Prix de Diane 2024
Le dernier classique de Carlos Laffon-Parias
Le Cantilien va arrêter son activité fin 2024. Dimanche, dans le Diane, Halfday sera l’ultime partant de Carlos Laffon-Parias dans un classique français. Une épreuve dont il a été deux fois deuxième.
En trente ans de métier, Carlos Laffon-Parias a présenté treize pouliches dans le Diane. Quatre sont montées sur le podium : Goldamix (Linamix), troisième en 2000, Left Hand (Dubawi), deuxième en 2016, Nadia (Nashwan), deuxième en 2000, et Silasol (Monsun), troisième en 2013. Cette année, le Cantilien va seller Halfday (Lope de Vega), une pouliche avec un profil assez différent des quatre précitées. Ne serait-ce que du fait qu’elle n’a jamais couru au niveau Gr1. Halfday sera donc un outsider, après deux mois sans compétition. Associée à Augustin Madamet, elle reste sur une victoire dans le Prix Cléopâtre (Gr3) dans une piste mesurée 4 au pénétromètre. À Saint-Cloud, War Chimes (Summer Front), future placée des Oaks (Gr1), terminait troisième. Cela étant dit, Carlos Laffon-Parias a déjà gagné de grandes courses sans avoir une toute première chance sur le papier. À commencer par le Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1) de Solemia (Poliglote).
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Une écurie mythique
Le 38 avenue du Général-Leclerc est un peu une adresse mythique dans le microcosme hippique cantilien. C’est là qu’Étienne Pollet a entraîné pendant trente ans. De manière tout à fait subjective, j’ai la faiblesse de penser que Pollet a été le plus extraordinaire des entraîneurs de l’ère moderne du sport hippique à Chantilly. À chacun son panthéon.
Toujours tiré à quatre épingles, peu enclin aux compromissions sur sa manière d’exercer le métier, Pollet a fait des miracles avec un effectif relativement réduit. Et il a pris sa retraite à la soixantaine, après trois décennies d’activité (seulement), soit une carrière relativement courte pour un entraîneur de premier plan. À l’époque, il avait expliqué connaître une certaine lassitude face à ce métier qui impose un mode vie un peu à part. Mais aussi ne plus vouloir composer avec un monde des courses qui avait changé, que ce soit au niveau des conditions de travail (en tant qu’employeur), des attentes de la clientèle, ou de l’état d’esprit du personnel. L’excellence ou rien.
Un demi-siècle après Pollet, un autre entraîneur ayant effectué une grande partie de sa carrière au 38 avenue du Général-Leclerc a annoncé prendre sa retraite, à la soixantaine, après (seulement) trois décennies d’activité. C’est Carlos Laffon-Parias. L’époque est différente, les parcours aussi. Mais il existe des points communs entre les deux hommes qui ont terminé leur carrière avec de bons chevaux. Comme Pollet avant lui, toujours tiré à quatre épingles, Carlos Laffon-Parias est arrivé à un constat qu’avait déjà dressé son prédécesseur cinq décennies auparavant : le métier n’est plus le même. Il y a cinq ans déjà, Carlos Laffon-Parias confiait à la presse étrangère : « Les chevaux, c’est un métier qui demande de la passion. Autrement, pourquoi voudrait-on travailler de longues heures le week-end ? Mon impression est qu’en France il y a de moins en moins de personnes qui partagent cette passion pour les chevaux et les courses. En tant qu’entraîneur, ma routine quotidienne a peu changé au cours des trente dernières années. Mais il est devenu de plus en plus difficile de trouver les bonnes personnes pour travailler avec moi. »
Une certaine idée du métier
Comme Pollet avant lui, Carlos Laffon-Parias a entretenu un cercle d’amis et de fidèles assez restreint. Comme son prédécesseur, il est allé loin avec un nombre de chevaux finalement assez réduit par rapport aux plus gros effectifs de son temps. Les deux hommes ont su faire vivre de très longues et de très fortes relations avec une poignée de propriétaires, dont le premier fut Maktoum Al Maktoum pour Carlos Laffon-Parias. Avant que Wertheimer et Frère, ou encore les familles Hinojosa et Marinopoulos, et plus récemment Al Shira’aa, ne prennent le relais. Personnage entier et sans compromission, Carlos Laffon-Parias est connu pour avoir fait preuve d’un sérieux sans faille. Quitte à entraîner, il l’a fait à fond. On adhère ou pas au personnage et à sa méthode. Mais ceux qui sont restés ont fait preuve d’une fidélité sans faille pendant des décennies. Ce qui est suffisamment rare (de nos jours) pour être souligné. Il y a quelques années, Laffon-Parias avait d’ailleurs déclaré : « Une fois qu’il a trouvé un bon client, à moins qu’un entraîneur ne fasse pas son travail correctement, il n’y a aucune raison de le perdre. »
Plus récemment, il a confié à notre confrère Jaime Salvador (Black Type Magazine) : « Je n’utilise pas Facebook et les autres réseaux sociaux. J’ai toujours eu une relation directe avec mes propriétaires. Aujourd’hui, de nombreux entraîneurs ne connaissent pas personnellement leurs clients. Les informations qui parviennent à les intéresser passent par des filtres. Le monde, et pas seulement ma profession, a changé. En ce qui concerne la France, les gros investisseurs sont étrangers. À part la famille Chehboub qui a investi beaucoup d’argent ces dernières années. Les prix de saillies sont exorbitants. Si on n’entraîne pas pour les sept ou huit propriétaires étrangers importants, il est très difficile de gagner sa vie. Je ne sais pas comment certains survivent. Entre entraîneurs, le respect s’est perdu. Pour moi, les propriétaires des autres sont sacrés. Il ne me viendrait jamais à l’esprit d’essayer de « piquer « un client à un autre entraîneur. »
Autres temps, autres mœurs
Le galop a effectivement changé en trente années. Les éleveurs propriétaires sont devenus l’exception. Désormais, les clients importants ont des chevaux chez tout le monde et chaque jour un peu plus, les galopeurs sont syndiqués en parts multiples. On est très loin de la relation privilégiée entre un propriétaire et un homme de cheval sur le terrain. Pour survivre en 2024, un jeune entraîneur doit être capable d’être un marchand de chevaux, main dans la main avec les courtiers, et souvent aussi d’être un peu « Gentil Organisateur » pour les écuries de groupes et autres syndicats. On voit mal Carlos Laffon-Parias enfiler ce costume.
