vrai développement de nouveaux systèmes technologiques pour tout ce qui concerne le fitness du cheval et les données physiologiques, en plus de tout ce qui touche à la vitesse et aux partiels. Même si tout le monde ne s’en sert pas, quelques écuries utilisent ce genre de données. Les clubs, comme ceux de Northern ou Shadai Farm, récoltent ces données et les analysent. Je me souviens qu’on s’en servait avec Almond Eye, par exemple. Chaque fois que je la montais, on me donnait une montre qui enregistrait les datas. Elles étaient ensuite utilisées par les managers pour analyser la performance athlétique de la pouliche. C’est le genre de choses qui viennent en complément de l’impression visuelle, du ressenti que l’on a en voyant un cheval passer. De nos jours, nous avons ce genre d’appareils, donc je crois qu’il ne faut pas s’en passer. Cela peut confirmer ou infirmer une impression, cela peut éviter de s’induire en erreur. Quand on a un cheval qui est un peu plus relevé que d’habitude, on peut peut-être s’apercevoir avec les datas que l’on a forcé plus qu’à l’accoutumée. Comme un jockey qui fait le papier avant une course, plus on a d’informations et de datas qui rentrent dans le cerveau, et plus on peut anticiper et optimiser les performances. »

Des études sur le long terme

Les centres d’entraînement de la J.R.A. sont bien entendus dotés de cliniques vétérinaires qui ne se contentent pas de soigner les chevaux. En cherchant bien (en japonais), on peut trouver plusieurs articles expliquant les travaux de recherche des vétérinaires, notamment sur le sujet de la capacité et de la récupération cardiaque des meilleurs éléments. Ainsi, dans un article de Sanspo datant de 2018, Tetsuro Haneda, vétérinaire de la J.R.A. sur le centre de Miho, explique que des études sont menées depuis plus de vingt ans et que le rythme cardiaque de plus de 1.000 chevaux, notamment celui de quelques, a été analysé. champions. Il explique que Kitasan Black (Black Tidep, gagnant de sept Grs1, se démarquait particulièrement au niveau du cœur : là où un cheval de course au repos est estimé majoritairement entre 36 et 40 battements cardiaques par minute, Kitasan Black se situait plutôt autour des 28. Les cliniques mesurent aussi la récupération – le temps nécessaire pour repasser sous la barre des 100 battements par minute après un effort : de ce côté-là, l’article explique qu’un cheval a montré des dispositions assez exceptionnelles : Deep Impact (Sunday Silence). Plus récemment, un cheval comme Contrail (Deep Impact), gagnant de la Triple couronne, a aussi travaillé en étant monitoré via le système Horsecall en vue du St Leger japonais. Les données d’une de ses sessions et leurs analyses ont été fournies aux média. Même constat : le cheval se démarquait avec une capacité de récupération plus rapide que la moyenne.

Le cœur ne fait pas tout mais le cœur aide beaucoup.

Repenser l’entraînement

Si vous êtes intéressés par les courses japonaises, nous ne pouvons que vous conseiller de regarder sur Youtube la vidéo The Rise of the Japanese Thoroughbred, produite par Arrowfield Stud – qui accueille des étalons japonais faisant la navette. Elle date de 2016 et même si beaucoup de choses se sont passées depuis, elle reste d’actualité. La vidéo dure 50 minutes et aborde plusieurs aspects des courses japonaises. L’une d’entre elle est consacrée au pré-entraînement à Northern Farm et aux investissements et développements technologiques mis en place par la structure de Katsumi Yoshida. La vidéo réalisée par Arrowfield permet de voir les infrastructures de Northern Farm, qui feraient probablement tomber à la renverse tous les pré-entraîneurs de France : pistes couvertes, pistes en ligne droite et en montée, pistes circulaires… Tout est enregistré, chronométré, monitoré et le boss, Katsumi Yoshida, a toutes les données à disposition. Le Dr Tomonori Tsuka explique : « J’ai beaucoup appris sur la science du sport chez les humains, et quand je suis arrivé dans les courses, nous avons réfléchi sur les points que nous pouvions changer dans le système de préparation. L’entraînement des chevaux de course n’a pas évolué en cent ans, là où celui des sportifs, lui, a beaucoup évolué dans les dernières dix ou vingt années. »

Christophe Lemaire nous donne son sentiment : « À la base, il faut avoir l’esprit ouvert, se dire que beaucoup de choses évoluent. C’est bien d’avoir ses traditions, ses habitudes, mais le monde change et si on peut faire progresser les choses, il faut avoir cette envie de tester la nouveauté. Pour cela, quelqu’un comme Katsumi Yoshida, le patron de Northern Farm, est très à l’écoute et a envie d’essayer. Si cela ne marche pas, on ne s’y attarde pas mais les Japonais sont plutôt ouverts sur ce genre de choses. »

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