Droit dans ses bottes, il pourrait donc quitter le métier par la grande porte si un de ses pensionnaires arrivait à briller au meilleur niveau cette année. Il est toujours difficile de définir ce qu’est un bon entraîneur. À des niveaux très différents, on peut faire preuve de talent. De manière tout à fait subjective, je pense qu’être capable de trouver la bonne course pour chaque cheval, tout en ne passant pas à côté des bons et en ayant un jugement sûr… représente trois qualités difficiles à réunir chez un professionnel. C’est le cas de Carlos Laffon-Parias qui a été capable de maintenir un taux de 16 % de gagnants par partant sur la dernière décennie et de remporter six Grs1 avec un effectif oscillant entre cinquante et soixante-cinq partants individuels par an. Excellent cavalier, homme de cheval accompli et capable de travailler assez dur ses pensionnaires tout en les faisant durer, il ne sera pas facile à remplacer…
Le retour en Espagne
Amateur de premier plan dans sa jeunesse, Carlos Laffon-Parias avait aussi une licence pour entraîner ses propres chevaux en Espagne. Alors qu’il était venu travailler pour une année en France, l’impensable s’est produit : l’hippodrome de Madrid a été (momentanément) fermé. C’était en 1988 et ce fut le début de l’effondrement des courses espagnoles. Ses clients espagnols puis Maktoum Al Maktoum l’ont lancé. Les Wertheimer, très liés à la famille Head, ont pris le relais. Si Madrid n’avait pas baissé le rideau, Carlos Laffon-Parias n’aurait probablement jamais entraîné en France. Son rêve, c’était d’exercer en Espagne. Mais s’il n’avait pas travaillé en France, il n’aurait probablement pas connu les sommets du galop international. Ainsi en 2019, il déclarait à International Thoroughbred : « Chantilly est le meilleur endroit pour entraîner, mais la seule chose qui me retient en France, ce sont les chevaux. » Une ligne directrice qu’il a confirmée cette année au micro de Nick Luck Daily : « J’ai décidé de rentrer « à la maison », là où vivent ma famille et mes amis. J’ai passé suffisamment de temps en France. À bientôt 61 ans, je suis en bonne santé. C’est le bon moment pour s’arrêter. J’ai consacré toute ma vie à ce métier, du lundi au dimanche, pendant onze mois de l’année. Désormais, j’ai envie de faire autre chose. C’est le bon moment. J’ai connu trop d’entraîneurs qui ont fini leur carrière avec pratiquement plus aucun cheval et des soucis financiers. Je ne veux pas avoir ces problèmes. »
On dit que les passions naissent dans l’enfance et c’est vrai dans le cas de Carlos Laffon-Parias qui, tout jeune, a vu son grand-père monter en course. La fibre cheval vient de sa famille maternelle, des propriétaires terriens et éleveurs de « cruzados » en Andalousie. Une région où le cheval faisait encore partie de la vie quotidienne de la gentry locale il n’y a pas si longtemps. Là aussi, les temps changent.
Son grand-père, le Sévillan Fernando Parias, était un officier qui avait monté en course – aussi bien en plat qu’en obstacle – mais aussi en dressage. Son « fait d’armes » – assez chevaleresque, il faut le dire – fut de faire le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle à cheval. Son oncle, Fernando Paris Merry, était lui aussi une figure de la vie politique et équestre en Andalousie. Et son cousin, Jose Maria Parias, est un éleveur de chevaux de sports équestres à succès, très impliqué dans l’organisation de la filière locale. Avant de quitter la France, il reste un semestre au plus titré des entraîneurs espagnols pour atteindre le cap des vingt victoires de Gr1. Même contrarié, son destin a été assurément extraordinaire.